Homélie du 28 janvier 2024, pour le 4ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 30 janvier 2024

Homélie du 28 janvier 2024, pour le 4ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 4ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 28 janvier 2024, en la chapelle de la Maison Saint-Walfroy, récollection des diacres permanents du diocèse de Reims et des Ardennes

« Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm ». « Jésus et ses disciples », c’est nous, frères et sœurs. Nous, comme baptisés et confirmés, ayant part à l’Eucharistie ; nous aussi, à un titre spécial, évêques, prêtres et diacres, comme ministres ordonnés.  Nous comme baptisés, confirmés et eucharistiés, nous ne sommes pas seulement les spectateurs et les bénéficiaires de son enseignement et de ses actions, mais nous en sommes aussi les porteurs « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » ; nous, comme ministres ordonnés, nous prêtons nos voix et nos gestes à l’enseignement et aux actions de Jésus, le Seigneur ressuscité, qui veut rejoindre tous les humains pour leur ouvrir la plénitude de la vie.

Conscients de cette position qui est la nôtre, nous avons à constater que saint Marc ne nous rapporte pas le détail de l’enseignement de Jésus. Il en exprime seulement la qualité : « Il enseignait en homme qui a autorité ». Il nous rapporte en revanche en détail la confrontation de Jésus avec l’homme possédé ou le démon possédant un homme. Au minimum, cet épisode illustre l’enseignement de Jésus et sa force singulière, puisque les assistants, aux dires de saint Marc, se demandent : « Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent. » Nous pouvons sans doute comprendre que l’enseignement de Jésus n’est pas d’abord didactique, académique. Il ne s’agit pas d’expliquer des idées, des concepts. Il parle pour libérer, pour ouvrir des voies inattendues, pour permettre à qui est empêtré de marcher de nouveau et de marcher sur une route neuve. Permetttez-moi, pour approfondir notre compréhension de vous rapporter deux faits.

Le premier est le témoignage presque unanime des catéchumènes de cette année. Réunis fin novembre, ils ont presque tous dit que la rencontre du Christ les avaient rendus capables de sortir de leurs colères et de leurs peurs et d’avancer sur un chemin de paix, de réconciliation, de pardon. L’un d’entre eux, dans sa lettre de demande des sacrements de l’initiation, est particulièrement éclairant pour nous, ce matin. Il raconte qu’il vivait bien, heureux, ayant un métier qu’il aime, une épouse qu’il aime, un enfant qu’il aime, athée et ne se posant aucune question spirituelle, habité d’aucune interrogation particulière, jusqu’au jour où le Seigneur Jésus est venu le visiter, par surprise, lui faisant expérimenter en un instant une intensité de présence et d’amour qui lui a révélé une manière d’être et de vivre à la fois toute semblable et toute autre. Il n’avait pas, dans sa vie, de trou à boucher, de drame à réparer, d’angoisse à apaiser. Il lui a été révélé qu’il pouvait pourtant vivre tout autrement, avec une intensité et une force qu’il ne pouvait soupçonner jusque-là. Voilà pour l’enseignement nouveau, donné avec autorité. Nous, baptisés, pouvons rendre perceptible au milieu de l’humanité une manière d’être et de vivre qui ressemble à celle de tous et qui est pourtant toute différente, témoignant d’une liberté intérieure, d’un dégagement par rapport à la peur de manquer et de mourir, d’un choix d’aimer au sens de se donner soi-même et d’accueillir les autres, qui déplace le cours ordinaire des vies. Nous, ministres ordonnés, nous avons à fortifier le peuple des baptisés et à nous laisser fortifier nous-mêmes par l’union au Seigneur Jésus qui nous unit à lui et nous tient un avec lui, afin que tous puissent vivre ainsi au milieu de ce monde agité.

