Homélie du 25 août 2024, pour le 21ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 27 août 2024

Homélie du 25 août 2024, pour le 21ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 21ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 25 août 2024, en la chapelle du Carmel de La Fontaine-Olive

« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Cette réaction des disciples, -entendons-le bien : des disciples de Jésus, pas d’auditeurs de passage, de ceux et celles qui l’ont suivi au moins un peu et qui l’ont entendu avec plaisir plusieurs fois-, cette réaction des disciples au terme du discours que Jésus prononce dans la synagogue de Capharnaüm, le lendemain du jour où il a distribué du pain et du poisson en abondance à la foule, est souvent partagée autour de nous. La parole de Jésus est rude :  le terme grec employé est « skleros », sclérosée : qui assèche et conduit à la mort. Elle est jugée ainsi plus souvent qu’il y paraît et une partie de la désaffection de personnes élevées pourtant dans la foi s’explique ainsi, ne le négligeons pas.

La parole de Jésus, ce qu’ils ou elles identifient comme relevant de la parole de Jésus, leur paraît inutilement exigeante, insuffisamment encourageante et source de vie. C’est que Jésus n’est pas venu pour résoudre nos problèmes humains, en tout cas pas directement ; il vient plutôt les accentuer, leur donner une portée qui peut paraître exorbitante. Il ne vient pas apporter des solutions, des aménagements ; il vient nous ouvrir une nouvelle manière de vivre, nous ouvrir nous-mêmes, en nous-mêmes, à une nouvelle manière d’être des humains ; il ne rend ni les maladies moins nombreuses ou moins redoutables, ni la mort plus agréable, ni le travail plus amusant ou épanouissant, ni les relations entre êtres humains plus amusantes ou légères. Il vient donner à tout un poids nouveau, car tout, de près ou de loin, exprime quelque chose de notre relation à Dieu le Père.

Or, frères et sœurs qui fréquentez cette chapelle, cette vie nouvelle ou cette manière nouvelle, inédite, de vivre que Jésus est venu nous ouvrir, nous rendre possible, nous la voyons concrètement dans la vie religieuse ou consacrée. C’est pourquoi je suis spécialement heureux, mes Sœurs, de célébrer avec vous et pour vous ce dimanche. Car, dans votre vie consacrée, votre vie vouée à la chasteté, à la pauvreté, à l’obéissance, vous rendez palpable pour toute l’Église et aussi bien souvent pour l’humanité entière, si elle veut bien vous considérez un peu, la manière paradoxale de vivre davantage, d’être vivants et vivantes en vérité, que Jésus vient nous rendre possible.

 Parfois, certains voient dans vos vies ce qu’elles ont d’intense, de fort, de libre, et parfois d’autres y voient surtout ce dont elles paraissent manquer, inutilement. Plus largement, nous aimons quand Jésus donne sens et beauté à l’amour entre l’homme et la femme comme saint Paul essaie de le dire dans sa lettre aux Éphésiens ; nous sommes moins à l’aise lorsque nous sommes confrontés à l’exigence de la fidélité et de l’indissolubilité. Nos sociétés aiment voir Jésus regarder les pauvres, les malades, les handicapés avec respect, faisant ressortir leur dignité ; elles sont moins à l’aise lorsqu’il s’agit de promouvoir la dignité de tous en rendant chacune et chacun acteurs et moins encore lorsqu’il s’agit de respecter la vie de tout être humain, quel qu’il soit et quel que soit son état, moins heureuses de l’entendre lorsqu’il s’agit de nous entraider à vivre la maladie jusqu’au bout en renonçant en tout cas à l’esquiver en nous autorisant à donner la mort. Nous sommes à l’aise lorsque nous entendons Jésus dire que le second commandement est l’amour du prochain, mais un peu moins lorsqu’il s’agit de l’appliquer à l’étranger qui se présente dans l’espoir d’une vie meilleure, à l’enfant qui vient sans être attendu, au voisin qui attend notre aide ou lorsqu’il s’agit de payer ses impôts.

