Homélie pour la messe du 22ème dimanche du Temps ordinaire, le 3 septembre 2023, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 80 ans de la création des Clercs de Notre-Dame - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 5 septembre 2023

Homélie pour la messe du 22ème dimanche du Temps ordinaire, le 3 septembre 2023, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 80 ans de la création des Clercs de Notre-Dame

Homélie pour la messe du 22ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 3 septembre 2023, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 80 ans de la création des Clercs de Notre-Dame

Pourquoi le prophète se plaint-il ? « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit » : c’est un reproche que Jérémie adresse à Dieu. Pourquoi ? Parce que Dieu l’envoie menacer le peuple de châtiments qui ne se réalisent jamais. Au moindre mouvement de regret, au moindre geste de conversion, si minime et surtout si velléitaire ou insignifiant soit-il, Dieu revient sur ses idées de sanction et de destruction, et le prophète se trouve ridiculisé. Voilà déjà, frères et sœurs, une clef d’interprétation de ce que nous appelons l’Ancien Testament. Lorsqu’il est proclamé à la messe, nous trouvons parfois qu’il fait entendre des paroles bien sévères de Dieu et nous n’aimons pas le visage d’un Dieu de colère, de châtiment et de vengeance. Pourtant les lectures de la liturgie de la Parole ont été soigneusement choisies et sont parfois découpées pour épargner notre sensibilité ; si vous lisez l’Ancien Testament dans son texte intégral, vous trouvez peut-être que les paroles de ce type sont nombreuses, trop nombreuses. Retenons ce que nous dit le prophète : de la part de Dieu, ce sont des paroles, qu’il ne met guère à exécution. Au contraire des humains, pouvons-nous peut-être ajouter, qui savent parfois bien mettre en œuvre les pensées de mort, de revanche et de destruction. Il y a dans l’histoire bien des catastrophes, bien des violences, bien des ruines : le prophète Jérémie nous engage à ne pas les comprendre trop vite comme des actes de la colère de Dieu.

Vous connaissez assez les saintes Écritures pour savoir qu’un des principaux reproches faits par Dieu à son peuple est que ce peuple l’honore des lèvres, accomplit les actes du culte, offre dans le Temple les sacrifices prescrits, respecte les règles des cérémonies, alors même qu’il garde le cœur dur, qu’il reste prisonnier de ses convoitises, qu’il résiste à entrer pour de vrai dans l’Alliance avec Dieu, alliance qui passe nécessairement par la garde des dix Paroles. Voilà qui nous met sur la voie de « la juste manière de rendre un culte » à Dieu dont parle saint Paul. Vous, clercs de Notre-Dame, savez bien qu’il ne suffit pas de faire les gestes liturgiques avec précision, de manière sobre et efficace : il convient de les habiter de l’intérieur ; il convient que notre intériorité rejoigne ce que nos gestes signifient.

Mais saint Paul nous entraîne plus loin. Pour lui, le culte consiste à « présenter votre corps en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu ». La traduction liturgique glose pour nous expliquer que « présenter son corps » revient à présenter toute sa personne. Elle a bien raison, mais il ne faudrait pas perdre le réalisme du corps. Par notre corps, par nos membres, nous agissons. Par notre corps, nous sommes connus et nous connaissons. Par notre corps, nous mettons en œuvre l’amour ou la colère, le pardon ou la jalousie. Il est des actes qui ne pourront jamais plaire à Dieu : le meurtre, le vol, le mensonge, la destruction, l’adultère… Il en est beaucoup d’autres, en nombre indéfini à vrai dire, qui peuvent au contraire, lui plaire s’ils sont adaptés aux circonstances et s’ils ne sont pas pervertis par les pensées de jalousie ou d’envie ou de domination ou de revanche de notre cœur. L’audace de l’apôtre Paul vient de ce que, au terme de sa longue lettre aux Romains, il appelle à présenter leur corps à Dieu comme un culte qui puisse lui plaire non pas seulement les chrétiens d’origine juive, formés par la longue histoire d’Israël, qui ont appris au long des siècles quels actes ne peuvent correspondre à la volonté de Dieu et quels actes ont une chance de le réjouir, qui se sont nourris de la parole de Dieu au point de prendre l’habitude de porter sur leur corps des phylactères sur lesquels sont écrits les commandements de Dieu, afin de s’aider à les mettre en œuvre dans la moindre de leur action, mais aussi des païens devenus chrétiens, qui n’ont pas bénéficié de ce long apprentissage et dont on peut craindre qu’ils se laissent facilement reprendre par « le monde présent » et par leurs passions, leurs pulsions et leurs déterminismes culturels. La « juste manière de rendre un culte » à Dieu, selon saint Paul, n’est pas d’abord la célébration liturgique. Elle s’exerce d’abord en tout acte de la vie concrète, englobant, bien sûr, les actes de la liturgie mais ne s’y réduisant pas du tout.

