Homélie du 22 décembre 2019 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 26 décembre 2019

Homélie du 22 décembre 2019

Homélie du 4ème dimanche d’Avent, année A, le 22 décembre 2019, en l’église Sainte-Geneviève, à Reims.

Joseph est l’homme qui a des songes et un homme qui agit. Du moins est-ce ainsi que saint Matthieu nous le présente dans son évangile. Joseph, l’époux de Marie, prolonge son ancêtre le patriarche, le fils de Jacob vendu comme esclave par ses frères qui devint ensuite le grand ministre de Pharaon grâce à sa capacité à comprendre les songes et à prendre les décisions utiles. Nous l’avons entendu à l’instant : « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse. » Par le songe, Joseph comprend ce qui lui arrive ou ce qui arrive à Marie à l’intérieur du dessein de Dieu, mais il n’est pas réduit à rester passif. Il doit décider et il le fait : il prend chez lui son épouse. Qu’est-ce que faire la volonté de Dieu ? Comment la connaissons-nous ? Comment pouvons-nous être assurés que notre action va s’inscrire dans le plan de salut de Dieu ? Le but ultime de Dieu peut nous être connu, nous pouvons le décrire, mais comment il veut le réaliser, comment il compte agir dans l’histoire pour y conduire les hommes, voilà qui nous échappe. Nous, les hommes, pouvons même nous disputer fortement selon que nous voyons la volonté de Dieu comme ceci ou comme cela. Où acquérir une lumière suffisante ? L’histoire de Joseph de Nazareth, telle que saint Matthieu la rapporte, nous aide à réaliser que la volonté de Dieu nous échappe toujours, que nous ne pouvons la reconstruire par nous-mêmes, nous ne pouvons qu’espérer la servir, y entrer sans tout mesurer de ce que cela implique et que, cependant, elle appelle notre action et notre décision.

Joseph nous enseigne encore un peu. Pourquoi avait-il envisagé de répudier Marie en secret ? L’explication un peu immédiate est qu’il la découvre enceinte, ce qui le heurte, mais qu’il a assez de délicatesse pour vouloir ne pas lui faire subir toutes les conséquences d’un manquement. Il me semble possible d’espérer de Joseph un peu mieux : Joseph est un fils d’Israël, il attend le Messie. Il comprend que Marie a été choisie par Dieu pour apporter à Israël enfin celui qui est promis depuis si longtemps, et il se retire du jeu. Joseph, nous dit saint Matthieu, « était un homme juste ». Cela ne veut pas dire seulement qu’il a du cœur, cela veut dire qu’il a le sens de Dieu. Puisque Dieu agit en Marie, lui, Joseph, se retire, il ne veut pas interférer dans l’œuvre que Dieu est en train de conduire. Il se sait, lui, assez pécheur pour redouter de venir troubler ce que la sainteté de Marie rend possible et que l’humanité attend depuis le commencement. L’ange vient donc, dans un songe, le convaincre qu’il a sa place dans ce dessein de Dieu, qu’il a son rôle à jouer et qu’il ne doit pas se dérober. Voilà donc ce qu’il fait : « Il prit chez lui son épouse. »

Pour nous, au total, une première indication : l’œuvre de Dieu requiert que nous y jouions un rôle, notre rôle. Dieu organise les choses pour que chacun puisse apporter sa part, et le plus possible en le sachant au moins un peu et en y consentant du mieux qu’il peut.