L’autre fait que je voudrais vous partager aide, je crois, à comprendre l’autorité de Jésus. L’été dernier, lors de ma retraite annuelle, le père jésuite qui me guidait m’a fait méditer le récit de la tempête apaisée. Mais il a ajouté la remarque suivante : Jésus se fait obéir facilement de la mer et du vent, facilement aussi des démons ; il est venu cependant pour se faire obéir des humains, hommes et femmes, pour que nous apprenions de lui à vivre en aimant comme Dieu aime, à la mesure dont Dieu aime. Lorsque nous comprenons que Jésus nous associe à son enseignement donné avec autorité et à sa puissance de libération, nous rêvons de voir des signes manifestes s’imposer à tous et nous sommes déçus. Mais Jésus ne cherche pas tant à être obéi des éléments ou des esprits impurs que de l’être humain, dans le fond de sa liberté. De ce point de vue, nous pouvons comprendre de deux manières l’épisode raconté aujourd’hui dans l’évangile proclamé : ou bien nous voyons dans la libération de l’homme possédé un signe de puissance exercé sur un homme particulièrement éprouvé, qui confirme l’enseignement de Jésus, un fait extraordinaire qui accrédite ce qu’il dit ; ou bien nous voyons dans cet homme possédé une manifestation exacerbée de ce qu’est toute l’humanité, de ce qu’est tout être humain concret, sa liberté étant, de près ou de loin, de manière très visible ou de manière très cachée, c’est selon, troublée, abîmée, déformée, par un ou des esprits impurs, qui font qu’il résiste à Jésus, soit dès la première rencontre soit dans un fond caché de sa liberté. Pour mener à bien l’œuvre de libération, Jésus devra aller au bout de lui-même, c’est cela l’autorité, l’exousia en grec, ce qui sort de l’être : il devra aller jusqu’à l’épreuve suprême de sa propre obéissance au Père dans le mystère de son agonie et le consentement qu’il aura à donner et à confirmer dans l’enchaînement de l’institution de l’Eucharistie, de l’agonie au jardin, du cri de la croix, du silence de la mort dans le tombeau. A nous, ministres ordonnés, sont confiés les gestes et les paroles de Jésus par lesquels il exprime ce don total de lui-même, de tout son être de Fils unique et bien-aimé fait homme pour notre libération et notre vie, en faveur de celles et ceux qui veulent bien les recevoir comme tels. Tous, baptisés, confirmés, nourris de l’Eucharistie, nous sommes envoyés en ce monde pour permettre à tous de percevoir l’extraordinaire nouveauté de vie qui nous est ouverte, et nous ne devons pas nous étonner de rencontrer de la résistance ni nous aveugler sur notre propre résistance intérieure. Parfois, nous sommes prêts à accueillir Jésus comme Seigneur mais jusqu’à un certain point, tandis que lui se donne pour tous sans réserve.

Voilà, frères et sœurs, vous, Mesdames, qui êtes mariées, et vous Messieurs, qui êtes mariés et êtes devenus ministres ordonnés, qui peut vous aider à recevoir les paroles de saint Paul aux Corinthiens. Car l’Apôtre semble poser ou plutôt pose carrément une alternative entre être marié et être aux affaires du Seigneur. Il faut lire le passage jusqu’au bout et comprendre que saint Paul invite à un choix entre un bien indéniable et un meilleur. Il donne un conseil (c’est l’origine de la thématique des « conseils évangéliques ») et non une loi, il donne des critères de réflexion et invite chacune et chacun à regarder avec attention ce qui est en lui ou en elle. En fait, il ne s’agit pas pour lui de dénigrer le mariage mais d’ouvrir la liberté de ne pas se marier pour se consacrer au Royaume qui vient. Cependant, l’Apôtre nous oblige tous à nous interroger sur ce que, dans la lettre pastorale d’octobre, j’ai appelé « la radicalité chrétienne ». On ne peut suivre le Christ que radicalement parce que lui-même s’est donné radicalement, depuis sa racine, depuis le fond de son être (nous retrouvons là l’exousia de saint Marc). Comment vivre cette radicalité de la suite du Christ lorsqu’il faut construire une carrière, pourvoir aux besoins de sa famille, donner à ses enfants les moyens de se déployer librement dans ce monde… ? Vous, frères et sœurs, en consentant à recevoir l’appel de Dieu au cœur même de votre vie conjugale et familiale, en acceptant d’être liés davantage au Seigneur Jésus, d’en porter la marque et de lui consacrer votre action et votre être alors même que vous aviez reçu la liberté du mariage, vous êtes, au milieu de l’Église et pour elle, des signes de la radicalité du Ressuscité et vous en êtes, au milieu du monde, des signes plus accessibles que nous autres, évêques et prêtres. Du moins pouvons-nous réfléchir ainsi.

Car nous l’avons entendu en première lecture. Dieu lui-même reconnaît que tous ne peuvent pas recevoir ce qu’il a non seulement à nous dire mais à nous donner sans en avoir peur, sans redouter trop ses effets : « Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande flamme », disaient les Hébreux. Et Dieu les comprend, loin d’en être blessé. D’où Moïse, d’où des prophètes, d’où certains, qui sont mis à part et rendus capables de porter ce que les autres ne peuvent pas porter ou ne se sentent pas capables de porter. D’où quelques-uns avec qui Jésus fait davantage un, plus visiblement, plus immédiatement, afin de pouvoir aller vers tous les autres et pour préparer, patiemment, doucement, sans colère ni mépris, et surtout sans impatience, tous les autres à la joie immense, à la vie intense, à la plénitude vivifiante de l’union totale avec Dieu et en Dieu avec tous, ce dont nous ne pourrons vivre sans voile que par delà la mort, dans l’espérance qui nous est alors ouverte.

Frères et sœurs, réjouissons-nous d’être avec le Seigneur qui entre à Capharnaüm et portons, librement, courageusement, avec persévérance, notre témoignage au milieu de ce monde. N’oublions jamais que « même les esprits impurs » lui « obéissent »,

                                                                                                                                                      Amen.


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.