Homélie et prière universelle pour la Messe de la Cène du Seigneur, le jeudi 9 avril 2020, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, en confinement - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 10 avril 2020

Homélie et prière universelle pour la Messe de la Cène du Seigneur, le jeudi 9 avril 2020, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, en confinement

Ce soir-là, le diable a mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de faire quelque chose, – car livrer Jésus, c’est faire quelque chose -, tandis que Jésus, pour passer de ce monde à son Père, consent à ne plus rien pouvoir faire. L’heure est venue de la passivité, et cette passivité-là, à cette heure-là, est l’attitude humaine la plus féconde qui puisse être, plus féconde que toute action imaginable ici-bas.

Dans le moment où nous sommes, beaucoup éprouvent douloureusement, à des degrés divers, leur impuissance ou l’impuissance de nos sociétés. Le coronavirus a ceci de déroutant qu’il nous oblige, nous qui sommes si équipés, si armés face à toutes sortes de menaces, si créatifs en tant de domaines, à reconnaître que nous ne pouvons pas faire grand-chose contre lui, sinon tâcher de nous en tenir aussi éloignés que possible. Enfermés chez nous, sans possibilité de rencontrer quiconque de près, nous sommes, pour l’immense majorité d’entre nous, incapables d’agir efficacement sinon en acceptant de diminuer notre activité, habituellement pour beaucoup un peu frénétique.

Ce soir, nous contemplons Jésus : il a beaucoup fait dans les trois ans de sa vie publique ; il a beaucoup marché, beaucoup parlé, beaucoup touché, beaucoup partagé ; il a fait du bien en abondance, il a consolé et promis plus encore. Maintenant, « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde », il lui faut les aimer jusqu’au bout. Ce « jusqu’au bout » passe par le fait d’être livré entre les mains des hommes, sans chercher à se défendre, sans se justifier, sans en profiter pour faire sentir sa force et sa puissance. « L’heure est venue » d’aller jusqu’au bout, dans un surcroît d’amour, qui consiste à se laisser prendre, parce qu’ainsi seulement se donne-t-on sans se chercher soi-même. Dans le secret de son cœur, à l’intime de sa volonté humaine habitée par sa liberté éternelle de Fils, il apprend, ce soir, à faire de l’impuissance où il est conduit un don, libre et généreux, un don détaché de lui-même. Ce don-là, le Père peut le rendre porteur de fécondité pour tous.

Face au mal qui sévit dans le monde, face au péché qui habite le cœur des êtres humains, Jésus a fait beaucoup. Mais il vient un moment où il faut reconnaître qu’aucune action ne suffit, qu’aucune action n’est à la hauteur, qu’aucune parole ajoutée à toutes les autres ne convaincra davantage ou n’éclairera mieux. Jésus entre dans l’impuissance où le Père l’appelle ; il n’y entre pas par résignation, pour un ultime défi, mais dans son abandon filial au Père qui, seul, peut d’un seul faire le principe d’une vie nouvelle pour tous les hommes.

Il passe de ce monde au Père et ce passage-là, il aspire à l’ouvrir pour tous. Il aspire à ce que nous y entrions tous, mais il n’a plus d’autre moyen, pour nous encourager à aller vers le Père par nos routes terrestres, que de nous laver les pieds et puis de se laisser saisir et mettre à mort. Dans la Pâque ancienne, le Dieu vivant a exercé ses jugements contre l’Égypte et ce fut redoutable, « à main forte et à bras étendu », et il a passé sur le peuple d’Israël, couvert par le sang d’un agneau et par l’espérance qu’il deviendra le peuple de Dieu, le peuple selon son cœur. Ce soir-là, dans cette Pâque-là, le Père fait entrer son Fils, seul, dans ce que lui seul peut vivre, parce que, Lui, le Père, peut faire de ce passage une trouée vers tous et chacun des humains. Le passage vers le Père, même le Fils ne peut le réaliser de lui-même. Il ne peut que s’y laisser conduire. Il consent, ce soir, à être impuissant et à ne pouvoir rien faire de mieux, rien faire de plus pour ses amis que de leur laver les pieds, même à celui que le compagnonnage avec lui n’a pas suffi à purifier.

