Homélie de la Messe Chrismale - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 13 avril 2022

Homélie de la Messe Chrismale

Homélie pour la messe chrismale, le mardi 12 avril 2022, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

Il était là, ce matin-là, comme deux ou trois mois auparavant. Il était là dans la ville, le village, « où il avait été élevé », dont il s’était absenté, savait-on pourquoi ?, pendant quelques semaines. Il était là, aussi, le jour du sabbat, dans la synagogue, et selon son habitude, « il se leva pour faire la lecture ». Pourquoi, ce jour-là, tous eurent-ils « les yeux fixés sur lui » ? Pourquoi lui-même a-t-il ce jour-là décidé de commenter lui-même le morceau des Écritures qu’il avait lu, et pourquoi le fit-il sous cette forme si condensée : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » ?

Ce qu’il avait vécu pendant ces deux ou trois mois, les gens de Nazareth ne pouvaient guère le savoir : le baptême par Jean, l’arrestation de celui-ci, les quarante jours des tentations. Il revenait, le même et un peu différent. A Nazareth on avait entendu raconter qu’il prêchait dans les synagogues et que sa parole était appréciée. On avait même eu vent de miracles qu’il aurait accompli, de libérations ou de guérisons spectaculaires.

Il est donc là, au milieu de ses compatriotes, ce Jésus, « selon son habitude », comme d’habitude, et tout différent aussi. Il n’est pas revenu pour reprendre sa vie d’avant, sa vie de charpentier, en y ajoutant un peu de commentaire biblique. Il vient pour repartir et ne plus revenir, il vient pour entraîner les gens de Nazareth, ceux et celles avec qui il a grandi, sur un chemin nouveau. Il vient pour les entraîner avec lui, peut-être même sans qu’ils sortent de chez eux, vers les pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés de toutes les nations pour leur annoncer qu’aucun emprisonnement, qu’aucune pauvreté, qu’aucune cécité ou infirmité, qu’aucune situation d’oppression ne peut les priver totalement ni réellement d’être des vivants dont la vie terrestre anticipe sur la vie pour toujours. Il ne vient pas pour les conforter ou les renforcer dans leur fidélité de bons juifs dans leur village autour de leur synagogue, mais pour qu’ils acceptent, avec lui, de partager à tous les peuples ce qu’Israël sait depuis toujours, que tout être humain est fait à l’image de Dieu et accomplit sa vie non pas en vivant ici-bas puis en mourant, mais en se préparant pour la vie éternelle.

Dans le baptême et les tentations, Jésus, en endossant l’histoire du peuple élu, a pris sur lui la destinée entière de l’humanité. Il rejoint tout être humain dans sa fragilité, sa vulnérabilité et aussi dans son enfermement dans le péché, et il le tire avec lui, vers lui. Grâce à lui, la vie humaine n’est pas déterminée par les grands conditionnements qui pèse sur elle. Tout moment, tout instant, peut devenir l’occasion d’une percée vers plus d’amour et donc vers plus de vie. Tout instant peut devenir l’occasion d’un choix qui oriente l’humanité vers plus de vérité et de don désintéressé de soi. Tout instant devient favorable non pour faire seulement ce qu’il faut, mais pour choisir un meilleur.

Frères et sœurs, on a beaucoup dit, lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, qu’il s’agissait du retour du tragique en Europe. Soit. Mais, nous chrétiens, savons depuis toujours que la vie, même dans la paix, même dans la tranquillité, même dans la prospérité, est non pas une tragédie mais un drame. Nous savons, nous, que la vie humaine est toujours un choix, un combat, un arrachement ou alors une défaite. Nous savons que l’histoire humaine n’est pas seulement la gestion des choses et des personnes, mais la résultante, toujours imprévisible, des multiples choix que les humains font ou ne font pas, dans lesquels nous nous engageons ou bien nous nous dérobons. Parce que Jésus est là, parce que la parole du prophète Isaïe s’accomplit, notre vie à aucun ne s’écoule seulement comme on dépense un capital de vie jusqu’à ce qu’il soit épuisé ; chacun de nous est, de manière toute différente, appelé à puiser de quoi choisir, de quoi se déterminer, dans des choix minuscules et parfois, par moments, dans des choix immenses.

