Homélie pour la messe du 24ème dimanche du Temps ordinaire, le 17 septembre 2023, en l’église Notre-Dame de Neuvizy, rassemblement des Associations Familiales Catholiques (AFC) de Reims et des Ardennes - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 19 septembre 2023

Homélie pour la messe du 24ème dimanche du Temps ordinaire, le 17 septembre 2023, en l’église Notre-Dame de Neuvizy, rassemblement des Associations Familiales Catholiques (AFC) de Reims et des Ardennes

Homélie pour la messe du 24ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 17 septembre 2023, en l’église Notre-Dame de Neuvizy, rassemblement des Associations Familiales Catholiques (AFC) de Reims et des Ardennes

Il est intéressant, frères et sœurs, que nous entendions ce passage de l’évangile selon saint Matthieu en ce jour où se rassemblent ici à Neuvizy les Associations Familiales Catholiques des Ardennes. Car la famille est assurément un lieu tout à fait particulier d’apprentissage du pardon. Vous le savez bien, vous parents : il est important, il est réjouissant aussi, d’éduquer les enfants au pardon. Leur apprendre à ne pas se laisser dominer par leur colère, à ne pas agir comme si la colère excusait tout ; les aider à ne pas entretenir en eux la colère ou l’envie, les aider à se garder de l’esprit de vengeance, de la rancune, pour parler comme le sage d’Israël ; les encourager à demander pardon et à donner le pardon, vous expérimentez cela ou vous avez expérimenté cela comme des étapes nécessaires et décisives de la croissance de vos enfants. A cette lumière, l’exigence de Jésus : « Combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? Je ne te dis pas jusqu’à sept fois mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois » paraît presque raisonnable. De plus, parents ici rassemblés et vous tous qui fûtes des enfants il y a plus ou moins longtemps, vous le savez : ce qui permet le mieux à un enfant de pardonner, c’est d’être réassuré de l’amour de ses parents pour lui. Parce que mon papa ou ma maman me prend dans ses bras et m’embrasse, je peux renoncer à la colère, à la rage parfois, et reprendre des relations paisibles avec mon frère ou ma sœur qui m’a offensé. La parabole de Jésus que nous venons d’entendre met précisément en scène sous l’apparence de la générosité du maître l’immensité sans mesure de l’amour de Dieu qui, seule, peut être le moteur de notre engagement dans le pardon. Précisément, nous chrétiens, savons contempler dans la croix de Jésus ou, mieux, en Jésus en croix Dieu qui nous aime sans mesure et cela non pour en être accablés comme devant une dette impossible à rattraper mais comme un don gracieux qui nous engendre à une vie nouvelle, laquelle se marque par la capacité de donner à notre tour le pardon.

Mais qu’en est-il à l’âge adulte ? Le pardon semble y perdre de son évidence. Et pourtant, toute la vie sociale suppose que nous nous pardonnions les uns aux autres, presque en continu, les blessures, petites ou plus grandes, que nous nous infligeons. Par le seul fait d’être les uns avec les autres, d’agir les uns à l’égard des autres, nous courons un fort risque de nous cogner les uns dans les autres, de nous griffer ou de nous égratigner, de faire du mal à autrui, souvent d’ailleurs en essayant ou en croyant essayer de lui faire du bien. Il y a là un aspect redoutable et indéniable de notre drame humain. Nous comprenons vite que, sans pardon donné au fil de l’eau, au long des heures et des jours, la vie deviendrait impossible. Nous serions accablés si nous devions retenir tout ce que les autres nous infligent, parfois sans doute sans le vouloir, sans y penser, et quelquefois, il faut le reconnaître, en y pensant et en le voulant, et si les autres retenaient ce que nous leur infligeons nous-mêmes, le voulant ou pas. La famille est un lieu tout particulier d’exercice de ce pardon donné d’heure en heure : entre époux plus ou moins souvent, entre frères et sœurs même devenus adultes, entre enfants grandis et parents, entre beaux-frères ou belles-sœurs, que sais-je, toutes les configurations sont possibles. Une famille ne peut se réunir dans la paix que si ses membres sont résolument déterminés à laisser passer, à remettre, les offenses de chaque jour, et à l’inverse, une réunion familiale ne peut qu’être un drame, voire une tragédie, si les uns et les autres sont décidés à faire payer à l’autre ce qu’il leur infligera en matière de remarques, de plaisanteries plus ou moins légères, de coups de griffe ou de reproches. Parce que l’habitude de pardonner, de laisser filer, de ne pas relever, est bien ancrée en nous, nous pouvons passer ensemble des heures paisibles et même des jours agréables. Il en va de même dans la vie paroissiale, si nous prenons le risque de nous y investir pour de vrai. Plus nous tâchons de servir des activités dans lesquelles nous engageons quelque chose de notre absolu, plus nous risquons d’être blessés si nous ne sommes pas compris, si nous avons le sentiment que notre avis ou notre opinion ne sont pas suffisamment pris en compte… Le pardon, donné et répété presque d’avance, est la condition de la vie sociale.

