Homélie du 7 juillet 2024, pour le 14ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 8 juillet 2024

Homélie du 7 juillet 2024, pour le 14ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 14ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 7 juillet 2024, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

« Jésus se rendit dans son lieu d’origine. » Ainsi en va-t-il souvent, frères et sœurs, d’un jeune homme ou d’une jeune femme qui a lancé sa vie dans la direction qu’il ou elle a choisie. Ce jeune homme, cette jeune femme, revient vers ses parents, ses frères et sœurs, pour recevoir d’eux approbation, encouragement, bénédiction. Il ou elle commence à s’écarter de sa famille, « à quitter son père et sa mère », comme l’avait annoncé le livre de la Genèse, mais il ne peut et ne veut le faire, elle ne veut et ne peut le faire, qu’en recevant des siens l’assurance de leur approbation ou de leur consentement. Ainsi en a-t-il été de Jésus. Les trois évangiles synoptiques nous rapportent le récit de ce « retour à Nazareth », chacun avec ses nuances. Saint Luc y attache une importance particulière ; il donne des détails laissés de côté par les autres. Surtout, il insiste sur un point précis, absent de l’évangile selon saint Marc qui a été proclamé aujourd’hui. Selon saint Luc, ces retrouvailles commencent dans l’émerveillement mais finissent dans le drame tout juste évité, puisque les « siens », ceux de Nazareth, voulaient jeter Jésus depuis un escarpement sur lequel la ville est construite. Saint Marc est plus ramassé, il donne moins de détails, mais il résume la réaction des habitants de Nazareth par ces mots : « Ils étaient profondément choqués à son sujet. » Dans tous les récits, ce « retour à Nazareth » se solde par un échec. Disons, en première approche, que Jésus, commençant sa vie publique, entrant dans sa mission, vient chez les siens comme pour recevoir leur approbation et même leur approbation, mais les choses tournent mal. Une grande incompréhension s’établit. Dans le récit de saint Marc, elle conduira assez vite à ce que « les siens » jugent que Jésus est devenu fou, qu’il déshonore sa famille, et ils iront à Capharnaüm pour essayer de le ramener.  C’est ainsi que bien des jeunes gens se sont trouvés empêchés ou détournés de leur vocation, à cause de l’incompréhension de leurs proches et des obstacles mis sur leur chemin. Rien ni personne n’arrête Jésus, mais il est significatif et important pour nous qu’il n’ait pas voulu engager la phase publique de sa vie sans au moins essayer d’y associer les siens, ceux et celles avec qui il avait partagé ses années d’enfance et d’adolescence, un peu prolongées dans les premiers temps de son âge adulte.

Chez saint Luc, ce qui fait tout basculer est le refus de Jésus de réserver ce qu’il apporte et ce qu’il réalise, dont ils en ont entendu parler comme de prodiges, à ceux de sa maison ou de sa parenté. Au contraire, il leur rappelle que les prophètes d’Israël n’ont fait des miracles de ce genre qu’en faveur des païens, non pour le peuple élu. Jésus, en saint Luc, insiste dès le commencement sur la dimension universelle de sa mission. Il est venu pour l’humanité entière, en commençant, le cas échéant, par les plus éloignés, ceux et celles qui n’ont pas été touchés encore par l’alliance de Dieu avec le peuple choisi. Les siens, Jésus voudrait les embaucher comme acteurs de son salut avant même d’en faire des bénéficiaires, et sûrement pas en faire les destinataires exclusifs de sa venue. Au contraire, il compterait plutôt sur eux pour partager avec tous ce qu’il vient leur donner.  Saint Marc, lui, concentre tout le propos de ce récit sur un seul point : la foi. « Il s’étonna de leur manque de foi. »  Cela aboutit à une distinction qui peut nous surprendre :  Jésus, nous l’avons entendu, a guéri quelques malades, mais il n’a pu faire de miracles, de gestes de puissance. Parfois nous avons l’impression que nous nous contenterions volontiers de quelques guérisons, tant la maladie peut affecter tel ou tel et être lourde à porter et redoutable en conséquences. Pourtant, l’évangile nous appelle à ne pas confondre les guérisons, somme toute banales et d’ailleurs assurées plutôt pour nous par la médecine, et les « miracles » ou « signes de puissance », selon le grec, qui, eux, supposent la foi. Tout le monde peut bénéficier d’une guérison et en être reconnaissant, mais seuls ceux et celles qui ont la foi peuvent accueillir un miracle et s’en laisser traverser et transformer.

