Homélie pour la fête du baptême du Seigneur - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 11 janvier 2021

Homélie pour la fête du baptême du Seigneur

Homélie pour la fête du baptême du Seigneur, année B, le dimanche 10 janvier 2021, en l’église Saint-Étienne-du-Mont à Paris, messe de clôture de la neuvaine de sainte Geneviève.

Qu’est-ce qu’être un croyant en temps de crise ? Qu’est-ce que garder la foi et vivre de la foi dans le Christ dans les moments de destruction et de peur ? Sainte Geneviève, au cœur de Paris, incarne à jamais cette attitude : alors que les Huns menacent la ville, alors que Childéric, plus tard, en fait le siège, Geneviève est celle qui a gardé la tête froide et le cœur en paix, celle qui a pu ramener les Parisiens à la sagesse et su organiser les secours nécessaires en nourriture pour tenir durant le siège. Elle n’était pas chef de guerre, elle n’a pas prétendu diriger la cité, elle n’a pas profité des crises pour confisquer le pouvoir. Toujours elle a cru, non pas que tout serait facile, non pas que tout allait revenir comme avant, non pas que les ennemis seraient écrasés, mais qu’il était toujours possible de vivre, de se comporter en vivants, et qu’il valait toujours la peine de s’inquiéter d’autrui, de regarder autour de soi, de prendre soin des autres. C’est qu’elle n’était pas seulement croyante, elle était chrétienne. Elle se savait devenue par le baptême fille du Père en Jésus-Christ, membre du Corps du Christ Jésus, et elle avait choisi de vivre ainsi, selon cette dignité-là, en tous les moments et tous les actes de sa vie. Elle ne cherchait pas à préserver quoi que ce soit pour elle ici-bas, elle ne courait pas derrière la mort ou un héroïsme évident. Elle espérait correspondre en tout moment le mieux possible à Jésus son Seigneur. Ainsi a-t-elle vaincu le monde. Le monde, ici, sous la plume de saint Jean dans sa première lettre, est sans doute tout ce qu’il y a dans le cœur des êtres humains de peur de la mort, de peur de manquer, d’inquiétude pour son existence, et par conséquent de violence latente, de besoin de posséder et aussi de détruire, de méfiance et de jalousie. Le croyant en temps de crise se découvre à ce qu’il ou elle ne perd pas pied, ne se laisse pas absorber par la panique ni tromper par le besoin d’agir à tout prix. « Qui donc est vainqueur du monde ? N’est-ce celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? ».

En quoi la foi, la foi chrétienne, la foi dans le Christ vrai Fils de Dieu vraiment venu dans la chair, est-elle une victoire, est-elle la victoire sur le monde ? Contre toute apparence, elle est foi, confiance, que Dieu s’est engagé dans notre histoire. Non qu’il la rende facile, non qu’il la débarrasse de ce qu’elle a de douloureux, de violent, de menaçant, de décevant. Ne nous nourrissons pas d’illusion. Dieu s’engage dans l’histoire en Jésus-Christ et il le prouve, il en rend témoignage, selon les termes de saint Jean, en ce qu’« il rend témoignage à son Fils ». Dieu s’engage dans l’histoire en ce qu’il ne cesse pas de susciter des hommes et des femmes qui suivent le chemin de Jésus, mettant leur confiance qu’il est un chemin de vie, qu’il est le chemin de la vie. Le récit du baptême de Jésus par Jean nous le donne à voir et à entendre. La scène mérite d’être contemplée. Sous la plume de saint Marc vient d’abord le rappel de la prédication de Jean-Baptiste, l’annonce qu’il fait à tous ceux et celles qui veulent bien l’entendre qu’un autre va venir qui donnera infiniment mieux que ce que lui apporte, puis vient le récit du baptême de Jésus, mais un récit tel qu’il semble que Jésus soit seul et que lui seul voit et entend ce qui arrive. Or, qu’a annoncé Jean le Baptiste ? – Voici venir derrière moi celui qui est plus fort que moi ; je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. » Jean est prêt à s’abaisser mais sait qu’il n’en est pas digne, mais que se passe-t-il en réalité : Jésus descend, il descend rejoindre Jean dans le point le plus bas du globe, il descend rejoindre l’humanité marquée par le péché, lui qui est sans péché, il descend dans l’eau qui symbolise la mort, lui qui est fait pour vivre pour toujours. Jésus s’abaisse de telle sorte que, si petit, si humble se fasse Jean le Baptiste, jamais il ne pourra s’abaisser plus loin que Jésus le fait. Notre foi chrétienne est avant tout foi que Dieu s’abaisse, que Dieu s’humilie, qu’en Jésus Dieu se dépouille pour nous rejoindre au plus près et pour nous entraîner avec lui.

