Homélie du dimanche 7 juin 2020, fête de la Sainte Trinité - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 9 juin 2020

Homélie du dimanche 7 juin 2020, fête de la Sainte Trinité

Homélie pour le dimanche de la Sainte Trinité, année A, le 7 juin 2020, en la chapelle de la Maison diocésaine Saint-Sixte.

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » : ces paroles, frères et sœurs, il suffit de les écouter. A nous de les laisser s’imprimer profondément dans notre mémoire, dans la mémoire de notre cœur. Dans l’évangile selon saint Jean, nous les trouvons à la suite du récit de la rencontre de Jésus avec Nicodème, un pharisien plein d’attentes, qui vient trouver Jésus de nuit, en cachette des autres, pour mieux le connaître. Mais, en lisant le texte de saint Jean, nous ne pouvons savoir qui dit ces paroles : est-ce Jésus lui-même ? Est-ce l’évangéliste qui commente ? En tout cas, en ces quelques mots nous est livré le secret de Dieu et le secret le plus important concernant notre monde. Quel est ce monde que Dieu peut aimer à ce point ? « Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Laissons aussi cette parole s’inscrire en nous, laissons-la retentir en nous au long de cette journée.

Nous savons tous que notre foi de chrétiens se caractérise par notre foi en Dieu Trinité et nous pensons tous ne pas pouvoir en dire grand-chose. Nous redoutons d’avoir à en parler. L’évangile qui vient d’être proclamé, ces quelques lignes de saint Jean qu’il est si bon et si doux d’entendre, devrait nous persuader pourtant que rien n’est plus décisif, rien n’est plus important, que de pouvoir contempler Dieu Père et Fils, l’un donnant et envoyant l’autre, puisque c’est la clef même, le secret, de la destinée de notre monde, de notre humanité, de chacun de nous. Ce que nous appelons le « dogme de la sainte Trinité » n’est pas une complication que des gens qui se croyaient savants auraient ajouté à la foi initiale, en des temps lointains et abscons. Il a fallu préciser la foi des Apôtres pour rendre clair le fait essentiel : nul moins que Dieu est venu à notre secours. Pour tirer les hommes de la mort et de l’esclavage du péché, Dieu n’a pas envoyé une créature supérieure, un ange ou un surhomme. Il est venu lui-même, il est entré dans notre condition humaine, dans notre histoire, dans notre drame, pour le prendre tout entier en lui. Celui qui est venu se présente comme le Fils : dans le « Je crois en Dieu », nous disons « de même nature que le Père » mais il serait plus juste de dire : « consubstantiel au Père », d’un mot choisi par le concile de Nicée en 325, non pour nous embrouiller mais pour nous garder des fausses pistes. Le Sauveur n’est pas un être second ni un être de second rang. Il est Dieu jaillissant éternellement de Dieu. Tout en lui est de Dieu et est Dieu, rien ne le distingue du Père, sinon que l’un est engendré et peut être envoyé, tandis que le Père engendre et envoie. D’ailleurs ce qu’il nous donne n’est rien moins que Dieu non plus, et c’est pourquoi nous confessons : « Je crois en l’Esprit-Saint qui est Seigneur et qui donne la vie ». Car l’Esprit-Saint n’est pas non plus une chose que Dieu prendrait dans son trésor pour nous la tendre, l’Esprit-Saint est non moins Dieu que le Père et le Fils, mais il jaillit de l’union du Père et du Fils, et il nous est donné pour nous intégrer dans la communion éternelle du Père et du Fils. Tel est en effet le salut : entrer dans la vie même de Dieu. Non pas seulement être tiré d’un lieu de misère pour être placé dans un pays de lait et de miel, mais vivre de la vie même qui jaillit du Père et engendre le Fils et suscite l’Esprit. Pour le dire autrement, le Dieu vivant n’a rien d’autre à nous donner que lui-même.

« Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » Quel regard le Dieu vivant peut-il porter sur le monde ? Peut-il s’en réjouir, peut-il le juger bon, voire très bon ? Peut-il se réjouir de l’avoir créé, de l’avoir rendu possible ? La réponse nous est donnée par notre propre manière de nous regarder, de nous juger nous-mêmes et de regarder et juger les autres, les innombrables autres de l’humanité entière. Le Créateur ne condamne pas le monde, il agit pour le sauver. Il se mobilise tout entier, il déploie tout ce qu’il est, pour venir œuvrer au cœur même du monde, au cœur même de notre humanité. Il ne se contente pas de passer devant Moïse en le couvrant de sa main et en faisant retentir son nom de miséricorde ; il vient lui-même, se faisant dans le Fils le nouveau Moïse qui n’a pas besoin de monter sur une montagne particulière pour contempler Dieu, parce qu’il est en lui-même le Fils qui se reçoit du Père et lui retourne tout en action de grâce, suscitant le surcroît de l’Esprit-Saint. Nous pouvons croire et, en un sens, nous devons croire, que Dieu nous aime à ce point. Au point de répondre à notre péché, à notre refus, à notre dérobade, par un don redoublé de lui-même. Le dogme de la Trinité ne dit que cela :  le Dieu vivant est une plénitude, un jaillissement de vie et d’amour tel que, devant le drame de notre volonté de nous faire nous-mêmes par nous-mêmes, il livre encore davantage le don mutuel qu’il est en lui-même. « Celui qui croit en lui échappe au Jugement », puisque croire en lui, c’est croire qu’il ne met pas le péché en lumière pour nous condamner, nous rejeter, nous détruire, mais pour pouvoir redoubler le don initial, tandis que « celui qui ne croit pas est déjà jugé » puisqu’il refuse de faire confiance qu’un chemin de vie lui est ouvert malgré tout.

Alors, frères et sœurs, croire en Dieu Trinité, n’est certainement encombrer son esprit d’une notion incompréhensible. Ce n’est pas seulement non plus répéter une formule que des personnes autorisées vous présentent, en se contentant de la redire, sans se permettre de la comprendre. Croire en Dieu Trinité n’est pas qu’une question d’orthodoxie, cette foi-là commande une attitude, elle se vérifie dans le cours concret de notre vie. L’Apôtre Paul le décrit aux Corinthiens et à nous tous : « Soyez dans la joie, cherchez la perfection, encouragez-vous, soyez d’accord entre vous, vivez en paix. » Celui qui croit en Dieu Trinité ne vit pas seulement dans un cosmos rempli de lois physiques complexes, ni seulement dans un monde social confortable pour certains et dur pour d’autres. Celui qui croit en Dieu Trinité vit dans l’immense espace ouvert entre le Père et le Fils et rempli du souffle de l’Esprit-Saint, il vit porté par le don du Père au Fils et l’action de grâce du Fils au Père, de sorte que son goût de vivre, ses enthousiasmes, ses passions, ses engagements, mais aussi ses lassitudes, ses dégoûts de lui-même et des autres, ses peurs et ses inquiétudes, tout cela exprime l’accueil du Fils envoyé par le Père ou son refus, traduit l’approche du Fils qui vient nous remettre sur le chemin de la vie et l’effort qu’il faut à chacun de nous, la transformation intérieure plutôt qu’il faut consentir, pour que la largeur, la hauteur, la profondeur de Dieu deviennent nos dimensions intérieures.

Dans l’Église, dans notre communauté chrétienne, nous sommes appelés à nous rassembler non parce que nous appartiendrions à la même race ou à la même ethnie, non parce que nous aurions une histoire en commun ou des intérêts à partager, mais tout simplement parce que nous nous reconnaissons comme appartenant à ce monde que Dieu a tellement aimé et que nous non plus nous ne voulons pas juger, mais nous laisser saisir avec les autres par le grand geste de don et de livraison que le Père consent dans le Fils pour que l’Esprit puisse venir habiter en nous. Alors, frères et sœurs, même si la prudence sanitaire nous interdit de nous approcher les uns des autres, entendons l’Apôtre : « Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix. Tous les fidèles vous saluent ». Parce que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu consubstantiel, notre salut mutuel n’est pas qu’une politesse, une manière d’adoucir nos rapports un instant, il confesse notre foi que tout notre être est pris dans l’élan qui jaillit du Père et unit à jamais le Père et le Fils, se donnant l’un à l’autre d’un don qui suscite une vie plus grande encore. Puissions, frères et sœurs, nous retrouver de dimanche en dimanche avec une joie renouvelée, puissions-nous oser vivre la fraternité entre chrétiens, au nom de notre foi et non pour d’autres raisons. Alors, le Dieu vivant et trine sera tout proche de nous, et il nous dilatera, faisant éclater toute sclérose,

                                                                                                                          Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


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