Homélie pour la Messe chrismale, le Mardi Saint, 7 avril 2020, en la chapelle de la maison Saint-Sixte, 22ème jour de confinement - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 8 avril 2020

Homélie pour la Messe chrismale, le Mardi Saint, 7 avril 2020, en la chapelle de la maison Saint-Sixte, 22ème jour de confinement

Un Monsieur a écrit à l’Archevêché : il voulait remercier pour la messe des Rameaux mais il voulait aussi regretter qu’aucune femme n’ait été invitée à y prendre part. Le confinement ne le permet pas, bien sûr. Mais ce Monsieur a raison : vous manquez, ce soir, plus encore que dimanche dernier, à cette messe chrismale, vous qui représentez normalement l’intégralité du peuple de Dieu rassemblé, vous baptisés, laïcs ou religieuses et religieux et consacrés de tous ordres. Car cette messe, avant tout, célèbre la consécration du baptême à partir de laquelle et pour laquelle existent toutes les autres. A l’avant-veille du Triduum pascal, nous célébrons le grand mystère, la grande réalité, que le Christ, consacré et envoyé en ce monde par le Père, nous donne part à sa consécration. Il est le Messie (c’est le mot hébreu), le Christ (c’est le mot grec), celui qui est rempli de l’onction de l’Esprit de Dieu au point de pouvoir, par toute son humanité, le communiquer à ceux et à celles qui s’approchent de lui avec foi. L’Esprit-Saint ne descend pas sur nous seulement comme une force momentanée, comme un secours instantané. De même que l’huile coule lentement mais certainement sur la tête et sur le corps et pénètre dans la peau pour y produire ses effets, l’Esprit-Saint nous est donné, venant à nous par toute la sainte humanité de Jésus, pour habiter le fond le plus secret de notre être et y travailler, à son rythme et au nôtre. Ainsi, chacun de nous devient-il son temple, un membre vivant du Corps du Christ, capable de porter dans ses actes et dans ses pensées la bonté de Dieu le Père pour les hommes.

            Oui, frères et sœurs, vous manquez, car ce n’est qu’avec vous tous que nous pouvons en vérité rendre grâces à Dieu le Père parce que la Passion de Jésus a été et est féconde. Nous en découvrons les fruits les uns dans les autres.

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En cette messe, nous contemplons ce qu’est l’Église. Ni des murs ni une institution, alors même que tout cela est nécessaire aussi, mais avant tout l’humanité renouvelée par la puissance de l’acte du Christ, de Celui « qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père », comme le proclame avec force l’auteur de l’Apocalypse. Nous sommes, frères et sœurs, au milieu de l’humanité, celles et ceux qui ont entendu la parole portée par Jésus et qui avons reconnu en elle une parole digne de foi. Nous avons entendu la bonne nouvelle portée aux pauvres, l’annonce de la libération faite aux captifs, la promesse faite aux aveugles qu’ils retrouveraient la vue et aux captifs qu’ils connaîtront la liberté, et nous avons cru et nous croyons en celui qui nous assure que « son Dieu et Père » œuvre pour nous faire passer du deuil à la joie, de l’échec à l’accomplissement, de l’effort sans but à la fête qui n’aura pas de fin.

Nous avons compris, et en revivant la Passion chaque année nous le comprenons mieux, que Jésus ne venait pas nous faire échapper au sort commun des hommes. Il ne vient pas dans nos Nazareth à nous pour en faire des ilots miraculeusement préservés. Il est venu et il vient pour faire de nous, comme l’annonce le prophète, les « Prêtres du Seigneur » et les « Servants de notre Dieu », de nous, de nous tous, de vous fidèles laïcs pas moins que de nous évêques, prêtres et diacres, parce qu’il nous donne la force, sa force, de vivre déjà, en ce monde marqué encore par l’horizon de la mort et du péché, du renoncement à soi qui rend possible la communion, de la décision de pardonner qui est la condition de l’amitié mutuelle, de la capacité de voir par-delà les agitations de l’histoire la beauté de l’humanité rassemblée en son Créateur et s’unissant à lui, de la liberté de choisir le bien et même le meilleur au lieu de se laisser conduire par l’intérêt. Le grand don qu’il nous fait, par lequel il nous consacre, est l’Esprit-Saint qui l’habite et le guide et il nous le donne par son humanité percée et transpercée