Son consentement à l’impuissance devient l’acte le plus fécond qui soit jamais monté de notre terre. Lui, Jésus, le sait à l’avance parce qu’il sait que le Père l’exauce toujours. En rendant grâce, en rendant grâce au Père, il a rompu et distribué le pain en en faisant, d’une parole, tout lui-même livré pour nous, il a donné la coupe à boire en en faisant, d’une parole, tout lui-même répandu en notre faveur, et ce faisant, il a fait don à ses disciples du consentement à son impuissance, se remettant et nous remettant au Père. Que peuvent des pieds lavés pour sauver le monde, que peut un corps livré et que peut le sang versé d’un homme face au mal, à la maladie, à la souffrance, aux catastrophes, mais encore à l’injustice, à la peur, à la violence, au besoin de prendre et de détruire ? Que s’est-il passé, ce soir-là, qui vaille face aux besoins et aux angoisses et aux projets et aux constructions des hommes ? Quelques gestes anodins, quelques paroles en apparence disproportionnées, mais s’y exprimait le cœur entier du Fils fait homme, qui nous donne de puiser à jamais dans son consentement, comme on va puiser à une fontaine qui jamais ne s’épuise : « Chaque fois que nous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. »

En chaque Eucharistie, nous puisons dans l’acte intérieur du Christ Jésus. Nous le laissons nous y rejoindre, autant qu’il le peut, et nous unir à lui autant que nous sommes capables de nous laisser faire. Ce faisant, nous recevons du Père ce qu’il faut pour que nos actes et, même nos pensées, soient imprégnés de ce qui habitait le cœur de Jésus ce soir-là et à jamais.

Nous, évêques, prêtres et diacres, nous avons beaucoup d’occasions d’admirer la foi des baptisés en ce saint sacrement. Nous sommes mis à part pour eux, acceptant de n’agir en ce monde qu’avec les moyens de Jésus, peu efficaces aux yeux du monde. Nous nous émerveillons de percevoir la transformation des cœurs qui s’opère et qui se traduit dans un geste, une parole, une attitude, et souvent par un silence, un consentement dans l’épreuve qui n’est pas renoncement résigné mais acceptation libre au passage que l’on ne peut faire de soi-même.

Alors, frères, et vous tous frères et sœurs qui, peut-être lirez cette homélie, entendons notre Seigneur : « Vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous »,

                                                                                                          Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort

PRIÈRE UNIVERSELLE

rédigée par des paroissiens de la Cathédrale-Saint-Jacques

  • Nous t’avons vu, Seigneur, agenouillé devant l’homme pour lui laver les pieds. Par ce geste, tu nous invites à nous mettre, nous aussi, au service de nos frères. Nous te confions toutes celles et ceux dont c’est l’ordinaire du quotidien lorsqu’ils font la toilette des malades et des personnes âgées.

Seigneur, nous te prions.

  • Nous t’avons vu, Seigneur, partager le pain et le vin et nourrir tes apôtres. Par ce geste, tu nous invites à partager avec nos frères et sœurs en manque de nourriture. Nous te confions toutes celles et ceux qui agissent au CCFD-Terre solidaire et qui comptent peut-être encore sur notre offrande de Carême. Donne-leur d’être encouragés dans leur mission grâce à notre générosité.

Seigneur, nous te prions.

  • Nous t’avons entendu, Seigneur, prononcer les paroles de consécration du pain et du vin. Nous te confions notre Pape François, nos évêques et tous nos prêtres qui redisent tes paroles et refont tes gestes aujourd’hui. Fortifie ton Eglise afin qu’elle porte, au-delà de ce temps de confinement, le Pain de Vie à toutes celles et ceux qui ont faim de Toi.

Seigneur, nous te prions.

  • Nous t’avons entendu, Seigneur, rassurer tes disciples angoissés par la perspective de ton départ : « Que votre cœur ne se trouble pas ». Aujourd’hui, Seigneur, nombreux sont celles et ceux qui vivent dans l’angoisse de la maladie et même de la mort. Nombreux sont celles et ceux qui vivent dans la peur du chômage, la crainte de ne pouvoir payer leurs charges, de rater leur année scolaire ou universitaire. Que tous soient, comme tes disciples, rassurés en te faisant confiance.

Seigneur, nous te prions.


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