Homélie pour l'office de la Passion - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 21 avril 2022

Homélie pour l’office de la Passion

le Vendredi-Saint, 15 avril 2022, en l’église Saint-Jacques

En ce soir, frères et sœurs, nous sommes invités à centrer nos regards sur Jésus. Il y a bien des souffrances sur cette terre, il y a sans doute bien des souffrances parmi nous. Mais, en ce Vendredi, nous regardons Jésus et, d’une certaine façon, lui seul.

Nous le regardons sur le chemin de la croix à Jérusalem, il y a deux mille ans, selon le récit que vient de nous en livrer saint Jean. Si nous le regardons bien, si nous nous rendons assez attentifs, nous reconnaîtrons aussi en lui ceux et celles qui meurent sous les bombes en Ukraine ou ailleurs ; nous verrons en lui ceux et celles qui sont torturés en Ukraine ou en Russie ou ailleurs dans le monde, nous retrouverons en lui ceux et celles qui souffrent de la faim ou de la soif où que ce soit dans le monde. En le regardant lui, nous reconnaîtrons les migrants que nos États ont du mal à bien traiter, que nous regardons avec mépris ou colère ou inquiétude, tout autant que nous reconnaîtrons des personnes âgées ou malades que l’on s’efforce de soigner mais que la souffrance ou la douleur et l’angoisse enferment en eux-mêmes. En le regardant, lui, nous reconnaissons encore celles et ceux dont beaucoup pensent qu’ils devraient partir d’eux-mêmes. Nous reconnaissons celles et ceux qui subissent les premiers les conséquences du réchauffement climatique. 

Toute personne humaine et sans doute même tout être qui souffre a été portée par Jésus, rejointe par lui. Chacune et chacun nous dévoile une facette de Jésus autant que Jésus nous apprend à regarder tout être qui souffre, comme un signe de lui-même. « La multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme. » Plus et mieux nous regardons Jésus, seul en sa souffrance, plus et mieux nous sommes capables de prêter attention à celles et ceux qui souffrent de quelque manière et en quelque lieu que ce soit. C’est un des aspects terribles du drame des victimes d’abus dans l’Église : que nous ayons pu ne pas les voir, ne pas les entendre, ne pas leur prêter attention. Comme si Jésus pouvait détourner notre regard de tous ceux-là et de toutes celles-là !

Il est délicat, il est difficile, de dire l’action positive de la souffrance. L’auteur de la lettre aux Hébreux ose la formuler, pour Jésus lui-même : « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ». Nous ne pouvons que contempler la transformation qui s’opère en Jésus et que l’évangile selon saint Jean nous donne de regarder. On l’a présenté à Pilate comme s’il cherchait à être roi des Juifs. Certes, il est roi, nul ne l’est plus que lui, mais pas comme César, même pas comme Pilate pourrait penser l’être. Il ne l’est certes pas pour exercer un pouvoir, pour construire une société terrestre en menant les humains par l’extérieur. Jésus lie sa royauté et le témoignage rendu à la vérité : « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ». « Qu’est-ce que la vérité ? », donc. Elle n’est pas un ensemble d’idées, de propositions justes, elle n’est pas une description du réel. En Jésus, elle apparaît : « Voici l’homme, ecce homo », dit Pilate en le montrant à la foule, après qu’il a été moqué et flagellé. La force, la beauté, la grandeur de l’être humain, la vérité de l’être humain, n’est pas dans ce qu’il possède, dans ce qui tremble à sa voix, elle n’est pas dans ce qui en lui peut séduire ; elle est dans sa capacité à se dépouiller sans se perdre. C’est ainsi que Jésus montre Dieu, c’est ainsi que Jésus dévoile la vérité de l’homme, c’est ainsi que tout homme montre quelque chose de Dieu. Dans sa capacité à se dépouiller sans se perdre. 

Cloué sur la croix, sous le panneau qui porte : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs », Jésus est dépouillé de ses vêtements que les gardes se partagent, et il se dépouille lui-même encore : « Femme, voici ton fils. Voici ta mère ». Pourtant, lorsque le soldat perce son cœur, il en jaillit du sang et de l’eau. Il est plein encore, il peut donner encore et toujours. Il est le Fils bien-aimé, il l’est depuis toujours, mais il a dû non seulement les trente ans de la vie cachée mais encore les trois ans de la vie publique, et encore les heures intenses de la Passion, heures de souffrances à tous les niveaux, pour être conduit à sa perfection, pour être le Fils capable de faire de nous ses frères et ses sœurs, capable de nous donner part avec lui. Il n’est pas tant dépouillé par les hommes que par le Père qu’il écoute et en qui il se laisse conduire.

Frères et sœurs, en contemplant le Seigneur Jésus en sa Passion, nous découvrons toujours mieux que nous ne pouvons être indifférent à aucune souffrance, ou plutôt à aucun être qui souffre. Nous nous découvrons appelés, non pas tant à souffrir qu’à nous laisser dépouiller nous aussi, non par les forces humaines mais par le Dieu vivant qui nous conduit à la vie. Dans le trajet de nos vies, ne négligeons pas les dépouillements qui nous sont imposés. Ne les subissons pas seulement comme des contraintes. Il n’est pas question de laisser faire par des voleurs et des bandits ou des exploiteurs mais de consentir à nous rapprocher, autant que cela nous est donné, de la vérité de notre humanité. Demandons au Seigneur de nous garder d’être cause de souffrance pour d’autres et surtout d’agir comme si notre vie valait mieux que celle d’un autre. Dans la grande intercession de ce jour, nous prions pour que les structures dont nous, humains, avons besoin pour vivre, ne soient pas des sources de dépouillements injustes, et moins encore des sources de mort, qu’elles soient plutôt au service de la vie de tous. Nous intercédons aussi pour ceux et celles qui ne sont guère protégés par des appartenances : les voyageurs, les migrants, les prisonniers, les exilés, les malades… que la contemplation du Seigneur en sa Passion nous garde le cœur attentif à toute souffrance et disponible pour les dépouillements nécessaires,

                                                                                                                    Amen                                                                          

                                                                             


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