Homélie du 28 décembre 2019 - fête de la Sainte Famille - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 2 janvier 2020

Homélie du 28 décembre 2019 – fête de la Sainte Famille

Homélie pour le dimanche de la Sainte Famille, année A, le 28 décembre 2019, en l’abbatiale de Saint-Pierre-sur-Dives.

« Prends l’enfant et sa mère et fuis en Égypte » ; « Prends l’enfant et sa mère et reviens au pays d’Israël ». Qu’est-ce qu’une famille ? Un ensemble de personnes où les parents prennent des décisions pour les enfants, éventuellement des décisions structurantes, qui engagent la destinée des enfants pour de longues années, voire pour toute leur vie.

Jésus, le Verbe créateur, Celui par qui tout a été fait, le Fils unique, bien-aimé du Père, a connu cette situation de minorité. Il a été un mineur, un enfant sous l’autorité de ses parents, de son père en particulier dans le système social de son temps. Ainsi Joseph l’a-t-il pris et emmené en Égypte ; ainsi Joseph l’a-t-il pris et ramené dans la terre d’Israël. Il vaut la peine, frères et sœurs, de contempler cela, de voir le temps long où Jésus a consenti à vivre les lentes étapes de la croissance de tout être humain, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte avant d’atteindre l’âge de la maturité. Il le vit comme tout enfant des hommes et il y a cependant en lui et pour lui un aspect singulier, unique : car il n’est pas, lui, le fruit de l’union de ses parents ; il est, plus que tout autre enfant, un don qui leur a été fait. L’élever, plus que pour tout autre, est pour ses parents humains une mission qu’ils ont reçue, un service qu’ils rendent à Dieu et à l’humanité.

Jésus a aimé cette situation, il a goûté le dévouement de Joseph et celui de Marie, il s’est laissé façonner lentement par leur veille attentive sur lui, l’insérant dans les moyens de croissance de tout enfant juif de son temps, participant à la vie de sa famille élargie, à celle du village de Nazareth, à la vie religieuse intense de son peuple, rythmée par les fêtes de pèlerinage à Jérusalem et par les sabbats à la maison et à la synagogue, rythmée par le travail et le repos. Son âme s’est ouverte au monde, à la réalité, à la vie, aux relations entre les êtres humains, dans l’espace ouvert pour lui par l’alliance de Marie et de Joseph, et il y a découvert, au fil de sa croissance humaine, sa relation singulière avec le Père de tous les hommes et avec la création toute entière.

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Frères et sœurs, dans notre époque où l’on se dit tout, où l’on parle de tout, ce qui peut être un progrès mais est parfois périlleux, nous savons plus que jamais que les familles concrètes ne sont pas si facilement des lieux d’épanouissement et de croissance dans la paix. La plupart essaient de l’être. Dans le monde compliqué où nous vivons, très sophistiqué, chacun s’efforce d’être attentif aux autres et de remplir au mieux sa tâche propre. Il arrive que, dans une famille, tel membre esquive la part qui devrait lui revenir ; il arrive que tel membre ne puisse tenir, dans la paix du cœur et pour le bien de tous et son bien à lui, sa place dans la constellation familiale et impose aux autres de s’adapter à lui, de compenser ce qui manque et manquera à jamais.

Nous devinons qu’à travers ces liens d’engendrement et d’éducation, en fait, chacun de nous reçoit l’héritage de l’humanité entière, pas seulement la psychologie de son père ou de sa mère et de ses grands-parents, mais l’histoire des hommes et des femmes qui nous ont précédés et qui nous entourent, que notre lignée familiale nous transmet selon une modalité unique pour que nous y puisions la force de vivre, au risque d’y recevoir aussi beaucoup des complications que le péché, sous ses différentes formes, a inscrites dans l’humanité.