D’où l’exhortation de l’Apôtre qui se fait plus précise : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu ». Nous pouvons dire aujourd’hui que « le monde présent » excelle à se persuader que ses intentions sont bonnes, voire excellentes, meilleures que jamais dans l’humanité, et à justifier ainsi des actes variés qui, en tant qu’ils engagent les corps, relèvent pourtant de la mort ou du mensonge ou de la destruction. Face au regard de Dieu, ni nous ne pouvons nous rassurer par des actes parfaitement exécutés s’ils sont pervertis par un élan intérieur qui en nie la vie ou s’ils sont accomplis par pure formalisme social ou moral, ni nous ne pouvons nous glorifier d’intentions secrètes qui seraient bonnes alors même que les actes extérieurs abîmeraient l’œuvre du Créateur.

L’immense histoire du peuple d’Israël que nous découvrons dans les saintes Écritures nous assure qu’il nous faut un travail personnel et culturel constant pour que l’extériorité et l’intériorité de tout acte composent un acte parfait, « capable de plaire » à Dieu. Saint Paul, cependant, ose nous appeler tous, d’où que nous venions, anciens dans l’Alliance ou tous nouveaux dans la relation au Dieu vivant, à exercer « la juste manière de rendre un culte » à Dieu. D’où l’apôtre tire-t-il cette assurance et la force de son exhortation ?

Bien sûr, de sa contemplation du Christ Jésus, le Messie d’Israël. Dimanche dernier, nous avions entendu Simon-Pierre professer : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » et Jésus le bénir au nom du Père : « Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui est aux cieux. » Aujourd’hui, Jésus poursuit, il va plus loin, en annonçant qu’il part pour Jérusalem où il va « souffrir beaucoup de la part des autorités du peuple, être tué et le troisième jour ressusciter. » Nous connaissons la réaction de Pierre et nous avons entendu comment Jésus renchérit encore. Pour être le Messie, non seulement des Juifs mais aussi pour les païens, pour partager à tout homme, toute femme, d’où qu’il ou elle vienne, il lui faut aller au bout de ce qu’il prétend apporter. Il lui faut aller au bout du don de soi. Il lui faut affronter jusqu’au bout les forces de refus, de confiscation, de peur des humains, surtout de ceux qui ont une responsabilité politique ou sociale ou religieuse. Il va le vivre dans la Passion, mais surtout en le scellant par avance en instituant son Eucharistie.

Dans les gestes très simples de ce soir-là, il consent à ce qu’il annonce à Pierre ; il fait de son arrestation et de sa mise à mort, la parfaite expression de son obéissance au Père et de sa volonté de faire de tout être humain son frère ou sa sœur. Dans les gestes précis qu’il reprend à la liturgie juive du repas pascal et qu’il attire à lui pour en faire ses gestes définitifs, il renonce à lui-même afin que tous reçoivent tout le pardon nécessaire et afin que tous vivent désormais par lui devant le Père. Avant tout, lui et lui seul « perd sa vie » à cause de nous pour que nous la trouvions. Lui et lui seul perd sa vie de manière à la recevoir davantage encore et lui et lui seul nous entraîne sur son chemin, d’une manière qui nous rende vivants. Désormais, par lui, avec lui, en lui, le moindre mouvement de repentir, la moindre acceptation donnée au dépassement de la justice, permettent au Christ Seigneur, de nous tirer vers lui, malgré les réticences et les dérobades de notre être pécheur.