Ne nous imaginons pas être forcément et en tout meilleurs que les autres hommes. Notre caractéristique à nous chrétiens, spécialement dans notre temps, est que nous reconnaissons avancer grâce à un autre, grâce à cet autre-là qui s’est fait l’un de nous pour nous entraîner avec lui, lui, « Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre ». Son Esprit-Saint, il ose le laisser descendre en nos cœurs de pécheurs, en nos libertés abîmées. Il ne nous établit pas d’un coup, magiquement, dans un équilibre parfait de toutes les vertus, dans un tempérament spontanément apte à la communion avec les autres. Plus modestement, mais surtout patiemment et plus fortement, son Esprit nous consacre pour susciter en nous des actes de vie, de liberté, d’espérance, parfois grands, parfois petits, de telle sorte que chacun d’eux puisse être recueilli par Jésus et porté en lui à sa plénitude. Nous sommes « prêtres du Seigneur » et « servants de notre Dieu », non parce que nous serions des hommes parfaits et des femmes parfaites, mais parce que nous avons l’audace de croire que l’Esprit venu par Jésus jusqu’en nous fait sa demeure en nous et produit son effet avec puissance, malgré toutes nos opacités.

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Au milieu du peuple consacré, certains sont mis à part, nous, évêques, prêtres et diacres, les diacres que le confinement retient chez eux ce soir, ceux qui sont mariés chacun avec son épouse. En cette messe, depuis le concile Vatican II, nous renouvelons devant le peuple saint rassemblé les promesses de notre ordination et nous nous confions à l’intercession de vous tous pour que, malgré nos faiblesses, nous puissions mener notre service en aidant à la vie du Corps du Christ et non en l’encombrant. Nous ne vivrons pas ce moment aujourd’hui ; nous comptons bien le vivre à une autre occasion, où nous serons tous concrètement rassemblés. Nous en avons besoin. L’épidémie et le confinement ne nous font pas oublier que notre Église est appelée à une grande purification. Plus que jamais, ce que signifie la messe chrismale doit être mis en œuvre dans notre organisation concrète et dans nos comportements pastoraux les plus ordinaires. Il y a un peuple saint, dont tous et chacun des membres sont habités par l’Esprit-Saint de Jésus. Nous qui sommes mis à part, nous le sommes pour que tous puissent entendre à neuf, chaque dimanche, chaque jour, la parole formidable de Jésus : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

Aujourd’hui, 7 avril 2020, pas seulement il y a deux mille ans. Aujourd’hui, dans les lieux eucharistiques dominicaux et partout où un sacrement est célébré, Jésus Christ, « le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre » nous délivre de nos péchés par son sang, fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père. Aujourd’hui, il donne la liberté aux captifs, il ouvre les yeux des aveugles, il console les endeuillés. Nous ne servons qu’à rendre présent cet « aujourd’hui » de Jésus, mais nous ne servons pas à moins que cela.

L’épidémie et le confinement qu’elle impose nous ont saisis en plein lancement de notre projet pastoral. Les lieux eucharistiques sont appelés à être comme des synagogues de Nazareth où Jésus peut venir faire retentir son « Aujourd’hui » ; les missions itinérantes que les prêtres sont envoyés mener, en y associant progressivement ceux et celles qui voudront bien répondre à l’appel du Seigneur, créeront les moments opportuns pour porter la bonne nouvelle aux pauvres, aux captifs, aux aveugles, aux opprimés, pour annoncer à tous l’année favorable accordée par le Seigneur.

Frères et sœurs, nous allons maintenant bénir les huiles des catéchumènes et des malades et consacrer le Saint-Chrême. Ainsi, dès le matin de Pâques, notre Église sera munie de l’eau jaillissante et des huiles bienfaisantes dont elle a besoin pour mener sa mission, dont nous avons besoin pour vivre en ce monde en « prêtres du Seigneur » et « servants de notre Dieu », non dans la peur de manquer mais dans l’abondance du don de Dieu fait en Jésus notre Seigneur. L’épidémie cessera, le confinement prendra fin. Avec ou sans eux, nous continuerons d’avancer, humbles et forts de l’Esprit, dans la foi, l’espérance et la charité. Entendons l’Apocalypse de saint Jean proclamer pour nous :

« A lui qui nous aime ! »,

 « A lui qui nous aime… la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen. »


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