Homélie pour la fête de notre Dame du Mont-Carmel - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie pour la fête de notre Dame du Mont-Carmel

le samedi 16 juillet 2022, en l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault, ordination d’un prêtre et d’un diacre

Siracide 24, 17-22 ; évangile selon saint Luc 11, 27-28

La fête de notre Dame du Mont-Carmel est une fête importante du cycle des fêtes mariales de notre liturgie latine, non pas tant parce qu’elle se réfèrerait à l’ordre qui porte son nom, ordre dont le prestige ne saurait impressionner des fils ou des filles de saint Benoît, mais parce que cette fête nous dévoile des facettes importantes du mystère, c’est-à-dire de la réalité, de Marie et de l’Église. 

Le Carmel, en effet, est la vigne du Seigneur, l’arpent privilégié où il aime à venir se promener au cœur de sa création entière, la parcelle aimée où Dieu goûte la fécondité heureuse de son œuvre de grâce. Le mont Carmel resplendit dans l’histoire d’Israël, notamment avec l’histoire d’Élie. Comme tout mont, il indique qu’il faut monter pour rejoindre Dieu, se laisser conduire sur des chemins élevés et parfois escarpés. Il est le lieu de l’adoration véritable, le lieu où le Seigneur a manifesté qu’il était le Dieu vivant qui agrée le sacrifice d’Israël si celui-ci lui est offert par un cœur pur, sans partage, un cœur qui ne « cloche » pas d’un pied sur l’autre, irrésolu. Marie, la jeune fille de Nazareth, la mère de Jésus, est l’aboutissement de cette immense histoire. Dans la profondeur de son âme, tout ouverte aux dimensions de l’histoire de Dieu avec son peuple, elle est le sommet de l’humanité tendue vers Dieu, l’attendant et l’espérant ; elle est aussi la demeure où Dieu peut venir habiter. Dans la sainteté de son âme, toute consentante à la volonté de Dieu, sans retour sur elle-même, elle est le lieu où le sacrifice le meilleur peut être offert et d’où il peut être agréé. Dans la richesse de son humanité, de son éducation, de sa psychologie, de son regard sur les autres, sur le monde, sur elle-même, elle déploie la justesse, la miséricorde, la tendresse de la foi, l’extraordinaire capacité de la foi des humbles d’Israël de produire des fruits de paix, de douceur, de réconciliation, de respect mutuel, de joie. C’est elle, longuement préparée par des siècles de fidélité cachée, dispersée, répandue, en Israël, toute récapitulée en elle, c’est elle qui attire en quelque sorte le regard de Dieu et cristallise la décision ultime que nous appelons l’incarnation du Fils. 

La liturgie, en ce jour, a choisi de faire entendre l’éloge de la Sagesse par elle-même qui est un beau passage du livre de l’Ecclésiastique, du fils de Sirac le sage. La Sagesse dont il s’agit n’est pas la qualité morale de l’homme qui modère ses envies ou de la femme prudente. Elle est plutôt la volonté de Dieu envers les hommes, son dessein de salut, selon les harmoniques nombreuses qui en fait la beauté et la douceur. C’est pourquoi, un peu après dans le livre, elle est assimilée à la Loi, à la Torah, qui n’est pas d’abord la somme des préceptes qui peuvent éclairer et encadrer la route d’Israël, le peuple élu, mais qui est avant tout le récit de l’histoire de l’alliance de Dieu avec le peuple choisi, qui y entre ou qui s’y dérobe.  Or, en Marie de Nazareth, nous contemplons sans crainte celle qui a reçu pleinement la volonté de Dieu, celle qui a pu recevoir et comprendre la parole de Dieu, non pas en y cherchant des préceptes à appliquer laborieusement un à un, mais en s’efforçant d’entrer dans l’intelligence du dessein de Dieu pour s’en laisser habiter, renouveler, transformer, jour après jour. C’est pourquoi nos pères dans la foi ont reconnu en elle celle en qui la Sagesse de Dieu habite, en qui elle porte tous ses fruits. C’est pourquoi ils l’ont reconnue dans le titre que la Sagesse se donne, à en croire l’Ecclésiastique : « Je suis la mère du bel amour ». En elle, la Sagesse de Dieu vient habiter pleinement un cœur, une intelligence, un esprit, humains. En elle la Sagesse de Dieu ne reste pas dans la gloire insaisissable de Dieu mais prend forme dans un être humain qu’elle renouvelle entièrement. Elle, Marie de Nazareth, elle l’Immaculée, est toute habitée de la Sagesse de Dieu qui a été n elle une source abondante d’intelligence et de compréhension, lui faisant rejoindre en tout moment l’intention de Dieu et lui permettant de faire de chacun de ses actes un acte qui ait l’ampleur et la profondeur de la volonté de Dieu pour toute l’humanité et toute l’histoire. 

