Homélie du 24 décembre 2023, pour la sainte nuit de Noël - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 26 décembre 2023

Homélie du 24 décembre 2023, pour la sainte nuit de Noël

Homélie pour la sainte nuit de Noël, dimanche 24 décembre 2023, en l’église de Tournes, et, à minuit, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

Qu’est-ce que Dieu ? Qui est Dieu ? Comment percevoir son existence ou sa présence ? Que fait-il pour nous ? Que nous apporte-t-il ? Sans doute, en ce soir, certains d’entre nous ont-ils des réponses à ces questions. Ils les ont mûries au long de leur vie, déjà longue ou encore toute jeune. D’autres, peut-être, se les posent-ils avec acuité, quelques-uns étant venus ici entraînés par d’autres, sans bien savoir ce dont il s’agit. Il y a eu des époques de l’histoire où le nom de Dieu était le plus évident qui soit, et il y a encore des pans de notre humanité où il en est ainsi. Chez nous, dans nos sociétés que l’on dit sécularisées et déchristianisées, Dieu n’est plus de l’ordre de l’évidence, en tout cas pas de l’ordre de l’évidence collective. Ce soir, nous pouvons apporter un élément de réponse ou, pour mieux dire, nous pouvons trouver une voie d’approche pour réfléchir à ces questions. Car voici ce que nous pouvons dire de certain en contemplant l’enfant que nous avons porté dans la crèche, la mangeoire en ouverture de cette messe [au milieu de cette messe], en entendant l’évangile qui vient d’être proclamé : Dieu est Celui qui consent à naître. Dieu, le Dieu vivant, le Dieu créateur, Celui à qui tout doit son existence, a voulu naître un jour, en un lieu, du sein d’une mère, comme tout enfant humain. Dieu ne se fait pas connaître dans la foudre ou le tremblement de terre et même pas, pour finir, dans « le fin silence d’une brise légère », comme jadis sur la montagne du Sinaï au prophète Élie : Dieu se donne à connaître en un enfant, tout juste sorti du sein maternel, un enfant pauvre, qui naît à l’écart, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux, ce soir-là, dans la salle commune, plus pauvrement, plus humblement que la plupart des enfants de notre temps, moins misérablement que d’autres cependant, parce qu’il naît dans la paix et entouré de ses parents. La différence entre Dieu et chacune ou chacun de nous, est que nous naissons certes, mais pour quitter cette condition et aller vers nous-mêmes. Notre naissance ne dit pas grand-chose de nous. Pour lui, en revanche, sa naissance dit beaucoup de qui il est et de ce qu’il vient faire. Chaque moment de sa vie, d’ailleurs, jusqu’au dernier, au plus ultime, exprime la vérité de son être.

Qu’est-ce que Dieu ou qui est Dieu ? Regardez cet enfant. Que fait-il pour nous, que nous apporte-t-il ? Ce que fait et ce qu’apporte un enfant qui vient de naître. Pas grand-chose, presque rien. Il ne parle pas. Il se fait connaître par des pleurs ou des vagissements, jusqu’au moment où il pourra sourire. Il se fait connaître en dormant, comme tout bébé humain, qui dort beaucoup pour emmagasiner des forces en vue de la durée de sa vie. « Voici le signe qui vous est donné, dit l’ange glorieux aux bergers, avant d’être entouré d’une troupe céleste innombrable, vous trouverez un nouveau-né emmaillotté et couché dans une mangeoire. » Image de l’impuissance qui nous dit l’immense engagement de Dieu qui entre dans notre condition humaine et qui la prend par ses commencements, dans l’humilité et l’insignifiance apparente du nouveau-né. Tout de Dieu peut être regardé, c’est du moins notre foi de chrétiens, à partir de l’enfant, du bébé, « emmailloté et couché dans une mangeoire ». On peut écrire des traités de philosophie ou de théologie pour répondre aux questions posées et à celles qui agitent nos cœurs et nos esprits, mais il convient surtout de contempler, c’est-à-dire de regarder avec attention cet enfant-là et ceux et celles qui l’entourent, cet enfant-là dans les conditions de sa naissance. La plus belle philosophie comme la plus haute théologie manquent leur but si elles ne disent rien de cet enfant ou si elles le regardent comme négligeable.

