Homélie du 23 août 2019 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 23 août 2019

Homélie du 23 août 2019

Invité à présider la messe de l’engament définitif dans la communauté du Chemin Neuf le 23 août dernier à l’Abbaye des Dombes, Mgr de Moulins-Beaufort y a prononcé cette homélie.

« De ces deux commandements dépend toute la Loi ainsi que les Prophètes ». Du commandement de l’amour de Dieu et du commandement de l’amour du prochain, l’un : le « grand commandement », l’autre qui lui est semblable, dépend l’intégralité de la Parole de Dieu donnée aux hommes. « Toute la Loi ainsi que les Prophètes », cela désigne certes les commandements de Dieu, ses préceptes, mais plus encore, beaucoup plus encore : le sens de l’histoire des hommes avec ses immenses aventures et ses drames quotidiens et aussi la signification profonde de la création, c’est-à-dire la vérité de l’immense cosmos dans ses complexités qui expriment la richesse de la pensée divine du Créateur. Tout ce qui est donc et tout ce qui se produit, tout est suspendu au double commandement de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. Tout ce qui est et tout ce qui se produit, que ce soit un fait cosmique remontant à des années-lumière, une éruption solaire constatée aujourd’hui ou bien la marche des légions de Rome et le moindre soubresaut de l’histoire contemporaine, tout, dans le réel dont nous vivons, en tant que Dieu le veut ou le permet, existe pour que l’Israël de Dieu, le peuple choisi et sanctifié, aime Dieu « de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit » et pour que, dans ce peuple, chacun « aime son prochain comme soi-même. »

Face à la complexité de l’histoire du cosmos et aux énigmes qu’elle renferme encore, celles que nous repérons et celles qui apparaîtront à mesure que certaines seront résolues, l’amour de Dieu et l’amour du prochain paraissent des forces dérisoires. A regarder les prestiges et les tourments de l’histoire humaine, peut-ont sérieusement croire que leur sens le plus profond, leur raison d’être, leur secret, puissent être synthétisés dans le double commandement de l’amour ? Voilà, pourtant, ce que Jésus ose répondre, en quelques phrases très simples, alors qu’un docteur de la Loi du groupe des Pharisiens vient le tester en lui demandant quel est le grand commandement. Peut-être l’homme ne s’intéresse-t-il qu’à une question strictement religieuse, dont la portée serait soigneusement enfermée dans les limites de ce que nous appelons de manière plus ou moins claire « le religieux » ? La réponse de Jésus ne peut, elle, n’avoir qu’une portée anecdotique, elle ne peut pas ne concerner que l’étroite zone religieuse des êtres humains. Lui sait, plus qu’aucun autre, que les écritures de « la Loi et des Prophètes » ont été données à Israël pour révéler à tous les hommes le dessein total de Dieu, ce que le Père a voulu en créant par surabondance de sa gloire et qu’il ne cesse de vouloir et de travailler à faire advenir : que les êtres humains, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, apprennent à aimer en vérité, sans restriction, et porte ainsi tout le cosmos et tout le temps qu’ils vivent vers la pleine réalité.

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En vous engageant à perpétuité dans la Communauté du Chemin-Neuf, vous consentez, frères et sœurs, à porter en votre chair cette réponse-là de Jésus pour la faire entendre à ceux qui vous croisent et vous croiseront. Pourquoi êtes-vous engagés à vie dans la Communauté du Chemin-Neuf, vous demandera-t-on ? Pour aimer Dieu en retour de son amour pour nous, pourra être votre réponse. Comment aime-t-on Dieu ? En aimant son prochain, ce que la vie communautaire permet de vivre sans détour, sans ménagement, sans trop de contournement, sinon sans précaution. Votre vie engagée communautairement, quel que soit votre état de vie, montrera que vivre pour aimer Dieu et son prochain est possible et a un sens dès cette vie terrestre, que c’est même le sens de la vie terrestre qui, souvent, se dérobe à ceux qui s’y trouvent. Vous montrerez à tous ceux qui voudront bien regarder qu’un chemin nouveau de vie est possible, un chemin nouveau et très ancien, le chemin voulu par le Créateur dès l’origine, un chemin qui n’est pas l’apanage de quelques originaux ou de quelques privilégiés mais la vérité de toute existence humaine sur cette terre. Si tout nous est ouvert pour que nous aimions, alors il vaut la peine de consacrer son existence à apprendre à aimer avec toujours plus de délicatesse et de vérité.