Nous comprenons ainsi, frères et sœurs, en cette fête de notre Dame du Mont-Carmel, grâce à la liturgie de ce jour, mieux que jamais la réponse de Jésus à l’exclamation de la femme devant Jésus : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » ; « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » L’immense grandeur de Marie, l’immense beauté que nous contemplons en elle vient de son rapport intime avec la Parole de Dieu, de l’écoute obéissante qu’elle lui a consentie de toute la profondeur de son âme et de sa chair immaculées, de sorte qu’en elle cette parole a pu porter ses fruits qui dépassent ce qui peut être mesuré ou compté. Jésus, le Seigneur, sait bien d’où provient la grandeur de sa mère, ce qui la rend unique, admirable, au milieu des humains, ce qui suscite l’émerveillement du Père. La fête de notre Dame du Mont Carmel nous invite donc à contempler l’âme de Marie, sa liberté spirituelle enracinée dans la longue histoire du peuple élu, faisant porter du fruit en ce monde, en elle et par elle, à la Sagesse de Dieu communiquée à un être humain, partagée à un être humain. Maris de Nazareth peut être saluée comme une « vigne » qui « donne des sarments pleins de grâce » et dont les « fleurs sont des fruits de gloire et de richesse ». 

Notre Dame du Mont-Carmel est par conséquent aussi bien un nom de l’Église, car la vérité de l’Église de Jésus se trouve réalisée, concentrée en Marie, de sorte qu’elle puisse être revendiquée par le corps que nous formons. Elle est l’espérance de l’Église ou, mieux encore, l’Église espérée : nous tous, greffés sur l’unique cep, formant l’unique vigne, qui porte du fruit pour l’éternité, pour la joie de Dieu et de tous. Nous osons regarder ainsi l’Église alors même que nous connaissons nos faiblesses et celles de beaucoup d’autres, et même les crimes de quelques-uns, parce que la première d’entre nous, notre Dame, nous enveloppe tous de sa charité délicate, intercède pour nous et est exaucée, nous ouvrant un chemin à travers nos misères jusqu’au Dieu vivant, jusqu’au point où le Dieu vivant peut se joindre à nous et nous communiquer ses joies. Ce que nous peinons à vivre en vérité, Marie, elle, l’a vécu pour nous, en notre faveur, et elle le vit toujours et toujours pour nous aussi. Elle est « la mère du bel amour ».

En Marie, sous le vocable du Mont-Carmel, la liturgie nous invite donc à considérer ce que la théologie appelle le sacerdoce commun des fidèles, à le considérer en son excellence unique, réalisée pourtant au cœur de notre histoire, s’exerçant non pas seulement comme une qualité propre de Marie mais comme la capacité pour elle d’œuvrer pour le salut, c’est-à-dire pour que chacune et chacun vive davantage, offrant à Dieu en sacrifice spirituel ses actes, ses paroles, ses pensées mêmes. Tout de Marie peut monter vers Dieu et le réjouir, tout de Marie rend honneur au Dieu créateur, déploie la beauté riche en fécondité sans cesse renouvelée qu’il a voulue pour sa création, tout en Marie chante la vie, la vérité, la bonté, rien en Marie n’est complicité avec la mort. Tout de Marie peut passer vers tous les autres humains, par ses paroles, ses regards, ses gestes, son recueillement, ses attentions. L’Ecclésiastique ose la présenter comme une mère : « la mère du bel amour », celle qui peut nous apprendre à vivre comme elle a vécu, dans la même exigence et la même joie pleine de simplicité, celle dont la mémoire mérite d’être conservée et chantée, par nous ses frères et sœurs en humanité et en Dieu lui-même.