Voilà pourquoi il y a, en régime chrétien, un culte liturgique : nous avons besoin d’unir nos actes dans lesquels ne coïncident jamais vraiment l’intérieur et l’extérieur, avec le grand acte de Jésus en rejoignant son intention la plus profonde. Ce qu’il a mis entre les mains de ses apôtres nous permet de le faire, de ne pas en rester aux faits extérieurs mais de rejoindre la présentation que Jésus a fait de lui-même à son Père, en son corps le plus corporel, celui qui peut mourir et qui ressuscitera.

Et vous, servants et servantes de la liturgie, vous contribuez à cet acte que le Christ met entre les mains de son Église. Vous aidez l’Église à le célébrer en vérité, avec exactitude liturgique mais aussi en entrant dans l’intelligence de cet acte et en aidant chaque assemblée de l’Église à y progresser vraiment. Par vos attitudes, par vos gestes, vous aidez à l’accomplissement matériel de l’Eucharistie, l’action de grâce du Seigneur : en entrant en procession, en présentant le missel, en apportant le petit peu de pain et le petit peu de vin et le petit peu d’eau qui sont nécessaires, en apportant et présentant l’encens, en vous tenant debout ou à genoux, mais surtout, par vos attitudes et vos gestes, vous aidez toute l’assemblée à suivre mieux les gestes de Jésus ce soir-là. Vous aidez à rejoindre les intentions profondes de sa volonté : se tourner vers le Père et nous choisir comme frères et sœurs malgré nos lourdeurs et nos refus. Le pape Benoît XVI avait souvent expliqué cela, chaque fois qu’il parlait de l’Eucharistie, et le pape François a exprimé cette pensée de manière magnifique dans sa lettre Desiderio desideravi (J’ai désiré d’un grand désir), du 29 juin 2022.

A la vérité, permettez-moi de le dire, aucun de nous ne peut totalement rejoindre l’intention que Jésus exprime. Aucun de nous ne peut vivre avec exactitude ce que Jésus demande : « Si quelqu’un veut marcher à sa suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Aucun de nous ne peut réaliser rigoureusement ce que signifie : « Qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. » C’est pourquoi Jésus nous laisse de quoi célébrer liturgiquement le grand acte par lequel il récapitule tout ce qu’il a à faire et tout ce qu’il est. En célébrant, chacune et chacun de nous pour sa part : les ministres ordonnés dans leur diversité, les fidèles laïcs réunis en assemblée liturgiques, les servants de la liturgie, les chantres et les musiciens, nous nous aidons à nous laisser atteindre par cet acte du Seigneur qui, inlassablement, nous tire vers lui, vient nous rechercher pour nous attirer plus près, plus profondément, plus exactement, vers ce que lui a fait pour nous et qu’il nous partage malgré tout.

« Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit. » Tu m’as séduit mais tu ne m’as pas trompé. Tu ne m’as pas envoyé en réalité annoncer la destruction de qui que ce soit. Tu ne m’as pas caché sur quel chemin tu m’appelais. Tu nous y appelle parce que tu l’as parcouru tout le premier et toujours pour nous. Tu nous invites à te suivre dans ce que toi seul peut vivre. Tu te donnes à moi et à nous tous pour que nous puissions te donner, toi, en échange de notre propre vie.

Sachons, frères et sœurs, discerner l’élan qui habite les gestes de Jésus et alors, nous reconnaîtrons « quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » : l’acte de Jésus lui-même qui devient la nourriture de chacun des nôtres, l’acte unique et total, diffracté dans les sacrements, que la liturgie célèbre, grâce à nous tous,

                                                                                                         Amen

                                                                                                                            


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