Homélie pour la messe de la nuit de Noël, le 24 décembre 2019 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 26 décembre 2019

Homélie pour la messe de la nuit de Noël, le 24 décembre 2019

Homélie pour la messe de la nuit de Noël, le 24 décembre 2019, en l’église de Maubert-Fontaine et en la cathédrale Notre-Dame de Reims.

Nous ne sommes pas faits seulement pour travailler, et nous ne sommes pas faits non plus pour être purement assistés, pour ne pas apporter une contribution à la communauté humaine. Nous ne sommes pas faits seulement pour consommer et nous ne sommes pas faits non plus pour manquer. Nous sommes faits avant tout pour nous apporter les uns aux autres et pour être, les uns pour les autres, des occasions d’émerveillement et de joie. C’est ce dont l’Enfant de Bethléem veut nous assurer, c’est ce dont il vient pour nous rendre capables : « Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! »

Tout enfant des humains porte une telle promesse. Tout enfant sera une manière nouvelle et unique à chaque fois de vivre la condition humaine, d’être un homme ou une femme. Nous ne sommes pas des individus qui augmentent ou prolongent une espèce. Nous sommes des personnes dont chacune enrichit à l’infini la communion de tous. De là l’émerveillement que suscite la vue d’un nouveau-né et l’émotion qui saisit tout être humain, sauf ceux ou celles, s’il en est, qui auraient laissé leur âme se nécroser et qui seraient alors bien à plaindre. Pas de désir de possession, mais en revanche celui de servir, de se rendre utile, même petitement, pour que cet enfant puisse vivre et grandir en paix. Tout enfant promet le renouvellement de l’humanité entière, mais l’Enfant de Bethléem, lui, vient pour faire en sorte que cette promesse se réalise en lui et, par lui, en tout autre. Lui nous donne l’espérance que nous pouvons vraiment nous accueillir les uns les autres et nous donner les uns aux autres, sans avoir à craindre de nous rendre vulnérables à autrui, tout au contraire.

Affirmer cela, frères et sœurs, en cette nuit, n’est pas nous voiler la face. Nous savons tous la violence dont les êtres humains sont capables et nous la redoutons. Nous la redoutons d’autant plus que nous ne pouvons jamais, si nous nous examinons un peu lucidement, être assuré qu’une telle violence ne viendrait pas s’emparer de notre cœur, en certaines circonstances, et saurions-nous alors échapper à son emprise ? Nous dénonçons aujourd’hui avec vigueur ce que la concupiscence peut entraîner tel ou tel à faire à d’autres, mais nous craignons tous, plus ou moins, qu’une telle concupiscence se saisisse de nous et obnubile notre volonté, nous entraînant à faire ce que nous ne voulons pas. L’Enfant de Bethléem, lui, sait bien ce qu’il affronte. Il défie même certaines forces autrement qu’humaines, souvent plus fortes que notre humanité, en entrant dans notre chair et en venant partager notre condition depuis ses plus humbles commencements. Il n’a pu venir qu’au terme d’une longue préparation, dans un peuple façonné depuis des siècles par la main puissante de Dieu, et pourtant, ce soir-là, « il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ». Plus même : les bergers avertis en cette nuit ne pouvaient apporter à l’enfant que leur étonnement et leur action de grâce pour Dieu, mais les puissants, eux, dès qu’ils auront connaissance de cette naissance, chercheront à faire mourir l’enfant.

Mais cet Enfant-là n’est rien moins que « la grâce de Dieu », « manifestée pour le salut de tous les hommes ». Il ne vient pas éliminer d’un coup de nos pensées secrètes et de nos libertés profondes la colère et la haine et la peur et le désir de posséder et celui de détruire qui, si facilement, nous rongent ; mais il vient, comme dit l’Apôtre, « nous apprendre à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété ». Nous apprendre. Plus encore : non seulement, il nous apprend par son exemple et par sa parole, mais il a voulu avoir un corps, être un être corporel et vivre l’expérience complète de l’humanité pour pouvoir « se donner pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier », et cela parce qu’il veut faire de nous « son peuple, un peuple ardent à faire le bien ». Il vient, de l’intérieur de notre humanité, travailler à l’intime de nos cœurs, s’y enraciner par sa parole, diffuser sa charité là où nous pourrions avoir surtout des angoisses et des volontés de puissance.

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Il vient nous apprendre, cet Enfant, que nous sommes faits pour recevoir plutôt que pour prendre, et même pour donner plutôt que pour recevoir. Il nous montre que donner quelque chose n’a de sens que si nous savons en profiter, si l’on peut ainsi parler, pour nous donner nous-mêmes. « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Le signe donné n’est pas grand-chose de convaincant : un « nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire », c’est-à-dire un enfant incapable encore de parler et tout prêt pour être mangé, qui a besoin de l’attention de beaucoup et qui se confie à toutes celles et tous ceux qui veulent bien le regarder. Peu de choses au regard des besoins des êtres humains, peu de choses au regard des forces qui agitent les hommes et les poussent trop souvent dans leur action. Pourtant, depuis cette nuit-là, une réalité inattendue travaille l’humanité, une réalité qu’aucune force politique ne peut produire, qu’aucun prestige culturel ne suffit à enraciner dans les esprits, qu’aucune puissance économique ne peut faire surgir : une capacité à faire de sa vie un don, malgré le péché qui nous habite et qui y résiste. Cette capacité a suscité et suscite des œuvres admirables, qui font l’honneur de l’humanité, mais elle suscite surtout des actes très humbles, très peu repérés, mais grâce auxquels la vie terrestre est possible et ouvre à l’espoir, voire à l’espérance.

