Homélie du 21 janvier 2024, pour le 3ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 22 janvier 2024

Homélie du 21 janvier 2024, pour le 3ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 3ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 21 janvier 2024, fête de saint Vincent, en l’église Saint-Simon et Saint-Jude de Sermiers

Quel rapport entre des pêcheurs au filet et les vignerons que sont beaucoup d’entre vous ? Quel rapport entre la première prédication de Jésus et l’appel de ses quatre premiers disciples et le champagne dont la production vous unit et fait la gloire de notre région ? Eh bien, il me semble qu’il y en a un. Je l’entends dans ce que Jésus, à en croire saint Marc, proclamait : « Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est proche ! » et encore dans la formule : « Convertissez-vous et croyez en l’évangile ». L’Évangile en effet, c’est la bonne nouvelle. Jésus annonce une bonne nouvelle : « Le règne de Dieu est proche ». Or, c’est pour mieux accueillir une bonne nouvelle que l’on ouvre une bouteille de champagne, c’est parce qu’un événement heureux, attendu, espéré, annoncé, se réalise enfin que l’on en sert encore et qu’on le partage largement avec ceux et celles que l’on peut associer à sa joie. Vous avez le privilège de fabriquer un produit qui rappelle à jamais que notre vie terrestre ne se vit pas seulement sous le signe du manque, de la pénurie, de la disette, mais aussi sous le signe d’abondance, pas seulement sous le signe de la maladie, de la peur, de la méfiance, de la mort mais aussi sous celui de la joie d’être et de vivre et de partager sans compter.

Lorsque Jésus proclame : « Les temps sont accomplis », il ne profère pas une menace. Il ne vient pas tout à fait comme Jonas qui avertit les Ninivites que leur violence, leur cruauté, leur orgueil ont fini par irriter Dieu qui va les châtier, ce Dieu qui d’ailleurs est prêt à renoncer à sa colère au moindre signe de repentir, au grand agacement de Jonas. Jésus, lui, vient annoncer que le règne de Dieu, c’est-à-dire la vie en plénitude, la réconciliation de tous avec tous et en Dieu, la pleine réalisation du dessein du Créateur, est tout proche. Le cours ordinaire de la vie humaine va être transformé non par une catastrophe mais par une rencontre, celle de ce qui s’approche, non par une ruine mais par un accomplissement. Tel est l’élan premier du christianisme, frères et sœurs : annoncer à tous, nous annoncer, que notre existence humaine débouche sur une vie pleine et plus que pleine ; nous promettre que nos efforts d’aujourd’hui, si modestes soient-ils, rendent possible la venue de celui qui vient tout apporter et tout donner ; nous assurer que la fin des fins n’est pas le règne de la mort, du néant, du chaos, mais la communion de tous avec tous dans la présence pleine et bienfaisante de Dieu.

Alors, frères et sœurs, à cette lumière, dont le champagne est le signe magnifique, comment comprendre l’appel à la conversion, qui est appel à un changement de vie ? Très simplement en fait. Si la plénitude vient à nous, si la nouvelle des nouvelles est une bonne nouvelle, une bonne nouvelle pour toujours, est-ce que ma manière de vivre me prépare à cela ? Ma manière de penser et d’agir me prépare-t-elle à entrer dans la vie en plénitude, dans la rencontre qui n’aura pas de fin, dans la joie à partager avec tous en Dieu ? Il est bien possible qu’en un ou plusieurs aspects de ma vie, je vive encore comme quelqu’un du monde ancien, comme quelqu’un marqué par la mort, la maladie, le manque, la pénurie, la peur des autres, l’inquiétude pour demain. Bien sûr, il nous faut être raisonnables. Jésus qui annonce le royaume tout proche va finir sa vie crucifié, c’est-à-dire humilié, rejeté, condamné, vaincu par les puissances actives de ce monde et nul de nous ne souhaite finir ainsi. Et pourtant, il a l’audace et l’évangéliste après lui de nous faire entendre, aujourd’hui comme hier et comme demain, ce même appel qui est une promesse : la mort, le mal, la douleur, l’injustice peuvent sembler l’emporter ; la vérité de l’existence humaine et de l’histoire des hommes cependant est qu’elles débouchent dans la résurrection, dans l’amour qu’est Dieu depuis toujours et qu’il veut nous partager à tous. Voilà qui mérite du champagne !