Aimer Dieu « de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit » pourrait mener au fanatisme, car Dieu ne peut se défendre de ceux qui prétendent l’aimer et y mettent la violence et la virulence de leur cœur malade ; mais le Seigneur Jésus nous enseigne qu’aimer Dieu revient à aimer son prochain « comme soi-même ». Aimer son prochain « comme soi-même » pourrait soumettre à une sentimentalité sans frein, à une détestation de soi morbide ou bien au contraire à la tyrannie du désir de posséder, si le Seigneur Jésus ne nous faisait entendre qu’on ne peut aimer son prochain en vérité, en justice, que si on aime Dieu en lui, Dieu, le Créateur de chacun, qui se laisse aimer à travers chacun de ceux qu’il a créés à son image et qu’il a mis sur notre route. Aimer Dieu comme on aime son prochain pourrait conduire à voir en Dieu un compagnon de route bien banal, mais le Seigneur nous appelle plutôt à regarder notre prochain avec le respect infini, l’admiration et même, en quelque sorte, l’adoration qui sont dus à Dieu et à lui seul.

Parmi vous, quelques-uns vont s’engager au célibat pour le Royaume. Peut-on aimer Dieu sans aimer un prochain concrètement, à travers le temps, au fil des saisons de la vie, mais aussi dans la proximité des corps, l’ouverture réciproque de l’intimité, l’effort de porter en commun les engagements de la vie quotidienne ? Peut-on aimer en se dispensant d’accueillir la familiarité d’un autre à la disposition de qui on se met tout entier ? Non, sans doute. Alors, que faites-vous donc, vous qui osez aujourd’hui vous engager devant Dieu et devant les hommes au célibat pour le Royaume ? Vous rendez sensible en ce monde que le double commandement de l’amour n’est pas une loi philosophique, qu’il ne relève pas non plus d’une recherche sociologique quant à la meilleure manière de vivre ici-bas, qu’il n’est pas le fruit d’une recherche de conciliation entre des aspirations différentes de l’être humain : l’appel à aimer Dieu et aimer son prochain avec la même intensité retentit dans la bouche de Jésus, le seul de tous les êtres humains à vivre pleinement ce double commandement, non comme un appel extérieur auquel il tâcherait de se conformer mais comme le dynamisme intérieur de son être, lui vraiment Dieu venu en vérité en notre condition pour servir son Père en nous aimant et se donner pour nous en nous ouvrant le chemin vers le Père. Il ne suffit pas d’enseigner le double commandement, il ne suffit pas que nous essayions de le vivre de toute la générosité de notre cœur et de la force de notre esprit : il faut que certains de nous témoignent pour tous les autres que le double commandement a pris chair, est venu au plus intime de nous, est devenu capable de nous prendre en lui et de compenser nos faiblesses et nos manquements. Par votre célibat voué devant Dieu et devant les hommes, que vous vivrez dans la continence parfaite et en grandissant dans la chasteté du cœur et de l’esprit, vous répondez à la présence parmi nous du Seigneur Jésus : son amour à lui, pour le Père et pour nous, n’a pas été un jeu de langage et il n’est pas seulement dans les mots aujourd’hui. Aujourd’hui, lui qui jadis répondit au Pharisien en faisant dépendre « toute la Loi ainsi que les Prophètes » du premier commandement et du second qui lui est semblable, ne cesse de se tourner vers le Père pour se recevoir de lui dans l’action de grâce et de se tourner vers chacun de nous pour agir, afin d’intégrer celle-ci ou celui-là dans son unique filiation, espérant l’avoir à jamais pour frère ou pour sœur.