Ce sacerdoce commun des fidèles, don du baptême et de la confirmation, que nous fortifions en chaque Eucharistie et que nous exerçons ou pouvons exercer en tout acte, tout moment et même toute pensée, dès lors que nous puisons nos actes, nos moments, nos pensées dans le sein de la Trinité sainte et les orientons selon l’intention du Dieu vivant, ce sacerdoce commun des fidèles est la substance de votre vie, frères moines, disciples de saint Benoît. La consécration du baptême et de la confirmation est le fondement des vœux que vous avez eu la générosité et l’audace de professer un jour et qui habitent chacun de vos actes, chacun de vos moments, chacune de vos pensées. Vous l’exercez chacun pour votre part et aussi tous ensemble, dans la communion de l’abbaye, sous la conduite sage de votre abbé. Vous le déployez dans la prière des Heures et le travail, faisant de votre abbaye une demeure de Dieu ici-bas, un lieu où la Sagesse du créateur se donne à voir et à contempler, elle qui guide la main des hommes et oriente leurs entreprises vers la mesure juste, l’apaisement du chaos du monde, la mise en ordre de la nature et non moins des passions du cœur humain, un lieu donc où celles et ceux qui le visitent se trouvent portés à tourner leurs regards vers les montagnes où Dieu habite et à glorifier le Créateur.

Seulement, frères et sœurs, la fête du Mont-Carmel nous dit encore quelque chose d’au moins aussi important et d’aussi réjouissant mais peut-être de plus mystérieux, que nous risquons toujours de manquer. Marie n’est la vigne du Seigneur qu’en vue de Jésus et surtout elle ne l’est qu’avec Jésus et même elle ne l’est que par lui. Le Mont Carmel n’est beau et réjouissant que par la libre décision du Dieu vivant de s’abaisser pour y venir et d’ouvrir sa vie la plus intime pour que les humains y puisent, au contraire de leurs pensées de peur et de mort ou de conquête et de domination, de quoi avancer avec confiance et espérance et donner de la joie en partage autour d’eux. Dans le récit de l’évangile selon saint Luc, le cri de la femme : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » vient briser un moment où l’autorité de Jésus était mise en cause : alors même qu’il vient d’offrir à ses disciples la prière du « Notre Père », on l’accuse d’expulser les démons par la force de Béelzéboul. Alors que Jésus vient d’apporter aux humains non pas une formule de prière de plus mais la participation à sa condition de fils, nous rendant capables de devenir des fils et des filles du Père, ses frères et ses sœurs, de quelque race, peuple ou nation que nous soyons, de quelque statut social que nous nous réclamions, de quelques ambitions que nous nous laissions habiter, certains prétendent ne voir en lui que l’œuvre du Diviseur, de celui qui veut défaire l’œuvre du Créateur. Alors même qu’il vient approfondir et réunir et rassembler les humains les plus divers par la nouvelle naissance qu’il propose, certains voudraient le présenter comme un abuseur qui cherche à s’emparer des esprits supposés faibles. Il faudra à Jésus bien autre chose que le cri d’une femme : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! », il lui faudra aller dans sa Passion et l’humiliation de la croix et du tombeau. Alors, oui, « heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » et Marie est la première de ceux-là, elle qui a su méditer la figure du Serviteur souffrant et se laisser entraîner des mystères joyeux et lumineux aux mystères douloureux, et ainsi a pu être entraînée dans les mystères glorieux. 