La Sainte Famille fut sans doute aucun une famille très spéciale, plus que parfaite, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Nous avons du mal à nous imaginer ce que purent être leurs relations, dans la sainteté de chacun des membres de cette famille. Nous pouvons juste être assurés que leur vie a été extérieurement celle de toute famille de leur temps dans leurs conditions sociales : préoccupée par la nourriture de chaque jour, fortement insérée dans les relations de la communauté villageoise, prenant leur part des deuils, des maladies, des naissances, non seulement en sentiments partagés mais surtout en services rendus et en travaux effectués pour le compte des uns et des autres. Plus profondément, nous pouvons être sûrs que Jésus a reçu par là l’héritage du peuple d’Israël et à travers lui l’héritage de l’histoire entière de l’humanité, qu’il était venu prendre et assumer, en la transfigurant dans sa sainteté.

Jésus a vécu tout cela, non pour se profiter des avantages d’une famille parfaite, mais plutôt d’une famille sainte, où toutes les réalités humaines ont pu être vécues selon leur intensité maximale, selon ce qu’elles avaient de plus humanisant, pour que, peu à peu, son âme d’enfant s’ouvre aux dimensions de tous les êtres humains qu’il est venu rejoindre. Dans la Sainte Famille, nous recevons l’assurance à jamais que les relations familiales, nourries de chair et de sang, faites de liens que l’on ne peut ramener à un contrat, valent la peine d’être vécues, par delà les épreuves qu’elles peuvent parfois représenter, parce qu’elles nous façonnent dans la profondeur de notre être que nous appelons l’âme, parce que nous apprenons à y être liés à l’humanité entière.

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La liturgie nous a fait entendre un autre aspect de la vie familiale : la responsabilité des enfants à l’égard de leurs parents. Le livre du Sage d’Israël l’énonçait, il y a fort longtemps, bien avant que les sociétés humaines connaissent l’espérance de vie considérable qui est la nôtre et la prégnance des maladies neuro-dégénératives qui accompagne la longueur de nos vies humaines. Nous avons entendu le Sage exhorter les enfants à s’occuper de leur père qui ne peut plus les reconnaître. Il est vraisemblable que plusieurs, dans notre assemblée de ce matin, connaissent cette situation. Tel parent devient l’enfant de ses propres enfants, il est à leur égard en situation de minorité, il revient aux enfants de décider pour leur père ou leur mère et en sa faveur. Le Sage biblique nous exhorte à exercer cette responsabilité et il nous en promet une forte récompense, la longueur de la vie. C’est que la vie humaine est faite de dépendances subies et acceptées, de dépendances réciproques : les enfants dépendant de leurs parents de façon évidente mais les parents dépendant aussi de leurs enfants, d’une manière moins évidente souvent mais plus forte qu’il y paraît et qui se dévoile parfois dans le grand âge.

Nous ne savons comment a vieilli et est mort saint Joseph, comment Jésus s’est occupé de lui. Une certaine tradition a aimé voir en lui un homme déjà âgé au moment de la naissance du Sauveur, mais les évangiles se gardent bien de nous donner ce genre de détails. Lui, Jésus, a donné sa vie pour que vivent tous ses ancêtres et tous ses contemporains et tous ceux qui viendront après lui ; il offre sa vie, dès la mangeoire de Bethléem, pour que la mort et ce qui la prépare ne soit plus jamais et pour personne le dernier mot de la vie terrestre, mais que ce dernier mot soit plutôt celui de l’enfant qui se remet entre les mains de ceux qui veulent bien s’occuper de lui.

Comme en peu d’époques de l’humanité, les jeunes générations d’aujourd’hui savent qu’elles ne vivront pas exactement comme leurs parents, et moins encore comme leurs grands-parents. Cependant, frères et sœurs, l’essentiel reste le même et les jeunes le sentent bien. L’essentiel reste et restera de recevoir en notre âme l’humanité entière à travers les liens complexes et parfois compliqués de l’engendrement et de l’éducation et de transfigurer nos liens de dépendance mutuelle en liens de charité dans l’espérance de la communion éternelle.

La Sainte Famille ne doit pas nous faire rêver à une famille parfaite, sans douleur, sans peine, sans frottement ; elle nous ouvre l’espérance que le bien que nous tâchons de nous faire les uns aux autres peut, malgré nos opacités, contribuer à rendre chacun vivant et porteur de vie et que chacun, en cette grande aventure, engage l’humanité entière, en vue de la communion éternelle dans l’unique Fils qui fait de nous ses frères et ses sœurs,

Amen
+ Éric de Moulins-Beaufort


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