Nous savons, nous chrétiens, que tout acte bon que nous faisons est une victoire, un arrachement, une libération. Il n’est pas seulement le résultat d’une heureuse disposition, d’une gentillesse native, d’un environnement bienveillant. Il est le fruit d’une collaboration entre ce que nous appelons la grâce de Dieu qui est la force de l’Esprit-Saint venu à nous depuis la mort et la Résurrection de Jésus et de ce que nous appelons notre liberté, notre capacité de choisir ce que nous faisons ou ne faisons pas. Chaque fois, il s’agit d’un fait nouveau ; chaque fois, l’histoire de l’humanité prend un cours nouveau, inattendu, inespéré. Chaque fois, le mal recule, l’esclavage de la mort est brisé, son règne est contesté et quelque chose d’autre peut naître ou grandir.

C’est pourquoi nous consacrons des huiles. Elles fortifient dans le combat :  l’huile des malades pour le combat contre la maladie qui voudrait nous persuader que la mort serait le dernier mot de notre existence, alors que l’affaiblissement même de la maladie nous rapproche aussi de Dieu ; l’huile des catéchumènes pour le combat contre les multiples idolâtries qui nous habitent et qui nous rendent esclaves de toutes sortes d’autres réalités que Dieu, des réalités qui voudraient nous faire croire qu’elles nous rendent plus vivants, parce qu’elles nous excitent, parce qu’elles nous fascinent, parce qu’elles nous font peur, parce qu’elles nous font dominer ou abîmer les autres ; le saint-chrême enfin qui n’est pas seulement pour le combat mais pour la victoire plutôt, l’huile d’allégresse, qui nous assure que le Dieu vivant fait de nous ses fils et ses filles et nous fait participer à son œuvre de libération, de guérison, de justice, de vie plus forte que toute mort.

Au milieu de l’humanité, nous nous tenons debout, nous chrétiens, non comme les restes d’une tribu en voie de disparition, mais comme l’avant-garde de l’humanité, le gage déjà que les êtres humains sont faits pour vivre pour toujours dans la vérité et dans l’amour. Au cœur de l’humanité, nous attestons que l’histoire des êtres humains n’est pas d’abord l’histoire de leurs affrontements, de leurs déchirements, de leurs dominations, mais qu’elle est plus encore celle de tous les moments où ils se sont faits du bien les uns aux autres, un peu ou beaucoup, un grand bien ou un bien minuscule. L’histoire n’est pas faite par nos peurs, nos refus, nos rejets, mais par notre choix de vivre ensemble dans la paix et d’apprendre à devenir des artisans de paix.

Au cœur du peuple chrétien, au cœur de l’Église, nous, évêque, prêtres et diacres, rappelons humblement mais fermement qu’une telle espérance est possible parce que Jésus est là, parce que lui est venu et vient à nous, sans cesse, parce qu’il a, lui, pris sur lui, la destinée de l’humanité et qu’il a affronté toutes les forces obscures qui nous habitent et nous rongent et qu’il a, lui, percé tous les murs pour que nous puissions avancer vers la vie en plénitude. Nous rappelons que tous ont un combat à mener, le beau et bon combat spirituel, celui que Jésus Christ, « le témoin fidèle, le premier-né des morts, le prince des rois de la terre » nous donne de mener par lui, avec lui et en lui.

« Jésus vint à Nazareth, où il était été élevé. Selon son habitude, il entra ans la synagogue. » Jésus, le Messie de Dieu, vient à nous, frères et sœurs, nous dont il a fait les siens. Ce n’est pas pour répéter les mêmes gestes, recommencer la même histoire. Ce n’est pas une habitude ou une routine, Nous le vivons à neuf, aujourd’hui. Aujourd’hui, en ce mois d’avril 2022, au milieu des motifs d’inquiétude, d’interrogation, d’angoisse, même qui peuvent habiter l’humanité, avec les sujets de joie, les projets, les espoirs qui nous habitent, Jésus nous en assure : aujourd’hui par aujourd’hui, nous sommes appelés à mener le beau et le joyeux combat qu’il a mené lui-même, lui, « le témoin fidèle, le prince des rois de la terre ». Ce combat, nous y entrons chaque jour fortifié par son Esprit, parce qu’il a remporté la victoire déjà, lui dont nous chantons avec le psaume : « son amour et sa fidélité sont avec nous, son nom accroît notre vigueur »,                                                                        Amen.


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.