Homélie du 31 décembre 2023, pour le dimanche de la Sainte Famille - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 3 janvier 2024

Homélie du 31 décembre 2023, pour le dimanche de la Sainte Famille

Homélie pour le dimanche de la Sainte Famille, année B, le 31 décembre 2023, en la chapelle du Prieuré des Clarisses de Vermand (Aisne)

Ouverture :

Mes Sœurs, je suis tout spécialement heureux de venir célébrer avec vous le dimanche de la Sainte Famille. Car vous me permettez de prendre conscience d’une réalité très importante. Souvent, ce dimanche permet de parler de la famille, de disserter sur sa grandeur : parents et enfants, parfois un peu élargie, cellule de base de la société et première Église pour chacune et chacun de nous ; il est l’occasion d’encourager à la sainteté de la vie familiale dans le partage, la confiance mutuelle, le pardon. Tout cela est bel et bon ? mais ne devrait pas nous faire oublier que le prolongement de la famille de Jésus, Marie et Joseph est avant tout l’Église. La famille de Dieu, ici-bas, n’est aucune de nos familles chrétiennes, même la plus chrétienne d’entre elles, mais l’Église entière. Vous, mes sœurs, en votre prieuré, par votre présence, par la forme de vie que vous avez choisie dans la suite de saint François et de sainte Claire, vous nous obligez à entendre en ce sens la liturgie de la Parole de ce dimanche. Il est d’ailleurs caractéristique que l’évangile qui a été proclamé pour nous est celui de la présentation de Jésus au Temple de Jérusalem dont la fête, le 2 février, a été choisie par le pape saint Jean-Paul II pour honorer spécialement la vie consacrée.

Homélie :

Dans le récit de saint Luc, deux lignes se croisent en quelque sorte. D’abord l’évangéliste nous raconte comment les parents de Jésus l’amènent à Jérusalem pour y accomplir les rites prescrits pour la naissance d’un premier-né et pour la purification. Saint Luc qui n’est pas juif mêle des choses diverses. On pourrait s’intéresser à cette purification d’on ne sait qui, mais ce que je retiens ce matin est seulement que Marie et Joseph célèbrent la naissance de leur fils premier-né comme toute famille juive de ce temps. Ils le font à la manière des pauvres en offrant pour le sacrifice « un couple de tourterelles ou deux petites colombes. » Pouvoir enfanter et, en l’occurrence, enfanter un fils est un grand don ; tout enfant qui naît est une promesse de renouvellement pour l’humanité entière. Le peuple d’Israël avait appris à rendre grâce au Dieu vivant qui donne la vie et qui nous permet, à nous humains, de la donner ; toute naissance, surtout la première, est l’assurance d’une victoire sur la mort et les forces de destruction du cosmos mais aussi de l’humanité soumise à l’adversité. Le récit pourrait se poursuivre directement avec ce qui a été pour nous le dernier paragraphe : « Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville – un village ! – de Nazareth. » Le récit de l’évangile selon saint Luc insiste sur le fait que Jésus est soumis à la loi du Seigneur, que pour lui elle est accomplie comme il convient. Cet enfant s’inscrit ou est inscrit par ses parents dans l’histoire de l’alliance de Dieu avec le peuple d’Israël et, en particulier, dans la mémoire de la sortie d’Égypte, libération de l’esclavage et arrachement à la mort. Surtout, nous pouvons commenter en disant que le Fils de Dieu se faisant homme entre dans l’ordre familial de son peuple et de son temps ; il y entre sans réserve : « L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui ». En un sens rien d’extraordinaire ; rien de moins ni rien de plus que ce que vivait tout enfant juif. A cet ordre familial, Jésus se conforme trente années durant, et c’est très long.