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Chers amis, chers frères et sœurs, vous vous engagez ainsi devant Dieu et devant nous tous, en un temps douloureux pour l’Église du Christ. Elle a dû ouvrir les yeux sur les méfaits d’un certain nombre de ses membres, parfois les plus estimés, parfois ceux qui avaient paru ouvrir des voies pleines de beauté et de force pour répondre à l’appel du Seigneur. Cette Église a dû, et nous tous en elle, réaliser que les relations auxquelles le Seigneur dans lesquelles le Seigneur nous place pouvaient être transformées par certains en relation de domination et de prédation. « Aimer Dieu », « aimer son prochain » forment un programme magnifique, mais nous ne pouvons plus être naïfs, nous devons être conscients que de tels mots peuvent être servir à quelques-uns pour établir sur les autres un pouvoir destructeur ou transformer les autres en proies pour leurs besoins les plus honteux. Plus que jamais, donc, il nous faut recevoir ces commandements de Jésus, de Jésus lui-même, de Jésus seul.  Il nous faut apprendre de lui l’identité des deux commandements et recevoir de lui la grâce de les vivre. Et moins que jamais aussi, nous ne pouvons renoncer à vivre selon ce haut chemin. L’humanité a, plus que jamais besoin, que des femmes et des hommes lui montrent que tout le sens de l’existence, toute sa vérité, dépendent de « ces deux commandements ». Tous les êtres humains, aujourd’hui plus que jamais, aspirent, le sachant ou non, à entendre et à voir qu’il vaut la peine de tenter des relations intenses, qu’elles ne sont pas condamnées à devenir des relations destructions mais peuvent, tout au contraire, être porteuses de vie pour tous et pour chacun.

Vous vous engagez à vivre dans la Communauté du Chemin-Neuf dans la communion de la foi au Christ venant de confessions différentes, et vous montrez et montrerez ainsi que le lien que le Christ crée avec chacun de nous par le don de la foi suscite une unité profonde qui peut prendre forme concrète ici-bas, dans l’intensité des relations et dans l’approfondissement du respect mutuel. Vous vous engagez au célibat venant de confessions différentes et vous manifestez ainsi que la force de la présence et de la venue du Christ est telle que, comprise selon les nuances et aussi les divergences des confessions différentes, elle peut susciter une réponse semblable. Vous donnez l’espérance que les différentes confessions chrétiennes peuvent s’aider à y correspondre d’une manière toujours plus exacte.

Que la lecture du livre de Ruth dans laquelle la liturgie de l’Église nous fait entrer aujourd’hui nous éclaire et nous console et nous fortifie. Ruth est une fille de Moab ; elle décide de rester fidèle au Dieu d’Israël qu’elle a découvert à travers son mari et, semble-t-il, plus encore à travers sa belle-mère. Elle deviendra, sans l’avoir cherché, l’épouse de Booz et l’aïeule du roi David et de Jésus lui-même, le Messie d’Israël venu pour tous les êtres humains. Il y a beaucoup de Ruth. On rencontre, dans la Loi et les Prophètes déjà, beaucoup de païens, surtout des femmes mais quelques hommes aussi, qui ont su reconnaître la beauté de la vie dans l’Israël de Dieu et qui ont osé aspirer à en vivre. Puissiez-vous, frères et sœurs, chers amis, en rencontrer beaucoup ; puissiez-vous être des Noémie pour plusieurs. En chaque âme qui s’ouvre au Christ et qui consent à lui remettre son corps, son cœur, son âme, son esprit, se joue toute la destinée du monde, tout ce que la Loi et les Prophètes chantent et annoncent. Que « le Seigneur ouvre les yeux des aveugles et redresse les accablés » : qu’il nous donne d’entendre et de voir, à travers vous et à travers beaucoup, que tout ce qui importe vraiment ici-bas dépend de ce que nous, êtres humains, avons à aimer Dieu et à aimer notre prochain,

Amen.


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