Homélie du 4 février 2024, pour le 5ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 6 février 2024

Homélie du 4 février 2024, pour le 5ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 5ème dimanche du Temps Ordinaire, année B, le 4 février 2024, en l’abbatiale Notre-Dame du Val-d’Igny

Dimanche dernier, l’évangile nous faisait suivre « Jésus et ses disciples », comme le proclamait le début de lecture liturgique, entrant à Capharnaüm. Nous pouvions comprendre que notre place était là, dans le groupe formé par Jésus avec les quatre premiers disciples qu’il s’attache et avec lesquels il a décide de faire un désormais, leur faisant partager tout ce qu’il fait ou dit, tout ce qu’il éprouve ou vit. Comme Simon et André, Jacques et Jean, avec lui, donc, nous entrions dans Capharnaüm, c’est-à-dire, pour nous, dans notre monde, dans le monde tel qu’il est. De même qu’eux habitaient déjà à Capharnaüm mais avaient à y entrer de nouveau et comme à neuf, à la suite de Jésus et unis à lui, de même nous avons à entrer dans le monde où nous sommes, comme à neuf, en membres vivants du Corps du Christ, unis à Celui qui est notre tête, dont nous nous réjouissons qu’il soit notre tête, d’un lien impossible à défaire.

Aujourd’hui, le même mouvement se poursuit. Le texte grec nous dit qu’« aussitôt sortis de la synagogue, ils allèrent dans la maison de Simon et André », mais la légère réécriture liturgique reprend le syntagme, et c’est intéressant, « Jésus et ses disciples ». Ils vont dans la maison. Lorsque l’évangéliste nous montre Jésus s’approchant de la belle-mère malade, la saisissant par la main, la faisant lever, nous pouvons comprendre que nous sommes là dans ce geste, nous chrétiens d’aujourd’hui. Car, ce jour-là, à Capharnaüm, Jésus a sans doute tiré de la fièvre une femme qui était la belle-mère de Simon, mais en cette femme et par elle, parce qu’elle était membre de l’humanité et sans doute aussi parce qu’elle était juive, membre du peuple de l’Alliance, le Seigneur tendait la main vers toute l’humanité, à bien des égards malade, fiévreuse ; il s’approchait de l’humanité entière, la saisissait par la main, la faisait lever, – et saint Marc emploie ici le verbe de la résurrection. En cette femme commençait le grand geste du salut, le Fils de Dieu s’abaissant pour s’approcher au maximum afin de tirer l’humanité et, en elle, chaque être humain pour le tirer vers une vie autre, la vie pleine, la vie dégagée de tout ce qui la fragilise, la corrompt, la lie à la mort. En contemplant ainsi ce geste, il est important que nous notions que la figure de la vie en plénitude n’est ni la possession, ni la domination, ni le repos : c’est le service, humble et silencieux service : « Et elle les servait ». L’humanité, dans son immense diversité, n’a pas été créée pour la mort, elle n’a pas été créée pour être faible et fébrile ; elle n’a pas non plus été créée pour être prédatrice ou dominatrice ; l’humanité a été créée pour servir et chacune et chacun de nous en elle.

L’Église, et chacune et chacun de nous en elle, est donc associée à ce grand geste de Jésus qui a commencé là, à Capharnaüm, dans la synagogue, dans l’intimité de la maison de Simon et André, auprès de la belle-mère de Simon, qui s’est poursuivi dans la soirée en faveur de tous ceux qu’on a pu amener alors à Jésus et qui ne se finira que la résurrection finale. L’Église, par toute son action et, avant tout, par son être, est appelée à prolonger ce grand geste ou, pour mieux dire, à le rendre visible et perceptible, au moins un peu. Elle le fait par son action sacramentelle et de bien d’autres façons, par son attention aux personnes, son service des pauvres, son appel à la justice. Elle le fait surtout en appelant notre humanité à ne pas se laisser aller à sa médiocrité, à ne pas se laisser glisser sur sa plus grande pente, mais à viser les hauts chemins, la route de crête, vers le haut sommet. Bien sûr, nous rêvons parfois, nous chrétiens habitués, de voir de nos yeux la fièvre quitter telle personne, la maladie s’éloigner, à notre seule prière, sur notre seule demande ; nous rêvons de voir des causes d’angoisse disparaître, des situations s’améliorer soudainement, « miraculeusement » aimons-nous dire. Mais le Seigneur Jésus ne s’associe pas forcément son Église pour libérer l’humanité des maladies corporelles. Il se l’unit surtout, il voudrait surtout se l’unir pour lutter contre les maladies de l’âme. Sans doute le livre de Job nous donne-t-il de ces maladies la meilleure des descriptions : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. » Vivre pour ne faire que survivre, vivre en se préoccupant seulement de manger et de boire jusqu’à demain : il est affreux que des êtres humains puissent être réduits à vivre ainsi et il faut lutter avec force contre tout système qui y obligerait ; mais il est plus affreux encore que des êtres humains s’en satisfassent, que peu à peu ils réduisent leurs ambitions à cela : à leur nourriture, à leur confort, à leurs plaisirs, sans souci de construire, sans chercher à se dépasser, sans se donner pour quelque raison que ce soit, seulement en prenant, en s’appropriant, en cultivant, parfois avec raffinement et subtilité, le seul fait de jouir de soi. Voilà la maladie de fond qui rend l’humanité malade, le mal profondément ancré, que toute la vie sacramentelle de l’Église dénonce et combat, que la Parole qu’elle porte vient expulser, en appelant à vivre vers plus haut et plus grand et à se donner sans compter.