Car ce que saint Marc appelle « miracle » ne consiste pas à améliorer temporairement ou localement, pour une personne ou une autre, la situation face à une épreuve – cela est de l’ordre de la « guérison ». Le « miracle » que veut faire Jésus mais qu’il ne peut faire que s’il rencontre l’attitude bien précise que saint Marc appelle « la foi », est une percée du Règne de Dieu en ce monde terrestre. Il n’est pas un soulagement passager ou limité, mais l’ouverture d’un passage en ce monde-ci vers le monde qui vient ou bien une anticipation du monde qui vient, du monde de l’éternité, dans notre monde humain. En d’autres termes, Jésus n’est pas venu et ne vient pas pour résoudre nos problèmes de manière temporaire et temporelle, il vient pour nous transformer, nous, en nous ouvrant à la foi, l’espérance et la charité, pour que nous vivions, dès maintenant notre condition humaine d’une manière que la tradition catholique a appelée « surnaturelle », non en devenant des sur-hommes immunisés de tout danger, mais en entrant dans la sainteté de Dieu et en acceptant d’aller les uns vers les autres en commençant, malgré nos faiblesses et par-delà nos faiblesses, des relations qui puissent être celles de la vie éternelle. C’est pourquoi Jésus ne fait pas, pour rester dans le vocabulaire de saint Marc, des guérisons seulement -celles-là, il les fait presque sans le vouloir, parce qu’il ne peut s’empêcher de faire du bien aux humains-, mais des « miracles », des gestes donc dans lesquels la totalité de l’histoire du salut se concentre et s’ouvre à sa plénitude pour nous saisir et nous faire vivre d’une manière nouvelle.

Nous l’entendons dans la bouche des gens de Nazareth : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? ». Ils reprochent à Jésus de prétendre apporter quelque chose d’autre, quelque chose de vraiment neuf, une sagesse inédite et des miracles qui annoncent et qui ouvrent en même temps une autre manière de vivre la condition humaine. S’il venait juste apporter quelques remèdes et quelques améliorations, qui pourrait lui faire des reproches ? Mais ce qui trouble et choque à Nazareth, c’est que ce Jésus qui n’est, après tout, que l’un d’entre eux prétende apporter ce que nul ne peut se procurer à lui-même et les entraîner à vivre d’une manière neuve par rapport à leurs habitudes. Ici, frères et sœurs, nous pouvons nous sentir concernés. Car Jésus est l’un des nôtres, à nous que l’on appelle souvent aujourd’hui « chrétiens pratiquants ». Il serait plus exact de dire que nous sommes à lui, et c’est souvent ainsi que nous nous présentons, mais, de manière plus ou moins consciente, il nous arrive assez facilement de faire comme si lui était des nôtres et donc devait rester dans les limites auxquelles nous sommes habitués. Nous risquons toujours de ramener Jésus à notre mesure, d’attendre de lui qu’il résolve nos problèmes et nous apporte des solutions qui nous dispensent des épreuves de ce monde, tandis que, lui, vient nous tirer vers sa manière d’être et de vivre à lui, sa manière à lui de servir l’œuvre du Père, sa manière à lui de ne concevoir sa vie terrestre qu’à l’intérieur et en vue du règne du Père.

Saint Paul a vécu cette transformation nécessaire. Au moment de sa conversion, lorsque, lui, ennemi et persécuteur des chrétiens parce qu’il voyait en eux un danger pour Israël, le peuple élu de Dieu, mélangeant les Juifs avec les païens, partageant aux païens ce qui était fait pour les Juifs, a été renversé sur la route de Damas par le Ressuscité qui veut ne faire qu’un avec ses disciples pour les associer à son œuvre. Ensuite, au moment dont nous avons entendu le récit fait par Paul lui-même dans sa seconde lettre aux Corinthiens : il a compris, lui, Paul, que Dieu voulait le laisser dans une certaine faiblesse, une certaine fragilité, dont nous ignorons la nature, parce que ce qu’il avait à faire venait de Dieu et ne pouvait être l’œuvre de ses seules mains. Pas seulement en raison de la taille ou de l’ampleur de l’œuvre à accomplir, mais parce que ce que Dieu, dans et par le Christ, veut faire des humains n’est rien d’autre que la participation au mouvement le plus intérieur de Dieu, du Dieu Trinité dans lequel le Père et le Fils et le Saint-Esprit se désapproprient sans cesse d’eux-mêmes pour se recevoir de l’autre. A l’échelle humaine, cela se réalise dans le fait que notre grandeur ne vient jamais de la maximisation de nos compétences, de nos savoirs, de nos réalisations mais, par-delà tout cela qui peut être et être bon, mais qui peut aussi ne pas être, de notre capacité à accueillir ce qui nous prend par surprise, ce qui nous ouvre à plus grand que nous-mêmes, ce qui nous fait réaliser ce dont nous nous pensions incapables mais qui peut nous être donnés.

Frères et sœurs, en ce dimanche, demandons ensemble cette grâce : que jamais nous ne réduisions Jésus à notre représentation. Que nous ne limitions jamais les possibilités de Dieu, comme voudraient le faire ceux et celles à qui le prophète Ézéchiel est envoyé et comme les habitants de Nazareth qui voulaient maintenir Jésus dans leurs cadres mentaux à eux. Que, toujours, au contraire, nous reconnaissions la vérité de Jésus en nous en ce qu’il nous fait accepter ce que nous ne voulions ni voir ni entendre ; en ce qu’il nous fait donner ce que nous voulions garder pour nous ; en ce qu’il nous fait supporter ce qui nous paraissait insupportable ou odieux, mais non pas en nous y résignant mais en étant remplis d’espérance ; en ce qu’il nous fait nous réjouir de nos faiblesses parce qu’elles nous obligent à avoir besoin de la bonté, de l’attention, du respect, mais aussi de la charité de quelques-autres par qui Dieu s’approche de nous,

                                                                                                                    Amen.


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