Qu’a dit Jésus pour susciter alors une telle réaction ? Nous l’avons entendu dimanche dernier : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » et il marquait la différence entre la manne des pères dans le désert qui nourrissait le corps mais n’empêchait pas de mourir et ce pain venu du ciel qu’il est lui-même et qui nous rend vivants pour toujours. Ce qui est rude est qu’il ne s’agit de recevoir un message et d’en faire l’usage que nous voulons, pas non plus d’être initié à une certaine manière de faire et de la reproduire par nous-mêmes : il s’agit de se nourrir encore et toujours de lui, Jésus, cet homme-là, descendu du ciel pour nous, venu à notre rencontre, pour nous partager ce qu’il a à partager : rien d’autre que lui-même et, plus précisément, rien d’autre que sa capacité à se recevoir du Père et à se donner au nom du Père. Dieu, le Dieu vivant, le Dieu d’Israël, n’est pas celui dont nous pourrions obtenir l’allègement de nos difficultés, le soulagement de nos épreuves, la solution de nos problèmes : nous avons pour cela reçu de lui et l’intelligence et la volonté et la capacité de nous entraider ; Dieu, le Dieu vivant, le Dieu d’Israël, est celui qui aspire à entrer en alliance avec nous en nous partageant sa capacité à se donner jusqu’au bout, sa patience, sa douceur, sa force qui n’est pas pour détruire mais pour transformer et transfigurer. Le « pain vivant descendu du ciel » dont parle Jésus n’est rien d’autre que lui-même, venu à notre rencontre pour nous apprendre ou mieux : pour nous donner de nous rencontrer les uns les autres comme Dieu peut et veut nous rencontrer, non pour nous dominer mutuellement, non pour trouver avantage les uns dans les autres, non pour échanger des droits et des dettes, mais pour la joie de la communion. Lui, le Fils bien-aimé, trouve sa joie à vivre « par » le Père et il nous propose d’apprendre à vivre « par » lui. Nous retrouvons cette logique interne de Dieu dans la description que fait saint Paul des relations de l’époux et de l’épouse. « Vous, les femmes, soyez soumises chacune à votre mari », « vous, les hommes, aimez vos femmes à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église et s’est livré pour elle ». Les époux sont invités à se mettre au service l’un de l’autre, non pas dans un échange réciproque au sens où chacun mesurerait ce qu’il donne et ce qu’il reçoit, mais dans un don sans attente de retour, mais dans l’espérance que l’amour conduira l’autre à donner plus que ce qui était attendu, même si c’est tout autrement.

Or, frères et sœurs, ce que Jésus ajoute et qui nous est difficile à accepter, qui l’a été déjà aux Juifs dans la synagogue de Capharnaüm, est que ce qu’il nous propose n’est pas seulement une amélioration, un prolongement, un affinement de ce que nous vivons déjà. Il prétend nous apporter ce que nous ne pouvons pas nous procurer par nous-mêmes, pas même par une vie de respect de la loi de Dieu et d’ascèse : « C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien » et, juste avant : « Quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ! » L’esprit n’est pas un perfectionnement de la chair, il est un autre principe, qui vient d’ailleurs, non pas d’un ciel inaccessible mais de Dieu qui s’abaisse pour venir à nous et l’esprit n’est pas d’abord une intelligence supérieure, une habileté nouvelle, mais, redisons-le, la vie intime de Dieu qui est don et échange et désappropriation de chacune des Personnes : le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, l’une dans les autres. N’entendons pas la distinction que Jésus fait comme un dualisme qui couperait toute chose, toute réalité en chair et esprit inconciliables. L’esprit est fait pour habiter la chair et la chair pour être habitée par l’esprit qui vient de Dieu. Nous connaissons cela depuis le deuxième récit de la création de l’humain dans le livre de la Genèse.

Alors, frères et sœurs, si nous sommes là ce matin, c’est sans doute parce que nous aussi nous voulons dire comme saint Pierre : « A qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » Si faible soit notre foi, en contemplant par exemple nos Sœurs du Carmel ou d’un autre monastère, en voyant vivre telle chrétienne ou tel chrétien que nous connaissons, nous reconnaissons une intensité de vie, une justesse de vie, qui nous paraît plus humaine, plus digne de ce que nous sommes, et nous sommes heureux de la devoir à Jésus, à ce Jésus-là, venu à nous comme il est venu et allant jusqu’au sacrifice de la Croix.

Célébrons donc notre Eucharistie en nous unissant à la sienne et réjouissons-nous, frères et sœurs, d’entendre sa parole. Elle est rude, elle est exigeante, elle ne nous fait pas de cadeau, elle nous décape, mais elle nous dilate et nous élargit pour que, par nous, l’esprit puisse agir et passer vers tous les autres et pour eux,

Amen.


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