Notre Dame du Mont-Carmel, toute habitée de la Sagesse de Dieu, ose se présenter comme ayant en elle « toute espérance de vie et de force » ; elle ose venir à nous comme un modèle à suivre et même une mère qui nous enfante à une manière meilleure, infiniment neuve et rajeunissante, de vivre ; elle n’est pourtant pas dupe d’elle-même. Elle sait qu’elle ne comble pas toute faim : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent encore soif », dit-elle, selon l’Ecclésiastique, ce qui est bien différent de la parole de Jésus : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Celle en qui la Sagesse habite pleinement ne peut dire cela ; seul le peut Celui qui est la Sagesse divine faite chair et qui ouvre tout ce qu’il est par le grand Acte de sa Passion, de son cœur transpercé, de sa mort et de sa Résurrection. Pour que la Sagesse devienne non pas un exemple seulement mais une source vivante et vivifiante, il faut le grand Acte de Jésus et ses gestes les plus humbles et les plus décisifs. Il faut le mystère de sa Passion qui dépasse toute sagesse, sa mort humiliée et sa mise au tombeau, sa remise sans réserve entre les mains du Père et la conduite implacable de l’Esprit, devenues par sa volonté des actes confiés à ses apôtres qu’il choisit pour amis, si insatisfaisants soient-ils, afin que tout cela devienne autant de sources de pardon, de restauration, de résurrection, de vie plus forte que le péché et la mort en faveur de la multitude.  Il faut le baptême et la confirmation et l’Eucharistie et le sacrement de la réconciliation, et non moins le mariage et l’ordre et le sacrement des malades, tant de gestes et d’actes de Jésus, enracinés dans la tradition d’Israël, passés dans son cœur à lui, remis aux apôtres, tout cela au prix de son obéissance d’amour vécue et consentie pleinement. Il faut ces gestes du sacerdoce ministériel que vous célèbrerez désormais, Frère Benoît, et il faut ce signe du Serviteur que vous représenterez désormais, Frère Louis-Maxence, par quelques gestes précis et, plus encore, par votre personne configurée au Christ Serviteur. 

Frère Benoît, vous exercerez ce sacerdoce ministériel au profit de vos Frères surtout, afin que votre communauté monastique soit en vérité une vigne du Seigneur Jésus, non pas seulement un beau lieu de sagesse humaine, mais le jardin de cette sagesse-là qui transfigure toute sagesse de ce monde, parce qu’elle ne vient pas de notre peur de manquer et de nos calculs de risque, mais jaillit de l’échange éternel de la Trinité sainte, de l’échange éternel qu’est la Trinité sainte, et se traduit dans l’obéissance et l’offrande sans réserve de Jésus dans lesquelles et par lesquelles seulement les calculs de nos intelligences peuvent être transformés par l’adhésion à la volonté bienfaisante du Créateur. Ainsi sera-t-elle une figure de l’Église espérée. Mieux encore, chaque fois que vous célèbrerez l’Eucharistie –et vous le ferez chaque matin par la Messe-, vous l’offrirez pour l’Église entière, la vigne totale du Seigneur. Vous, Frère Louis-Maxence, votre être de diacre, votre configuration au Christ Serviteur, rappellera à tous que les gestes de Jésus sont faits pour devenir ceux de tous, qu’il veut le Seigneur rendre ses amis capables de porter du beau fruit par lui et pour lui et avec lui. Ainsi chacun de vos Frères et vous-même pourrez être autant de vignes du Seigneur dont les « fleurs sont des fruits de gloire et de richesse ».

Oui, nous pouvons le dire, nous, à la suite de la femme de l’évangile : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » : ce qu’une abbaye, déployant le sacerdoce commun des fidèles, fait voir de la sagesse du Créateur n’est possible en vérité qu’à partir des gestes uniques du Fils unique et bien-aimé qui s’abaisse et obéit jusqu’à la mort et la mort de la croix, ces gestes que vous exercerez désormais, selon la sage détermination de votre abbé, pour que votre abbaye soit une vigne du Seigneur et une « notre Dame du Mont-Carmel » pour chacun des Frères qui la composent, une mère qui les engendre à la vie dans le Christ Jésus, anticipant pour le bien de tous la vie éternelle. Soyez toujours, Frères, pour vos Frères comme pour tous, le rappel vivant que l’offrande consentie de Jésus est la plénitude de la Sagesse de Dieu, le secret de la beauté et de la fécondité de Marie, Marie de Nazareth, la fille de Sion, notre Dame du Mont-Carmel, et qu’elle est, cette offrande, l’espérance de l’Église et de chacun de nous,                                                      Amen. 


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