Homélie pour la messe anniversaire de la dédicace de la cathédrale Notre-Dame de Reims - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 19 octobre 2020

Homélie pour la messe anniversaire de la dédicace de la cathédrale Notre-Dame de Reims

Homélie pour la messe d’anniversaire de la dédicace de la cathédrale Notre-Dame de Reims, le dimanche 18 octobre 2020.

Un puits, à la sortie de la ville, le bourg tout au plus, de Sykar en Samarie, ce n’est pas grand-chose. Un trou dans la terre, une humble margelle, un étai de bois pour permettre de fixer la corde ou la chaîne et de descendre et remonter les seaux avec moins d’effort. Ce puits-là, certes, vient de Jacob, le petit-fils d’Abraham, il a quelques lettres de noblesse, une histoire se raconte autour de lui ; il est surtout comme tout puits une garantie de vie pour les populations voisines, tous savent son importance vitale, mais rien ne le distingue vraiment de tout autre puits sur la surface de la Terre. Au bord de ce puits-là, pourtant, une parole immortelle a été prononcée, une parole qui change la destinée et la vie des humains : « L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » En quelques mots sont renvoyés dos à dos le temple de Jérusalem et l’immense symbolique qu’il exprime et le mont Garizim où les Samaritains s’efforçaient, avec bien de la peine, de trouver la même profusion, et toute montagne sacrée, tout temple, tout bâtiment. Seul compte l’adoration en esprit et en vérité. Dieu n’a pas besoin de rites compliqués, Dieu n’est pas lié à tel lieu ou à tel moment. Le lieu propre de l’adoration, c’est en chacun l’esprit et l’heure propice, c’est celle de la vérité, celle de la coïncidence entre le fond de liberté et l’agir. « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent l’adorer. »

Nous voici pourtant, deux mille après, réunis ici dans ce bâtiment prestigieux que nous appelons notre cathédrale, tout heureux de pouvoir l’admirer en sa beauté, tout heureux de pouvoir y célébrer notre culte pour Dieu et y recevoir ce que Dieu a à nous y donner. Nous sommes là, frères et sœurs, non pas malgré les paroles que Jésus prononça appuyé sur la modeste margelle du puits de Jacob, dans la chaleur de midi, les pieds dans le sable, mais à cause de ses paroles, grâce à elles, pour en vivre la vérité : « Dieu est esprit ». Nous sommes heureux, toutes les prières de cette messe vont le dire, d’être là ensemble dans cet édifice qui nous émerveille, heureux d’y recevoir l’héritage de nos pères, heureux de pouvoir célébrer non pas dans le secret, mais en plein jour, protégés de la pluie et du soleil et dans la liberté et la sécurité que notre pays nous permet. Nous savons que le culte véritable, celui que Dieu regarde, se joue dans l’intime de nos libertés, dans leur consentement à l’alliance que Dieu propose et dans les actes qui en découlent. Seulement, nous savons aussi que la conversation qui a commencé ce jour-là, près du puits de Jacob, entre Jésus et cette femme de Samarie s’est nouée un soir, à la veille de la Passion, lorsque Jésus, ayant réuni avec lui ses apôtres, s’est donné pour eux et pour la femme de Samarie et pour tous et chacun de nous en consentant de tout son être à la volonté du Père qu’il nous reçoive comme ses frères et ses sœurs malgré notre péché. Notre cathédrale comme toute église a été voulue pour servir d’écrin à ce geste tellement simple : un peu de pain, un peu de vin, quelques paroles, par lequel l’acte définitif de Jésus à l’intime de sa liberté filiale a été noué dans notre chair pour devenir source de vie nouvelle pour chacun de nous et pour tous. La splendeur de notre cathédrale : son architecture, sa sculpture, son décor, tout est voulu pour magnifier le geste unique dans lequel Jésus a ressaisi toute sa vie pour en faire une offrande parfaite au Père en notre faveur.

Nous ne sommes jamais certains, frères et sœurs, d’agir « en esprit et en vérité ». Nous tendons vers cela, autant que nous le pouvons, mais nous savons combien le manque de temps, les intérêts contradictoires, les peurs, la volonté de puissance, viennent encombrer nos actes et nos abstentions. L’acte de Jésus est l’acte parfait que notre humanité a produit. Nous pouvons venir abriter en lui nos actes de chaque jour, ceux de la semaine passée et ceux qui viendront. Nous venons célébrer ce geste du Seigneur pour qu’il dilate de l’intérieur, pour qu’il purifie et fortifie nos actes les plus quotidiens, les tirant de ce qu’ils ont d’insuffisant ou de mêlé vers le culte « en esprit et vérité ». Adorer Dieu ne consiste pas à lui payer un prix pour qu’il nous laisse tranquilles et pas davantage pour obtenir de lui qu’il nous protège, même si certains archaïsmes en nous maintiennent trop souvent ce genre de pensées en nous ; adorer Dieu « en esprit et vérité » consiste à unir nos actes à l’acte de Jésus, à consentir que cet acte-là du Fils bien-aimé soit la mesure de nos actes, la racine profonde de nos pensées, la source où nous puisons l’énergie de nos décisions.

