Homélie pour la Messe de la saint Martin, le jeudi 17 novembre 2022 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 22 novembre 2022

Homélie pour la Messe de la saint Martin, le jeudi 17 novembre 2022

Homélie pour la Messe de la saint Martin célébrée en l’église Saint-Germain-des-Prés, le jeudi 17 novembre 2022, à la demande de l’association Police et Humanisme.

Le lecteur ou l’auditeur des évangiles sait que les forces de l’ordre y sont présentes, sous la figure récurrente du centurion, celui qui vient supplier Jésus pour son enfant ou pour son serviteur, celui qui, au pied de la croix, confesse la divinité de Jésus. On le retrouve encore dans les Actes des Apôtres, mais alors avec un nom propre : Corneille, comme le premier païen qui demande et reçoit le baptême. Alors même qu’il appartient à une armée d’occupation et fait respecter un ordre qui est imposé à un peuple dominé, le centurion, dans les évangiles, est le type du païen, du non-Juif, qui entre de plain-pied dans la communauté nouvelle que Jésus vient susciter au milieu de l’humanité, fondée non sur des appartenances ethniques ou culturelles ou sociales mais sur la relation de chacun au Dieu vivant. Saint Martin, sous le patronage de qui nous célébrons cette Messe, appartient à cette lignée, lui aussi. Soldat romain, officier de l’armée romaine, nous connaissons tous le geste qu’il fit aux portes d’Amiens, un soir d’hiver, donnant la doublure de son manteau militaire à un pauvre qui grelottait. Il porte surtout en lui la tension entre son engagement militaire, dans les forces d’un ordre qui devrait l’obliger à verser le sang d’autrui, et son aspiration à devenir chrétien, à s’engager à la suite du Christ Jésus.

Bien sûr, à son époque, dans l’Antiquité tardive, la différence n’est guère faite entre l’armée et les forces de l’ordre. Dans nos sociétés bien organisées, la police n’est pas censée verser le sang, même si, l’usage de la force étant ce qu’il est, cela peut arriver par malheur. Dans ce beau nom de « police », un mot presque universel, s’entend le mot grec : polis, la ville, la cité, le monde humain organisé où chacun tient sa place en lien avec tous les autres, formant un ensemble capable de viser un bien commun à tous, bénéfique pour tous. Nous savons bien que les réalisations concrètes sont toujours incertaines, insuffisantes. Toute société humaine est en route vers la cité idéale. La Jérusalem qui rassemblera tous les humains dans la paix est loin devant nous ; à dire vrai, nous le savons, nous chrétiens, elle descend du ciel, elle vient d’en haut. Elle est préparée par nos efforts d’ici-bas, elle ne se réalise jamais que par morceaux épars. Comme membres des forces de police ou des forces de l’ordre, vous avez à faire respecter un ordre, c’est-à-dire un ensemble maîtrisé de relations entre les humains habitant un même lieu ou occupant un même espace, de sorte que chacune ou chacun puisse accomplir son projet sans être troublé par les autres et sans empêcher les autres de réaliser les leurs. Vous avez à le faire dans un contexte de grandes tensions sociales qui connaît des bouffées de violence parfois très fortes, dans un contexte aussi de remise en cause de la légitimité de toute autorité et de discrédit, mérité ou non, de tout ordre social. Votre métier exige beaucoup de maîtrise de vous-mêmes, beaucoup de sang-froid, une grande capacité à tenir son rôle quoi qu’il en soit du regard des autres, en vue du bien de tous. Il ne suffit pas de respecter des normes de plus en plus nombreuses, selon la maladie de nos sociétés qui n’ont plus confiance en elles, mais d’habiter de l’intérieur le sens même de votre métier, qui n’est pas l’usage de la force mais sa maîtrise pour permettre l’ordre social le meilleur, celui-ci se définissant progressivement, et alors même que des parties de la population de notre pays prétendent échapper à cet ordre ou en construire un autre. Plusieurs des vôtres, dans cet exercice difficile, ont perdu la vie ou ont été blessés. Plusieurs des vôtres se sont retrouvés en des situations difficiles et ont réagi d’une manière qui les fait apparaître parfois en transgresseurs de l’ordre. Vous avez à remplir votre mission au service d’un ordre que vous ne définissez heureusement pas. Il est assumé par les politiques, par les élus, auxquels le suffrage universel a donné cette tâche, de prendre en main l’ordre social de notre pays pour le faire évoluer vers plus de justice et de prospérité et aussi plus de confiance mutuelle entre les concitoyens.