Seulement, que dire lorsque le mal subi n’est pas seulement de l’ordre de l’égratignure, du frottement de deux egos mais fait vraiment du mal, humilie, abîme, enferme dans la douleur, prive d’un droit ou inflige une privation substantielle ? Vous savez, frères et sœurs, combien on peut reprocher, spécialement en ces temps où nous sommes, aux chrétiens d’en appeler sans cesse au pardon en oubliant le travail nécessaire de la justice, au risque d’appeler à renoncer à la recherche de la justice, au risque de faire le jeu des puissants, des violents, des agresseurs et d’enfermer les opprimés ou les victimes dans le silence forcé, le renoncement à leurs droits, l’empêchement de vivre. Ces problématiques ont fortement émergé dans la mise au jour des violences et agressions commises dans l’Église. Permettez-moi de dire ceci : l’appel au pardon que Jésus adresse à ses disciples ne signifie pas forcément la négation du passage par la justice. Si quelqu’un commet ce que la loi de l’État, c’est-à-dire de la collectivité humaine, est capable de reconnaître comme un délit ou un crime, il convient qu’il en soit averti. Il appartient au processus du pardon que celui qui offense ou blesse un autre puisse prendre conscience de ce qu’il a fait. Il appartient à sa dignité de pouvoir réparer, au moins un peu. Le pardon n’est ni oubli ni amnistie, et certainement pas imposition de la loi du plus fort ou du mieux placé. Il donne du temps pour que chacun réalise ce qu’il a fait et puisse s’en repentir.  Il n’est pas non plus renoncement à la vérité et à la dignité tant de celui ou celle qui est atteint que de celui ou celle qui offense.

La parabole de Jésus aboutit à reprocher au serviteur de n’avoir pas été capable de remettre la dette contractée envers lui alors même qu’il venait de bénéficier d’une remise totale. Vous aurez remarqué qu’il demandait au maître de lui laisser un peu de temps afin de pouvoir « tout rembourser », et que le maître, apitoyé, ne se contente pas d’allonger les délais mais supprime d’un coup toute dette. Comprenons bien cela, frères et sœurs. Dans la vie réelle, nous sommes toujours en dette. En dette à l’égard de nos parents qui nous ont donné la vie, en dette à l’égard de nos frères et sœurs, de nos familles élargies qui nous ont aidés à grandir, en dette à l’égard de toutes celles et de tous ceux dont nous avons reçu de quoi vivre, de quoi apprendre, de quoi grandir, qui ont laissé passer ce que nous avons pu faire de non exactement ajusté.

Un des aspects étonnants de la parabole est que le serviteur a le front de dire au maître : « Prends patience envers moi et je te rembourserai tout. » Y a-t-il même un sens à ce qu’il rembourse une telle dette ? Au contraire, il doit accepter d’être toujours en dette à l’égard de ce maître, et il doit même s’en réjouir. Il le marquera en pratiquant la même générosité à l’égard de celui qui lui doit une dette qu’il serait possible de compenser. Nous ne pourrons jamais compenser la dette où nous sommes à l’égard de Dieu : dette de la Création que nous ne méritions pas, dette du péché par lequel nous abîmons la création de Dieu et pourrions la faire regretter. Devant la croix de Jésus, nous découvrons que nos actes mauvais, même s’ils ne sont que des coups de griffe, des petites plaisanteries, des égoïsmes de petite portée, en fait participent d’un grand mal universel qui trouble la création de Dieu, qui dresse les créatures les unes contre les autres, qui habite les profondeurs de nos libertés plus que nous ne le voudrions. Souvent, un petit geste d’importance relative trahit une volonté de dominer ou de détruire ou de posséder qui est comme un abîme au-dedans de nous, le plus souvent maîtrisé, d’où parfois s’échappe, malgré à notre vigilance, une parole ou un geste. Le pardon, lorsque je suis offensé, ou blessé, ou humilié, ou moqué, ou privé d’un droit, doit être un processus ; nous ne sommes pas toujours capables de pardonner d’un coup, et cela n’a pas forcément du sens. « De tout son cœur », demande le Seigneur Jésus. « Pardonner de tout son cœur ». Ce n’est pas un automatisme, une réaction spontanée. Cela doit être un choix, une volonté. Voir le mal subi, savoir le nommer, accepter de le dénoncer. Mais ne pas laisser la haine s’installer dans notre cœur, ne pas laisser la colère pourrir en rancune et en esprit de vengeance. Ne pas renoncer à espérer que l’autre puisse se convertir, que l’offenseur puisse réaliser le mal qu’il a commis, que celui qui a blessé puisse consentir à réparer.

Comment pouvons-nous y être emmenés ? Celui qui raconte cette parabole est Jésus qui, à ce moment du récit de saint Matthieu, comprend qu’il va devoir mourir non seulement parce que les autorités tant romaines que juives, tant politiques que religieuses, ne supportent pas ce qu’il apporte, mais aussi parce que les humains, dans leur grande masse, vont refuser, vont se dérober, vont chercher à esquiver le grand don qu’il apporte, parce qu’ils n’aiment pas être en dette, ils n’aiment pas devoir à un autre qu’eux-mêmes. Pourtant la croix de Jésus n’annonce aucun châtiment, aucune compensation à fournir, seulement elle nous engage à nous montrer généreux nous aussi, à vouloir la vie de l’autre, à entrer dans un don de nous-mêmes qui prolonge le grand don de Dieu en son Fils bien-aimé.

Saint Paul nous a donné ce matin une formule magnifique : « Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même et aucun ne meurt pour soi-même : si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur ». Jésus, le Seigneur crucifié et ressuscité, ne nous réduit pas en esclavage. Il nous libère au contraire, il nous fait passer de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie, et cela se traduit par notre capacité à remettre aux autres leurs dettes et à accepter ce qu’ils peuvent donner. Ce n’est pas pour être prisonniers de lui que nous sommes à Jésus, mais pour prolonger son geste, son don de lui-même, pour attester, avec lui et en lui, que le Père nous donne la vie et nous la redonne, et qu’aucun refus ne le rebute, qu’il ne cesse de nous rejoindre et de nous donner et son Esprit-Saint et son Corps et son Sang pour que nous puissions entrer dans son mouvement ou nous laisser entraîner par lui. En Jésus, nous contemplons le fait que le pardon est la force la plus agissante en ce monde, malgré toutes les apparences. Béni le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits… Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie »,

                                                                                                                     Amen.

                                                                                      

                                                                                                                            


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