Homélie du 3 mars 2024, pour le 3ème dimanche de Carême - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 4 mars 2024

Homélie du 3 mars 2024, pour le 3ème dimanche de Carême

Homélie pour le 3ème dimanche du Carême, année B, le 3 mars 2024, en l’abbatiale Notre-Dame de Scourmont (Belgique)

« L’amour de ta maison fera mon tourment ». Ce verset du psaume 69 vient à la mémoire des disciples de Jésus lorsqu’ils repensent au jour où le Seigneur chassa les marchands du Temple de Jérusalem, comme exprimant non seulement son état d’esprit de ce moment-là mais une partie du secret de son âme. « L’amour de ta maison fera mon tourment » : partageons-nous, frères et sœurs, ce ressort profond de l’être et de l’action de Jésus ? Ce pourrait être une bonne manière de nous interroger en ce Carême, individuellement et collectivement. L’amour de la maison de Dieu nous habite-t-il ? L’état de la maison de Dieu fait-il notre tourment intérieur ? La maison de Dieu, dans cette perspective, n’est ni seulement ni d’abord le Temple de Jérusalem ou une de nos églises. Elle est l’Église, le Temple vivant du Seigneur, le Corps du Christ, et chacune et chacun de nous, chacune et chacun de nos corps, si nous en croyons saint Paul, et le cosmos entier. Il me semble, frères, que ce verset du psaume pourrait être une forte manière de dire votre vocation monastique. Tel ou tel d’entre vous sans doute peut reconnaître dans ce verset et surtout dans ce qu’il traduit des sentiments intérieurs du Seigneur Jésus la source et le moteur de sa vocation, l’amour qui l’a conduit à engager radicalement sa vie dans la prière et le travail mené en commun, dans la louange de Dieu poursuivie au long des jours. Grâce à vous, grâce aux moines et moniales à travers l’espace aujourd’hui et à travers l’histoire aussi, l’Église et le cosmos remplissent leur fonction de « maison de Dieu », la liturgie des heures plus encore que les bâtiments, et le travail partagé, en étant les murs et les différentes pièces.

Saint Jean insiste, dans son récit, sur le signe demandé par ceux qu’il appelle « les Juifs », c’est-à-dire ceux qui prétendent parler au nom du peuple de Dieu tout entier. Nous entendons là, chez saint Jean, ce que l’apôtre Paul affirme dans sa première lettre aux Corinthiens : « Les Juifs réclament des signes miraculeux, les Grecs recherchent une sagesse. » L’Apôtre y oppose ce qui est proprement chrétien : le Messie crucifié, celui-là même qui met au défi, selon saint Jean, de détruire le sanctuaire, le naos en grec, le Saint des Saints, et de le relever, lui, en parlant de son corps, vrai Saint des Saints de la présence de Dieu, Saint des Saints personnel de la présence ultra-personnelle de Dieu au milieu de nous. Selon saint Paul et saint Jean, donc, les Juifs réclament des signes. Ils ne contestent pas que le Messie puisse chasser les marchands, le prophète Zacharie avait annoncé cela, annonçant ainsi la fin des sacrifices qui ne seront plus nécessaires aux temps ultimes lorsque le Messie sera là et qu’il aura conduit le peuple de Dieu dans la justice et la sainteté car toute vie sera sainte et une digne offrande à Dieu. Mais les Juifs veulent un ou des signes qui garantissent que ce Jésus est bien celui qui peut faire cela, mettre fin à une étape de la relation à Dieu et ouvrir à la relation définitive, préparée et cherchée depuis tant de siècles. Seulement, le seul signe que Jésus puisse donner a toutes les allures d’un blasphème : le Messie crucifié semble mettre Dieu en échec, vaincu par les forces du mal et de la mort, emporté dans le flot de ce qu’il y a de plus terrible dans l’histoire humaine. Les Grecs, eux, cherchent une sagesse, une explication du monde. Mais Jésus n’a rien à leur donner de plus qu’un acte qui paraît une folie : le don de soi à ceux-là même qui le repoussent. « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » : ce que Jésus annonce, c’est l’acte de son amour en excès, qui paraît un blasphème pour les Juifs et une folie pour les Grecs, sauf à accepter qu’il « se réveille d’entre les morts », marquant que cet amour-là est vainqueur de tout par la grâce du Père.