Qu’apporte alors à notre réflexion de ce jour l’évangile qui vient d’être proclamé, la grande vision décrite par Jésus du jugement des nations par le Fils de l’homme ? Au moins ceci : il y a deux histoires ou deux niveaux au moins pour appréhender l’histoire humaine. Il y a l’histoire qu’écrivent les journalistes et les historiens, celle qu’ils peuvent reconstituer, l’histoire des sociétés par moments satisfaites d’elles-mêmes jusqu’au moment où apparaît clairement que ce qui les rendaient fières camouflaient des violences dissimulées, par moments inquiètes et humiliées, avec l’espoir de découvrir un jour que ces temps d’autodénigrement comportaient aussi des progrès sociaux ou les préparaient. Il y a encore l’histoire que Dieu connaît, que lui seul peut connaître, l’histoire de ce que chacune ou chacun engage de lui-même dans ses actes ou ses abstentions. La fresque du jugement dernier nous montre que certains ont accompli dans leur vie un davantage, un « un peu plus », qui a pu parfois leur paraître dérisoire, (il est significatif que, selon la description de Jésus ni ceux-là ni les autres n’ont réalisé ce qu’ils ont fait ou manqué de faire), mais qui a changé le cours de l’histoire pour tel bénéficiaire. Dieu, ou plutôt le Fils de l’Homme, recueille cet « un peu plus », ce « davantage » et il en fait la matière du Royaume qui vient, de la vie éternelle.

Tous, à tout moment, nous pouvons être appelés, par les événements, les rencontres, des circonstances, à aller vers ce « davantage » ou cet « un peu plus ». Ce que nous faisons ou ne faisons pas à un poids considérable dans l’histoire spirituelle des humains, dans ce qui nous oriente et nous prépare à la vie pour toujours.

Or, frères et sœurs, vous, membres des forces de l’ordre, n’êtes pas seulement confronté à la violence des humains que nos sociétés suscitent tout en tâchant de l’absorber ou de la canaliser. Vous touchez du doigt, chaque jour, l’humanité dans sa faillibilité ou sa vulnérabilité, sa capacité à faire du mal, à soi-même et aux autres. Vous ne manquez pas d’occasion pour ce « un peu davantage », cet « un peu plus » qui change du tout au tout la valeur d’une vie devant Dieu. Alors, que notre prière de ce jour et celle de beaucoup autour de nous vous encourage et vous fortifie. Qu’elle traduise autour de vous et pour vous l’estime de tous vos concitoyens, celles et ceux que vous servez. En veillant à l’ordre public, vous aidez notre société à s’orienter vers la communion à venir. Vous permettez à beaucoup d’en goûter par avance quelques fruits, vous apprenez à servir un ordre plus grand que vous mais dans lequel chaque être humain peut grandir et déployer le meilleur de son âme. Ainsi le centurion de l’Évangile pouvait-il intercéder pour son esclave et aller chercher l’aide d’un rabbi juif, race dominée et méprisée ; ainsi celui de la fin de l’évangile selon saint Marc pouvait-il reconnaître la divinité de Jésus, c’est-à-dire l’infinie grandeur de celui qu’il voyait mourir sur la croix comme un condamné. Puisse votre mission vous encourager toujours à consentir le « un peu plus », le « davantage » auquel Dieu nous appelle tous,

Amen.


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