C’est que, la liturgie nous le fait entendre, cet enfant de presque rien -il n’est pas fils de roi, il ne naît pas dans la richesse, personne ne dépend de lui, sinon la femme qui l’a mis au monde et l’homme qui l’accompagne- vient pourtant illuminer la condition humaine. Il la fait sienne, il y entre sans réserve et sans retenue. Il en épouse l’entière matérialité. Cependant, il vient pour tout éclairer, tout renouveler : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et su r les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. » Il ne vient pas comme une idée ou comme le porteur d’une idée. Il vient affronter dans l’histoire humaine le mal multiforme et d’abord la violence et la mort aussi : « Le joug qui pesait, la barre qui meurtrissait, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane. Et les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés : le feu les a dévorés. » Oh, frères et sœurs, comme nous aimerions qu’elles se réalisent sous nos yeux, ces paroles du prophète tandis que la guerre se poursuit en Ukraine et que pour la deuxième fois, nos frères et sœurs ukrainiens célèbrent Noël en luttant pour leur liberté et leur vérité et que des jeunes hommes russes passent Noël à menacer l’Ukraine et risquent leur vie pour un objectif politique contestable qui leur est imposé ; tandis que la guerre fait rage dans la bande de Gaza où des juifs sont retenus en otages  et où tant et tant de Palestiniens souffrent de destructions, de morts, de blessures, de la faim ; tandis que tant de villages vivent dans l’inquiétude d’un coup de force ou d’une razzia, au Soudan, au Soudan du Sud, au Burkina Faso, dans tant d’autres pays. Oh, frères et sœurs, comme nous aimerions qu’elles s’accomplissent pour nous ces prophéties lorsque beaucoup parmi nous vivent dans l’inquiétude du lendemain ; comme nous aimerions qu’elles s’accomplissent lorsque nos esprits, les nôtres et, plus encore, les esprits de beaucoup qui nous entourent sont pénétrés par « un certain goût pour la mort », la fin de vie étant évoquée surtout en termes d’euthanasie et de suicide assisté déguisés en « aide active à mourir » et les droits des femmes résumés dans le droit à l’avortement. Écoutons donc, au nom de toute l’humanité, pour nous-mêmes et pour celles et ceux qui nous entourent ce cri, plein de joie : « Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! » Israël était en mauvaise posture ; Israël pouvait douter de son avenir ; Israël, le peuple de Dieu, se demandait si Dieu s’occupait encore de lui, et voilà la bonne nouvelle, l’évangile qu’il s’agit de recevoir et de proclamer : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné » ou encore : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » Dieu, le Dieu vivant, ne dédaigne pas de naître, il ne se soustrait pas à la condition humaine. Il vient et il vient en personne pour se faire réellement humain. C’est ce que le concile de Nicée dont nous fêterons en 2025 le 1700ème anniversaire a affirmé avec le mot « consubstantiel » qui a été repris dans la nouvelle traduction du Credo, du Symbole de la foi. Que fait Dieu pour notre humanité en souffrance, que fait Dieu pour vous qui souffrez ? Il naît, et il ne fait pas semblant de le faire. Il ne délègue pas un être intermédiaire, c’est cette hypothèse que le mot « consubstantiel » repousse : en Jésus, le Fils du Père qui se fait fils des humains, Dieu vraiment, Dieu en vérité, non pas un Dieu moindre que le Père mais le Fils en tout semblable au Père, vient jusqu’à nous, prend notre condition humaine, jusque dans ce qu’elle a de plus charnel, de plus vulnérable, de plus contingent, et il y exprime son être de Fils éternel et bien-aimé. Il se fait entièrement notre frère pour pouvoir faire de nous ses frères et ses sœurs. Rien ne change en apparence à notre condition terrestre, rien n’est éloigné des maladies, des guerres, des violences, sinon qu’il est là, lui, avec nous : Emmanuel. Il vient pour renouveler en nous le goût de vivre, pour nous donner un goût certain de vivre et de vivre bien.

Qui est Dieu donc, et que fait-il pour nous ? Il naît. Il naît comme un enfant humain. Non pas n’importe où, certes, mais en Israël, le peuple élu de Dieu, dans la descendance de David ; non pas de n’importe qui, certes, mais de Marie, la jeune fille vierge de Nazareth, préservée du péché originel. Non pas n’importe quand non plus, mais en la mystérieuse plénitude des temps, que nous ne pouvons pas mesurer ou vérifier, celle qui lui permettra la diffusion maximale de ce qu’il est venu faire. Il naît à Bethléem, et c’est pour nous faire naître, nous, à nouveau, « pour faire de nous, selon l’extraordinaire formule de saint Paul, un peuple ardent à faire le bien. » Que fait Dieu pour nous ? Que fait-il de nous en naissant à Bethléem de Juda ? « Son peuple, dit l’Apôtre, un peuple ardent à faire le bien. » Oui, de nous, les humains, si prompts à la colère, si capables de jalousie, si occupés par la peur de manquer, si inquiets de ce que sera demain, le Dieu vivant, Dieu au sens le plus haut que nous puissions donner à ce terme, s’engage tout entier pour faire de nous « un peuple ardent à faire le bien ». Il ne supprime rien des mécanismes cosmiques et des fatalités sociales qui font les catastrophes naturelles et les guerres fratricides ; il vient rejoindre, comme « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire », chacune et chacun de nous, pour nous offrir, un par un, patiemment, inlassablement, de devenir ses frères et ses sœurs, tous unis en « un peuple » digne d’être le peuple de Dieu, « un peuple ardent à faire le bien.

Frères et sœurs, en cette nuit de Noël, entrons dans le mystère de l’Eucharistie du Seigneur. Il nous y nourrit de lui-même, pour nous faire renaître « en attendant la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ »,

                                                                                                                           Amen.


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