Homélie du 4 août 2024, pour le 18ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 26 août 2024

Homélie du 4 août 2024, pour le 18ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour la messe du 18ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 4 août 2024, en l’abbatiale de Saint-Pierre-sur-Dives

Frères et sœurs, une fois n’est pas coutume, permettez-moi de vous partager d’abord un souvenir de voyage et quelques réflexions sur l’actualité.

Il se trouve qu’il y a dix jours j’étais au Rwanda, le pays d’origine des PP. Donat et Materne. Une des images fortes que j’en rapporte est celle des foules de gens marchant le long des routes. Le Rwanda est un petit pays, très peuplé. Partout, des villages ou des hameaux ; partout des champs à cultiver ; et donc, le long des routes, des hommes, des femmes, des enfants, qui vont, la houe sur l’épaule, partant aux champs ou en revenant, ou portant de l’eau ou du bois, ou poussant, dans les montées, des bicyclettes, chargées de planches, de sacs de pommes de terre ou de fruits… De tout ce mouvement se dégage une certitude : dans ce pays, l’immense majorité des gens travaillent chaque jour pour leur subsistance. La question du pain à manger que porte l’évangile de ce jour les concerne au premier chef. Ils ne vont et ne viennent pas pour leur plaisir, pour se cultiver, pour se détendre, pour se maintenir en forme ; ils marchent pour aller travailler et ils travaillent pour subsister. Ainsi vivait aussi la population de la Palestine du temps de Jésus, tout ce petit peuple d’Israël qu’il rencontre en Galilée et dont il a voulu être issu. Pour ces Juifs, la mémoire de la manne, la nourriture que Dieu donnait dans le désert, selon le récit de l’Exode, pouvait le fasciner, comme la mémoire d’une période bénie. Nous avons entendu en première lecture la promesse de Dieu, mais ne l’oublions pas cependant : de Dieu agacé par les récriminations du peuple : « Je vais faire pleuvoir du pain pour vous. » Quand on travaille dur chaque jour pour un pain incertain, on rêverait que le pain tombe du ciel aussi naturellement que la pluie mais ce n’est pas exactement l’idéal visé par Dieu.

De bien des manières, les élections européennes et législatives juste passées ont rappelé que, dans notre pays, beaucoup de citoyens avaient le sentiment de ne plus pouvoir vivre vraiment, de survivre seulement. Cette formule a été beaucoup entendue lors des manifestations des « gilets jaunes ». Or, l’être humain n’est pas fait que pour subsister. Vivre veut dire bien autre chose que survivre d’un jour sur l’autre. Il convient de ne pas l’oublier.

Seulement, comprenons que Jésus coupe court aux attentes strictement matérielles des foules qui le suivent : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. » Jésus n’est pas venu apporter une solution à la question de la subsistance de chacune et de chacun ici-bas. Il revient aux sociétés, aux États de s’organiser au mieux. L’intelligence nous a été donnée pour cela.  Jésus vient pour apporter ce dont le pain distribué est le signe, ce que nous, humains, ne pouvons pas nous donner à nous-mêmes. C’est pourquoi il insiste sur le fait que ce n’est pas Moïse, un être humain, qui a donné « le pain venu du ciel », mais Dieu lui-même. En fait, au ciel, dans le ciel de Dieu, il n’y a pas de grande table pour le banquet de chaque jour, dont Dieu aurait fait secouer les nappes pleines de miettes pour fournir du pain aux Hébreux. Dans le ciel de Dieu, il n’y a que Dieu, Dieu et les anges, et Dieu n’a rien d’autre à nous donner et rien de mieux non plus que lui-même et il n’y a rien qui puisse nous être plus nécessaire mais que nous puissions moins nous procurer par nous-mêmes.

D’où, si vous le permettez toujours, une référence à une actualité plus récente encore. J’étais en retraite tous ces jours passés, dès mon retour du Rwanda, et je n’ai pas suivi la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Mais il a bien fallu qu’on m’apprenne que courait une grave polémique. A tout le moins, le spectacle a, à un moment donné, détourné une image de la Cène de Jésus, l’image proposée par Léonard de Vinci, pour présenter une sorte de bacchanale, prenant pour modèle finalement le banquet des dieux de l’Olympe tel que certains peintres se sont plus à les peindre. La bacchanale, comme le banquet des dieux, vise la fusion par l’excitation des sens et le dépassement de toutes les convenances. La Cène de Jésus, elle, vise tout autre chose : elle nous ouvre à la communion. Jésus se donne tout entier, en se faisant notre nourriture, pour nourrir en nous la capacité de nous donner les uns les autres. Non pas de nous emparer les uns des autres, non pas de nous transformer les uns les autres en objets de nos désirs et de nos pulsions. Il crée, au prix de lui-même, un espace où nous pouvons nous approcher les uns des autres pour nous servir mutuellement, pour apprendre à dépasser ce qui nous tient à distance les uns des autres, ce qui nous rend méfiants, ce qui nous replie chacun sur soi-même, afin que nous osions au contraire partager ce que nous avons et ce que nous sommes. Tel est le pain vivant qui descend du ciel. Non pas un pain matériel qui va rassasier notre corps et nous donner des forces pour survivre. Non pas un vin qui enivre et des aliments dans une abondance qui finit par écœurer. Mais lui, Jésus, envoyé par le Père et qui vient nous renouveler, chacune et chacun, de l’intérieur, afin que, comme le dit saint Paul, « nous nous laissions renouveler par la transformation spirituelle de notre pensée et revêtions l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité ».

Ne confondons pas non plus cela avec une vie réglée selon les convenances sociales et une éducation à la mesure et la bonne moralité : tout ceci serait profondément ennuyeux. Non. Le pain que Jésus donne n’est pas une nourriture chiche, raisonnable, prudente. Il est accompagné de vin, le vin de son sang versé, le vin de la folie du don de soi, et le « pain qui vient du ciel » n’est pas une aumône que Dieu nous ferait du bout des doigts, de quelques miettes qui traîneraient dans ses poches. Le Dieu vivant, tout au contraire, nous donne ce que les dieux de l’Olympe n’ont jamais partagé avec personne : tout lui-même, rien que lui-même mais tout lui-même, et c’est pour que nous entrions dans ce mouvement qui transgresse toutes les lois du donner et du recevoir, toutes les règles de la bonne justice, toutes les convenances dans les relations humaines, que Jésus vient à nous. Parce que vivre, c’est se donner et se donner selon la mesure dont Dieu se donne. Vivre, ce n’est pas subsister seulement, c’est pouvoir donner et partager et, pour cela, avoir à soi et en soi, de quoi donner et partager. C’est en vivant ainsi, en entrant dans ce mouvement en tout cas, que nous trouverons, avec notre raison, les moyens de procurer à chacune et chacun, ici comme ailleurs, les moyens de subsister. Ce n’est pas en visant la seule subsistance, mais en cherchant tous à partager comme Dieu partage et à donner comme Dieu donne.

C’est ce que l’Eucharistie que nous célébrons chaque dimanche essaie de nous apprendre. Elle est l’effort ultime de Dieu qui vient en nous pour nous entraîner en lui. Que le saint Curé d’Ars, saint Jean-Marie Vianney, dont c’est la fête en ce dimanche, nous obtienne la grâce de le comprendre, de nous en réjouir et d’en vivre,

                                                                                                                                           Amen.


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