Le passage qui nous a été proclamé nous rapporte comment Jésus appelle ses premiers disciples : Simon et André, Jacques et Jean, deux paires de frères de sang, unis dans un même métier : la pêche au filet dans le lac de Tibériade encore appelé la mer de Galilée. Un aspect étonnant de ce récit est la promptitude avec lequel les quatre répondent à l’appel de Jésus : « aussitôt, laissant leurs filets » ; « aussitôt, laissant leur père avec ses employés », et la radicalité avec laquelle ils laissent tout ou presque. Une question se pose à nous, une question pour chacun dans le secret de son cœur : pour quoi suis-je prêt à tout laisser ? En vue de quoi ou de qui ? Peut-être avez-vous remarqué comment saint Marc nous fait ressentir ce qui pourrait nous scandaliser : Jacques et Jean laissent leur père avec ses employés ; au lieu de ses fils, il n’aura plus pour l’aider que ceux qu’il paiera. Mais comprenons aussi que ce qu’ils laissent à l’appel de Jésus, ils ne le renient pas. Nul mépris pour leur père, nulle révolte contre leur situation de fils travaillant avec leur père ; nulle remise en cause d’une situation sociale quelconque. Seulement, un meilleur s’est présenté qui a besoin d’eux, un « encore mieux » qui ne veut pas se réaliser sans les engager. Un service les requiert qui n’est pas celui de leur survie et même pas celui de leur salut, mais celui de l’humanité entière et de la totalité de l’histoire. Ils ne réagissent pas à un ordre ni à une menace mais à une promesse qui est pour eux et pour tous : « Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes », c’est-à-dire que je vous emploierai à faire passer les humains d’une vie fragilisée, abîmée, menacée, à la vie pleine et plus que pleine. Ils ne quittent pas leur père pour se soustraire à leur tâche de chaque jour mais pour une tâche plus haute, plus ample, qui embrasse tout le temps et tous les humains. Ainsi, au long des âges, des femmes, des hommes, ont-ils beaucoup laissé pour suivre davantage le Seigneur Jésus, pour porter sa parole, pour témoigner de lui auprès des autres. Notre époque souffre que ceux-là, celles-là, soient moins nombreux. Notre époque court le risque que fort peu jettent tout leur être dans la balance pour que le meilleur du Royaume soit connu et reçu et vienne à la rencontre de notre humanité encore laborieuse et encore souffrante.

Permettez-moi de vous le dire : chaque fois que l’on boit du champagne, on goûte quelque chose de cela. L’effervescence subtile de notre vin fait goûter à beaucoup que, dans les conditions fragiles de ce temps et de ce monde, ce qui s’y vit de bon, de bien, d’heureux, de joyeux ne ment pas. Voilà qui oblige à nous demander dans quelles conditions nous le produisons, pour que la joie qu’il permet de célébrer ne soit entachée d’aucun regret, d’aucune colère. La vendange dernière, c’était il y a quelques mois tout juste, a été cruellement endeuillée. Cela vous a tous meurtris. Nous portons aujourd’hui dans notre prière les morts de ces jours et leurs familles et leurs amis. Nous demandons la grâce de mettre toujours l’humain au cœur de notre vie professionnelle, de nos choix, de nos calculs. Nous pouvons écouter saint Paul : « Il passe, ce monde tel que nous le voyons. » L’Apôtre ne nous appelle pas à le mépriser ce monde, mais  plutôt à nous laisser entraîner par son dynamisme interne. Notre monde, tel qu’il est, aspire à mieux et le fait désirer. Tout moment de plénitude ici-bas réclame d’être pour toujours. Tout moment de joie annonce la joie éternelle. Trop souvent, nous vivons en cherchant à posséder, à retenir, à garder pour soi. La bonne nouvelle du règne de Dieu tout proche nous appelle au contraire à vivre dès ici-bas en visant ce qui n’aura pas de fin. Les formules de saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens peuvent surprendre : « Que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’avaient pas de femme, ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien… » : ne nous installons pas en ce monde selon la figure de ce monde, mais visons en toute chose l’encore meilleur que la venue du règne nous promet. Puisque nous avons la chance de vivre et d’œuvrer dans une région dont le produit nous convoque à la joie, ne nous replions pas sur nos motifs de satisfactions, mais visons en tout la joie qui ne finira pas, celle que nous pourrons partager avec tous. « Convertissons-nous et croyons à l’Évangile, à la bonne nouvelle ».

                                                                                                                                  Amen.


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