Dans les commencements du ministère de Jésus, rien ne paraît plus aisé que les guérisons et les exorcismes : il prend la main et relève la femme et la fièvre la quitte, il dit un mot et les démons lâche l’homme qu’ils avaient investi. Le secret de cette facilité nous est cependant montré : « Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait ». Voilà le secret de Jésus, la source profonde de sa force et de son apparente facilité à vaincre. Mais s’il est aisé pour lui de se faire obéir des démons, il est venu en réalité pour se faire obéir des humains, et c’est une autre paire de manches. Il est venu pour guérir nos libertés abîmées, pour redresser nos désirs incurvés, pour élargir nos espaces contractés, et tout cela exige de lui un don qu’il ne peut puiser que dans l’envoi par le Père : « Là il priait ». Jésus n’est lui-même que comme le Fils du Père, il ne peut agir que dans l’envoi originel et toujours renouvelé, toujours demandé, toujours aimé, de la part du Père. Dans le Corps de l’Église, vous êtes, mes Sœurs, vous et beaucoup d’autres, la part de la prière dans un endroit désert, au matin, bien avant l’aube. Les monastères sont, pour l’Eglise sa part de la fin de la nuit. Et c’est pourquoi l’Église a dramatiquement besoin de vous, mes Sœurs. Dramatiquement, car être associée à l’œuvre du Christ, à son grand geste, est servir un combat, mener un combat. Avec lui et en lui et par lui, s’approcher des âmes malades et les saisir par la main, pour peu que quelqu’un l’ait demandé, cela exige un engagement coûteux que seule la prière, comme remise au Père, peut rendre possible. L’Église, en sa part apostolique, ne peut le faire avec sérieux qu’en étant aidée par vous, par votre intercession, par votre sanctification, par votre suite ardente du Seigneur Jésus. Priez, mes Sœurs, priez pour que jamais l’Église n’arrête en toutes ses parties d’aller vers les autres, de s’intéresser à ce qui est vécu en dehors d’elle, pour que toujours elle ait l’audace de proposer à tous et à chacune ou chacun ce qui serait le meilleur pour tous.

A l’écoute de cette page d’évangile, tout le monde comprend l’insistance de saint Marc : Jésus n’est pas venu, le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu ne s’est pas fait homme pour la seule communauté des habitants de Capharnaüm. Il a passé là, il a donné quelques signes du Royaume tout proche, il a entamé le grand geste par lequel il vient vers l’humanité entière, mais il doit partir, aller vers tous, semer, partout, les graines, les germes, de ce Royaume. Les disciples qu’il s’adjoint, l’Église qu’il suscite et qu’il s’associe, reçoit le pouvoir de rendre présent au long des âges et actif en tout lieu, pour toute personne, ce grand geste du Sauveur. D’où le départ, au petit matin, vers d’autres villes et villages, pour proclamer la bonne nouvelle. Car cette bonne nouvelle doit être entendue. Elle sera ou non reçue, elle produira ou non tous ses effets. En réalité, elle les produit toujours, même quand elle suscite le rejet, car ce rejet, Jésus s’apprête à l’affronter et à le dépasser dans sa Passion. D’où l’exclamation de l’Apôtre : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! », « Malheur à moi si je n’annonce pas la bonne nouvelle », la bonne nouvelle de l’approche du Royaume, la bonne nouvelle de la victoire finale et totale du Sauveur. Mes Sœurs, Frères et Sœurs, nous proclamons l’évangile, la bonne nouvelle, par nos paroles, nos explications, notre confrontation avec le monde qui nous entoure, mais surtout nous la faisons retentir, cette bonne nouvelle, nous la faisons sentir, par notre vie, par note manière de vivre, si semblable à celle de tout autre et si différente. Voilà aussi, mes Sœurs, comment vous prenez part à la mission de l’Eglise. Par votre vie de communauté votre choix de dépendre les unes des autres à jamais ; par votre vie de chasteté et votre renoncement au mariage, votre choix que l’union avec le Christ occupe toute votre vie affective ;  par votre vie de pauvreté, c’est-à-dire de renoncement à la propriété personnelle, vous rendez visible une autre manière de vivre, une intensité de la condition humaine qui n’est pas soumise seulement aux travaux du manœuvre mais qui vise, dans l’épreuve et dans la joie, la plénitude éternelle.

Mes Sœurs, frères et sœurs, partons, chaque matin, avec le Seigneur. Que, dès avant l’aube et jusque dans le secret de la nuit, son mouvement à lui nous entraîne dans le cours des années et vers tous ceux et toutes celles dont il se fait le frère,

                                                                                            Amen.


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