Nous avons appris, et dans l’Église du Christ elle-même, que la capacité de se donner peut camoufler d’immenses volontés de puissance, affreusement destructrices. Nous devons être lucides, nous ne devons jamais nous laisser aveugler par ce qui paraît être le meilleur, mais, en cette nuit, frères et sœurs, nous le vérifions, nous pouvons oser aller les uns vers les autres pour nous apporter mutuellement. Nous devons le faire avec humilité, en sachant que nous risquons toujours de faire du mal en voulant faire le bien, mais nous devons courir ce risque néanmoins, parce que le Sauveur, lui, recueille le moindre de ces mouvements, il le garde en réserve et il les fait aboutir pour la joie éternelle de tous.

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Nous célébrons Noël encore une fois dans un climat social tourmenté. Nous vivons longtemps mais beaucoup s’inquiètent d’être privés des moyens de vivre leur retraite sans inquiétude matérielle. Il est sans doute nécessaire d’adapter notre système social aux conditions de la vie actuelle, où chacun connaîtra sans doute plusieurs métiers, mais la société ne peut avancer sans regarder celles et ceux dont sa course en avant risque de rendre l’existence plus difficile. Nous ne sommes pas que des individus libres de nos évolutions ; nous avons tous la charge de nos enfants, de nos parents, de certains voisins, nous sommes liés les uns aux autres pour des liens variés et que nous pouvons apprendre à aimer. Nous découvrons de plus en plus un lien qui nous englobe tous, tous les êtres humains, notre planète, et nous comprenons, bon gré mal gré, que notre planète ne peut être et être toujours mieux « la maison commune » de tous les humains que si nous changeons de mode de vie, que si nous transformons nos priorités, que si nous nous rendons moins attentifs aux biens que nous possédons ou voudrions posséder et davantage aux liens qui nous portent et que nous pourrions créer.

 Inlassablement, Noël nous le rappelle : le plus important ici-bas est que nous apprenions à nous apporter les uns aux autres et à accueillir ce que chaque autre peut nous apporter, en sachant nous en émerveiller. Nos sociétés prétendent apporter des solutions techniques à toutes les frustrations, mais nous devons surtout apprendre, frères et sœurs, à ne pas transformer tout manque en une frustration et toute frustration en un droit à faire valoir sur la société. Nous devons apprendre à respecter chaque personne, dans tout ce qui la différencie de nous, même dans ce qui nous trouble, mais nous n’avons pas à faire de toute différence la matière d’une revendication contre les autres. Nous devrions plutôt apprendre à la transformer en une richesse à apporter à la communion de tous. Nos sociétés occidentales sont à la peine parce que chacun est extrêmement attentif à être respecté, ce qui est légitime assurément, mais néglige beaucoup ou un peu ce qu’il doit faire lui-même sur lui-même pour accroître la paix et la joie autour de lui.

Nous devons aussi apprendre collectivement toujours mieux à faire attention à ce que portent les plus pauvres d’entre nous, celles et ceux qui ont l’air de ne rien avoir à donner et qui sont, pourtant, la crèche de Bethléem nous le rappelle, des personnes qui enrichissent la communion des hommes et qui l’enrichiront pour l’éternité. Les plus pauvres parmi nous en retour doivent apprendre qu’ils sont des personnes et qu’ils comptent pour l’humanité entière, bien plus que l’humanité ne le sait encore. Rien n’est plus réjouissant que de voir des jeunes s’engager à vivre auprès des personnes dites précaires et rien n’est plus triste que de voir des jeunes avancer dans la vie en esquivant toute rencontre avec plus pauvres qu’eux. Voilà une question qui peut nous habiter en vue de l’année qui vient : qui est pauvre autour de moi ? Quelle attention est-ce que je lui prête ? Suis-je capable de dire ce qu’il apporte ? Suis-je capable de voir ce qu’il m’apporte et de le recevoir ?

L’Enfant de Bethléem, « le nouveau-né emmailloté et couché dans la mangeoire », tend les bras vers chacun de nous, frères et sœurs, pour nous accueillir. Il veut aussi nous prendre dans son Eucharistie dans laquelle il nous donne les uns aux autres comme des frères et des sœurs à aimer. Il nous assure qu’il vaut la peine de nous donner aux autres, puisqu’il est là, lui au moins, pour recevoir ce que nous donnons et nous le rendre au centuple. En cette nuit, frères et sœurs, tenons-nous devant la crèche, laissons tomber nos raisonnements sous lesquels souvent nous camouflons nos peurs et osons nous laisser convaincre : « Oui, un enfant nous est né, un fils nous est donné. Éternelle est sa puissance ! »,

Amen.
+ Éric de Moulins-Beaufort


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