Mais de quoi s’agit-il après tout ? Que sera cet enfant ainsi conçu ? « C’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Qu’entendons-nous par là ? Certaines époques, nous dit-on, se sont complu dans la considération du péché : on en voyait partout et cela empêchait de vivre. La nôtre s’est dégagée à tout le moins de ce genre d’inquiétude. L’humanité d’aujourd’hui supporte mal d’être accusée de faire le mal. Elle accuse volontiers les autres : les générations précédentes, par exemple. Notre époque aime la transparence, mais elle n’aime pas que sa pureté d’intention soit mise en cause. Elle ne voit pas trop pourquoi elle devrait s’inquiéter d’offenser Dieu ou de manquer à la bonté de Dieu ; offenser l’homme ou la femme lui paraît suffisamment grave. A l’époque de Jésus, il en allait autrement. Les Juifs en particulier avaient une vive conscience qu’ils risquaient collectivement de ne pas plaire à Dieu et d’en subir le châtiment. De quoi Jésus vient-il nous sauver ? Pas directement de la menace climatique ni tout à fait de l’injustice des conditions terrestres. Il vient nous sauver de ce qui habite notre cœur et qui déforme notre liberté : notre propension à ne pas faire confiance à la bonté de l’œuvre de Dieu parce que cette propension nous pousse à abîmer cette œuvre, par notre méfiance les uns à l’égard des autres, par notre avidité à posséder, par notre besoin de confirmer notre existence par la domination ou la destruction. Le péché n’est pas seulement le mal qui se fait, mais plutôt notre complicité plus ou moins claire, parfois très camouflée ou enfouie, avec ce mal, avec la mort, avec l’attraction du néant, le cheminement intérieur qui nous rend esclaves de nos peurs et de nos concupiscences. Jésus, nous le savons bien, après des siècles de vie chrétienne, ne nous guérit pas magiquement de tout cela. Mais il nous assure que le péché n’est pas le dernier mot de notre condition humaine et il nous rend par là capables de le voir et de le reconnaître. Il ne nous en libère pas au sens où il nous en débarrasserait purement et simplement mais en ce qu’il nous rend, chacun, lucides et capables de nous en arracher morceau par morceau et il nous promet que tout effort en ce sens vaut la peine parce qu’il prépare la vie éternelle. Jésus vient dans la longue histoire d’Israël, d’un tout petit peuple qui ose croire que ce qu’il vit sert à l’humanité entière devant le Créateur, pour l’accomplissement de la volonté pleine de bonté du Créateur. Nous reconnaître pécheurs, frères et sœurs, ne devrait pas nous enfermer dans une culpabilité destructrice, bien au contraire. Nous nous reconnaissons pécheurs d’autant plus lucidement et librement que nous voyons en Jésus Dieu qui nous pardonne et qui vient mettre en nous sa force de guérison, de libération, de restauration, de dilatation. Nous pouvons lucidement reconnaître que nous avons part au mal qui se fait dans le monde, parce que le lien entre les êtres humains est tel que le petit mal que je commets a une portée pour l’humanité entière, mais sans être accablés puisque nous savons en même temps que le moindre mouvement de libération du péché ouvre une espérance de salut pour l’humanité entière.

Au terme de l’Avent, à quelques jours de célébrer Noël, le chemin qui nous est proposé est celui de l’« obéissance de la foi », selon le mot de saint Paul. Pour tirer l’humanité vers la vie pour toujours en l’arrachant aux forces de mort et de néant, Dieu passe par un enfant porté par une femme, dans un peuple apparemment minime dans l’histoire du monde. Il commence par un commencement très peu efficace et pour lequel il a besoin de la collaboration de beaucoup : de Marie bien sûr, de Joseph aussi, et d’autres que nous connaissons ou que nous pouvons imaginer, tous ceux et celles qui vont entourer l’enfant qui va naître puis grandir, avant qu’il entame sa propre mission. Dieu a voulu avoir besoin de la longue histoire d’Israël et il a besoin encore et toujours de notre longue histoire à nous tous. Nous avons à croire que Dieu ne cesse pas d’agir au long des siècles et au long de chacune de nos vies.

Nous avons entendu saint Paul évoquer sa mission de « conduire les nations à l’obéissance de la foi ». L’Apôtre n’a pour cela pas d’armées, seulement sa parole et le témoignage de sa vie. L’obéissance de la foi n’est pas l’obéissance extérieure de ceux qui sont contraints à agir d’une certaine façon par les déterminismes de la vie ou par la contrainte morale de la société. L’obéissance de la foi ne peut être qu’intérieure, librement consentie. Elle consiste à accepter d’avoir besoin de Dieu et de Dieu venant à nous d’abord comme un enfant. Elle consiste à faire confiance en la promesse que porte cet enfant-là en qui la promesse qu’est chaque enfant se trouve confirmée et promise à s’accomplir. Elle consiste à accepter de se reconnaître pécheurs, ayant part au mal dans le monde, non pour s’y résigner mais à cause de la joie de savoir qu’un chemin de libération est possible et qu’il vaut la peine de s’y engager.

Frères et sœurs, gardons au cœur la belle figure de saint Joseph. Comme lui, méditons ce que Dieu nous fait dire et faisons ce qui nous est prescrit avec tant de douceur et de force,

Amen
+ Éric de Moulins-Beaufort


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