La vie monastique participe du signe donné par Jésus. En renonçant à fonder une famille, en choisissant de vivre dans la pauvreté sans rien posséder personnellement, en décidant de remettre votre liberté d’aller et venir et d’agir à un abbé, vous êtes motif d’étonnement comme devant une folie et peut-être même de scandale devant ceux qui veulent que Dieu soit au service de l’épanouissement personnel. Qui est Dieu qui ose demander de tels renoncements, qui est Dieu qui ose appeler à se priver des moyens ordinaires de l’épanouissement humain ?  C’est que Jésus n’apporte pas seulement une réforme religieuse, une amélioration de la vie religieuse d’Israël, il apporte en lui-même, en sa personne, une révolution, qui n’est pas la négation ou le rejet de la religion d’Israël mais sa plénitude annoncée et espérée qui se joue cependant dans une transfiguration radicale. Il s’agit que Dieu aille au bout de l’affrontement au péché et à la mort et que les humains y consentent, non pour trouver un espace de vie ici-bas mais pour ouvrir à tous la vie éternelle, la vie en plénitude. Il s’agit pour vous, frères, de mourir pour renaître, d’être morts déjà avec un certain degré de réalité pour vivre déjà avec un certain degré de réalité dans les conditions de la vie éternelle. Il s’agit pour Jésus de dévoiler la cause ultime de toutes choses mais cette cause n’est pas dans l’harmonie des sphères ni dans les heurs des gaz, des corps, des vivants, mais dans l’amour en excès qui est le secret intime du Dieu Un et Trine. Vous vivez d’une sagesse, qui transparaît dans l’harmonie et la sobre beauté, peut-être ici plus encore la noble austérité, de votre cadre de vie et du rythme toujours solennel des heures, mais le cœur de cette sagesse n’est pas dans une science universelle mais dans l’apprentissage du don de soi par renoncement à soi, dans l’action de grâce pour ce que Dieu donne encore et toujours.

Vous êtes ainsi, frères moines, au cœur de l’Église, un signe pour l’Église, pour les Juifs et les Grecs que les chrétiens restent tous en partie. Juifs, nous le restons, sensibles à la majesté de Dieu et peu désireux qu’Il se mêle de trop près à notre histoire, peut-être de manière cachée parce que nous voudrions avoir part à cette majesté inaccessible ; Grecs, nous le demeurons aussi, avides de savoir, de comprendre et de s’expliquer toutes choses avec le secret espoir de les mettre à notre main, alors qu’il y a surtout à apprendre à devenir fils et filles de Dieu le Père, frères et sœurs de Jésus, portés par le même élan, le même envoi, habités par le même tourment que lui : que tous et que tout deviennent en vérité « maison de Dieu ». « Il connaissait, lui, le cœur des hommes. »

Ces vues, frères et sœurs, peuvent paraître sublimes et quelque peu inaccessibles, réservées à des âmes d’élite au nombre desquelles beaucoup d’entre nous se consoleront assez facilement de ne pas appartenir. Mais les dix paroles, le Décalogue, entendu en première lecture en ce dimanche, nous rappelle à jamais que le chemin ainsi tracé est un chemin exigeant mais assez simple. Il est ouvert à tous. Car les dix paroles ne nous décrivent pas un chemin hors du commun : « Honore ton père et ta mère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras de vol… », tout cela, frères et sœurs, apprend à vivre en êtres humains tout simplement, rien de plus. Que serait le monde, que serait notre monde si tout le monde tuait, mentait, convoitait les femmes des autres, volait… ? Mais ces paroles sont exprimées sous une forme négative. Elles interdisent quelques actes, elles ouvrent en même temps l’immense chemin que chacun de nous peut parcourir pour que sa manière d’être et de vivre ne soit une menace pour personne et soit plutôt une source de vie, de consolation, un motif de bénédiction pour beaucoup. Ne pas tuer est une chose, vivre de manière à ce que mes paroles et mes actes aident toujours les autres à vivre mieux, plus à leur aise, plus librement, plus réellement en est une autre, infiniment plus exigeante, infiniment plus réjouissante aussi. En avançant sur de tels chemins, nous contribuons chacun pour notre part à faire du monde, de l’humanité, du cosmos, une maison de Dieu, la maison où il trouve sa joie à nous retrouver et à nous ouvrir ses trésors, lui qui nous tire de l’esclavage pour faire de nous ses fils et ses filles à jamais.

Frères moines, puissiez-vous vivre pleinement le signe que vous êtes pour nous tous et puissions-nous savoir le recevoir, ce signe, et en tirer lumière et force pour notre vie. Puissions-nous tous partager le même tourment que Jésus, notre Seigneur : l’amour de la maison de Dieu, et nous serons des signes pour le monde, des signes de ce que Jésus, seul, peut donner et donne à jamais en son corps livré et son sang versé,

                                                                                                                Amen.


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