Tout commence dans cette conversation de Jésus avec la femme de Samarie, une sorte de demi-étrangère pour un Juif de ce temps, une femme anonyme d’abord, appartenant à un peuple méprisé. L’acte de Jésus rejoint tout être humain qui est né et qui mourra, quelle que soit son appartenance ethnique ou culturelle, quel que soit son statut social. La proximité la plus grande avec Dieu n’est réservée ni à une famille, ni à une caste, ni à une fonction dans la société. Tout humain qui agit, tout humain qui engage sa liberté en ses actes se trouve précédé par le Christ Jésus en son acte et peut s’en laisser rejoindre. Le prophète Isaïe voyait cela déjà lorsqu’il proclamait : « Les étrangers qui se sont attachés au Seigneur pour l’amour de son nom et sont devenus ses serviteurs… Je les conduirai à ma montagne sainte…. Je ferai bon accueil, sur mon autel, à leurs holocaustes et à leurs sacrifices, car ma maison s’appellera : ‘’ maison de prière pour tous les peuples’’ » et qu’il exhortait de la part du Seigneur à vivre le culte véritable : « Observez le droit, pratiquez la justice ». Toute église est le signe que tout être humain est le bienvenu auprès du geste du Christ Jésus, et la cathédrale, au cœur d’un diocèse, plus encore que tout autre.

Les cathédrales gothiques avaient ce projet : rassembler tout le cosmos et toute l’histoire autour de l’acte du Christ, donner à voir combien cet acte si simple dans sa forme et si décisif illumine de l’intérieur toute la réalité et lui confère stabilité et dynamisme, projetant l’histoire des hommes vers la Jérusalem céleste. Par là-même, elles indiquent qu’une réalité d’un ordre nouveau émerge dans l’histoire des hommes : un peuple qui n’est pas limité par les races ou l’histoire ou la culture ou les hiérarchies sociales, un peuple où chacun peut se rapprocher autant qu’il le veut de l’acte unique de Jésus : « Dans le Christ Jésus, vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage, vous êtes citoyens du peuple saint, membres de la famille de Dieu, car vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les Apôtres et les prophètes, et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui-même ». Ce que l’Apôtre ajoute ici est essentiel : la construction de pierre donne à voir une autre construction, invisible, qui seule compte. Tout humain peut approcher ses actes de l’acte de Jésus, mais cet acte-là ne dépend pas de nous. Nous avons besoin de ce qu’a fait Jésus, le soir de la Cène comme à midi avec la Samaritaine, nous avons besoin de ce qui s’est noué là-bas en un lieu précis à un moment donné et nous ne pouvons revenir à cet acte-là qu’à travers ceux que Jésus lui-même a choisis ou qu’il a reçus du Père et à qui il s’est remis alors même qu’ils n’étaient pas à la hauteur de son acte.

La cathédrale, émergeant au milieu de la ville, nous rappelle toujours que nous avons à adorer le Père « en esprit et vérité » en tout lieu, tout moment, tout acte de nos journées, mais aussi que nous ne pouvons le faire qu’en nous laissant approcher par Jésus lui-même et encore que, faisant et l’un et l’autre, nous contribuons à transformer l’histoire de l’humanité en l’aventure d’une alliance de vie, en l’approche mutuelle de Dieu et de l’humanité. Alors, frères et sœurs, soyons pleins de joie de pouvoir disposer d’églises et de cathédrales, de lieux pleins de significations, ouverts à tous ; soyons pleins de gratitude pour nos pères qui nous ont laissé de tels édifices où se lit si bien et s’éprouve plus facilement qu’ailleurs la destinée spirituelle de l’humanité ; ne soyons pas dupes de la splendeur de ces lieux et veillons à vivre ce qu’ils nous indiquent « en esprit et vérité », et rendons grâce pour le Seigneur Jésus et pour ses Apôtres et pour la femme de Samarie et pour les évangélistes et pour tous les saints qui nous encouragent à oser chercher à « adorer en esprit et vérité », rien de moins,                  

Amen.


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