Mais le récit est plus compliqué que cela. S’intercale la mention de Syméon et de sa rencontre avec les parents de Jésus et aussi celle, plus discrète mais bien présente, d’Anne, fille de Phanuel. Deux rencontres, donc, très brèves, au tout début de ces trente années de vie que nous appelons « cachée », deux rencontres qui ne seront pas réitérées, qui n’auront pas d’équivalent qui nous soit raconté sinon, en un sens, l’épisode où Jésus est perdu au Temple puis retrouvé, trois jours plus tard, au milieu des docteurs. Syméon nous est présenté, assez longuement, puis sa rencontre avec Jésus et ses parents : « Au moment où les parents présentaient l’enfant Jésus pour se conformer au rite de la Loi qui le concernait, Syméon reçut l’enfant dans ses bras. » Mesurons ce qu’il y a là d’étonnant : Syméon s’intercale en quelque sorte dans le rite à accomplir. Dans sa présentation, rien ne dit qu’il est prêtre, rien ne dit qu’il a une fonction spéciale à remplir : « C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël. » Il n’a pas de rôle social repéré ni de fonction liturgique particulière. Pourtant, il reçoit l’enfant dans ses bras et c’est cela qui nous est raconté, cette rencontre inattendue, et non pas l’accomplissement du rite par un des prêtres du Temple de Jérusalem qui, pourtant, est certainement intervenu pour le sacrifice. Ce qui caractérise Syméon n’est pas saisissable : « et l’Esprit-Saint était sur lui ». En réalité, Syméon est distingué par la présence de l’Esprit-Saint dans sa vie et dans cette rencontre : « Il avait reçu de l’Esprit-Saint l’annonce qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ », « sous l’action de l’Esprit, Syméon vint au Temple ». Dans l’Esprit-Saint, Syméon intervient donc au milieu de l’accomplissement du rite, prononce des paroles que l’Église reprend chaque soir dans la prière des Complies, et annonce à Marie ce que nous avons entendu et que l’Église médite sans cesse. Dans ce que nous appelons la « Présentation du Seigneur au Temple », il n’y a pas seulement l’accomplissement d’un rite commun à tous les premiers-nés d’une famille juive, mais l’intervention inopinée de Syméon – inopinée du point de vue du spectateur ou de ceux qui étaient chargés d’accueillir les parents venus pour un tel rite, mais pas inopinée du point de vue de l’Esprit-Saint -, intervention inopinée donc qui traverse ce rite et lui donne un sens tout spécial. On peut supposer que Marie et Joseph, revenant à Nazareth, ont souvent réfléchi à ce qu’avait dit ce vieil homme et aussi aux « louanges de Dieu » qu’ils avaient entendues d’Anne.

Dans le récit de saint Luc, Syméon est présenté avec détail et l’évangéliste nous fait entendre ses paroles : nul ne peut y rester indifférent. Anne est décrite de manière plus lointaine. L’Esprit-Saint d’ailleurs n’est pas mentionné. Elle apparaît comme une femme pieuse, très pieuse, qui dit les merveilles de Dieu devant un nouveau-né. Peut-être faisait-elle ainsi pour tout enfant qui était présenté au Temple. Nous connaissons des femmes ferventes qui ont cette capacité étonnante et ordinaire à la fois de voir la main de Dieu en tout ce qui pourrait paraître banal. Mais, venant en même temps que l’intervention de Syméon, Anne a été une lumière et un réconfort pour Marie et pour Joseph. Ils venaient ensemble présenter leur enfant comme n’importe quel couple juif faisait avec son fils premier-né, mais eux savaient la réalité irreprésentable de cet enfant. Pour eux, assurément, les louanges adressées par Anne à Dieu ont pris un sens singulier tandis que le geste et les paroles de Syméon retentissaient avec force. En Anne et en Syméon, ils recevaient la confirmation qu’ils n’avaient pas rêvé, que cet enfant n’était pas n’importe quel enfant, qu’en lui, vraiment, Dieu tenait la promesse faite à Israël. Dans cette double lumière, dans ces deux éclairs qui avaient traversé le geste à la fois émouvant et banal qu’ils faisaient, le rite ordinaire qu’ils accomplissaient ils ont reçu du Père un encouragement pour toute la durée de la vie cachée de Jésus.