C’est pourquoi il y a triple témoignage : l’eau, le sang et l’Esprit, pour savoir si nous vivons du Christ Jésus en vérité. L’eau, parce qu’il y a le geste extérieur, celui du sacrement, mais le sang aussi, car Jésus n’est pas venu donner seulement des conseils, des recommandations, des préceptes, des lois ; il est venu nous partager le principe même de sa vie et sceller ce don par l’offrande de sa vie, ce que marque le sang. Mais le grand témoin est l’Esprit : car il s’agit de vivre de l’Esprit de Jésus ou dans l’Esprit de Jésus, pas seulement dans les idées ou les idéaux ou les valeurs de Jésus, mais vraiment portés dans l’acte de Jésus, le Fils de Dieu qui s’abaisse pour nous rejoindre, si loin soyons-nous partis de Dieu. Déjà, en se faisant baptiser par Jean, selon le récit de saint Marc, Jésus ne se contente pas tout à fait de recevoir le baptême de Jean, baptême de reconnaissance des péchés et d’espoir du pardon de Dieu : il est le Fils bien-aimé qui vient se mettre du côté des pécheurs et c’est pourquoi l’Esprit-Saint descend sur lui et la voix du Père retentit pour lui. Le Père assure le Fils qu’il accomplit bien sa volonté, que son chemin paradoxal est bien celui qu’il lui faut prendre pour arracher l’humanité à l’emprise du péché et de la mort. Jésus ne fait pas qu’imiter les hommes, il ne fait pas non plus que donner un exemple : il vient vivre son être de Fils bien-aimé dans les conditions de ce monde présent, où la mort, mais aussi ce qui la cause, ce qui y conduit : la jalousie, le rejet, la méfiance, le besoin de dominer… et encore les maladies et les coups du sort rôdent toujours et exercent leurs méfaits. Dieu, en Jésus, s’engage dans notre histoire, non pour nous inspirer de vagues et incertaines valeurs, non pour nous donner un exemple à imiter de loin et de loin en loin, mais pour nous associer à lui charnellement, pour faire de nous des membres de son Corps, pour faire passer à travers nos actes maladroits, mal ajustés, et nos pensées insuffisantes, sa charité, son amour brûlant pour les humains. Écoutons et prenons au sérieux ce que Dieu nous crie, par Isaïe : « Écoutez, et vous vivrez. Je m’engagerai envers vous par une alliance éternelle : ce sont les bienfaits garantis à David. Lui, – David, mais infiniment plus encore le nouveau David, le vrai David, notre Jésus – lui, j’en ai fait un témoin pour les peuples, un guide et un chef. » Que tire le prophète de cette promesse de Dieu : que Dieu agit pour nous transformer, qu’il vaut toujours la peine que le méchant cherche à devenir bon, qu’il n’est jamais trop tard pour quitter les pensées perfides et apprendre des pensées de paix, de bonté, de vérité. Dans la cité menacée comme dans la cité conquise et apaisée, sainte Geneviève a vécu ainsi : elle a su nouer amitié avec le roi Clovis, le Franc qui a confisqué l’héritage des gallo-romains, et avec la reine Clotilde. Elle a su reconnaître dans le roi toujours violent, toujours brutal, l’élan vers la vérité du Christ Jésus, c’est-à-dire l’élan vers une vie et une action dans la foi, l’espérance et la charité. Elle a su que le moindre mouvement vers cette vie-là était le résultat de la victoire du Christ mort et ressuscité sur le monde et de l’effusion de l’Esprit par le Crucifié ressuscité.

Frères et sœurs, nous vivons des temps de crise. Soyons des croyants, des croyants en Jésus-Christ. Ne rêvons pas comme les païens d’être préservés, ne cherchons pas comme les perfides à tirer notre épingle à nous du jeu, mais soyons de ceux et de celles qui acceptent de vivre et de mourir et de vivre encore comme le Seigneur, comme le Fils bien-aimé, en vivant la crise et ses bouleversements en nous préparant à donner, lorsque le moment sera venu, ce que nous n’avions pas encore imaginé de donner, en cherchant non pas à survivre mais à partager ce qui nous rend vivants au milieu du monde qui change et qui, pour une part, s’écroule. Dans notre monde sécularisé, qui peut tout expliquer par des causes multiples et se refuse à percevoir la présence et l’action de Dieu, nous, nous témoignons que Dieu est entré dans notre histoire humaine et qu’il la tire vers sa vie à lui. Vivre ne peut être seulement préserver sa vie, réclamer ses droits, exiger le respect ; vivre, c’est toujours se mettre au service d’un autre ou des autres non pas à la mesure de mon amour pour eux mais en m’inscrivant dans l’amour de Dieu pour chacun d’eux. Faisons briller dans notre monde ce que sainte Geneviève fit briller dans le sien : les commandements de Dieu ne sont pas un fardeau, « puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde »,

Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


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