En fait, mes Sœurs, vous connaissez bien cette manière d’agir de Dieu, et vous aussi sans doute, frères et sœurs. Elle fait la trame profonde de la vie de l’Église. Il y a ce qui est prévu et prévisible, notamment la liturgie, les sacrements, la parole de Dieu proclamée et méditée ; notre vie est rythmée ainsi, de dimanche en dimanche, de baptême en première communion, de première communion en confirmation, de confirmation en profession de foi, de profession en mariage et ainsi de suite jusqu’au jour de nos obsèques, et puis, il y a des rencontres, des paroles, qui nous bouleversent, qui infléchissent nos vies, où nous reconnaissons, où chacun et chacun reconnaît pour soi-même une intervention de Dieu qui nous dévoile l’excès de son amour. De telles rencontres, de tels moments, décident d’une vocation particulière. Au cœur de l’Église, mes Sœurs, comme toutes les religieuses et tous les religieux et comme toutes les personnes consacrées, vous êtes le signe visible de cette intervention de Dieu dans l’histoire de chacune et de chacun, des signes visibles de l’amour en excès de Dieu qui espère notre réponse. Le secret en est dit par la phrase en apparence banale de saint Luc : « Syméon reçut l’enfant dans ses bras ». Cet enfant-là, nous sommes invités à le recevoir, dans nos bras, au plus près de notre cœur. Dans l’Église, certaines, certains, le reçoivent de manière plus radicale, plus visible. Par la pauvreté, la chasteté, le célibat, vous rendez perceptible qu’en cet Enfant-là Dieu donne tout ce qu’il a à donner et qu’il y a donc beaucoup à recevoir. Cet Enfant ne vient pas seulement pour conforter l’ordre social, l’ordre de la famille et de l’État. Il vient aussi pour appeler chacune et chacun à se laisser marquer par lui, à être tiré par lui vers la plénitude de Dieu. Bien sûr, nous recréons toujours un ordre, cela nous est nécessaire. Mais, en cet Enfant, Dieu ne vient pas seulement ni d’abord nous faire entrer dans un ordre, fût-il familial, fût-il religieux ; il vient pour être reçu par nous et nous remodeler de l’intérieur. Par le triple vœu, vous nous montrez cela, vous le montrez à toute l’Église, pour qu’elle ne se pense pas seulement ni d’abord comme une structure mais comme une réponse, comme un accueil, comme le fruit d’un accueil toujours à reprendre et à approfondir. C’est ainsi que se constitue la vraie famille de Dieu, la famille de ceux et celles qui s’ouvrent à la volonté de Dieu, pour l’écouter et pour la faire.

Il y en ce mouvement de Dieu vers nous beaucoup de joie. Nous entendons cette joie dans la bénédiction de Dieu par Syméon et par les louanges de Dieu proclamées par Anne. Mais la liturgie de ce jour nous fait entendre davantage : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. » La rencontre du Dieu vivant met à nu ce qui habite notre cœur en vérité, et des profondeurs des cœurs humains montent des pensées de colère, de jalousie, d’envie, des mesquineries et d’affreuses violences, mais aussi des pensées de réconciliation, de don de soi, de décentrement, de service des autres, de joie de donner et de recevoir, de pardon demandé et donné. Votre vie de religieuses en monastère ou en prieuré vous fait vivre avec intensité de ces pensées profondes qui habitent vos cœurs. Vous êtes, mes Sœurs, au cœur de l’Église, de celles qui reçoivent l’enfant dans leurs bras et dans toute leur vie, au plus profond de leurs cœurs, pour qu’il y apporte ce que lui et lui seul peut partager, lui qui les puise dans le Père. C’est la douleur, parfois, mais c’est surtout la grandeur de votre vie de religieuses que d’accepter que le plus profond et le plus obscur de vos âmes soient dévoilées, pour être renouvelées, purifiées, transfigurées. Vous vous y aidez les unes les autres et vous vous portez les unes et les autres dans ce travail à la gloire de Dieu.

Alors, mes Sœurs, frères et sœurs, sachons regarder l’Église comme la sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph ; comme la communion de ceux et celles que Jésus unit à lui, de manière visible et invisible. N’oublions jamais que l’Église ne se limite pas à la structure sacramentelle qui nous permet de vivre du Christ Jésus mais qu’elle est tissée des rencontres des uns et des autres à qui l’Esprit-Saint donne de reconnaître en autrui l’œuvre de Dieu et d’y trouver sa joie et de quoi progresser dans l’espérance,

                                                                                                                    Amen.


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