Homélie du 2 juin 2024, pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 3 juin 2024

Homélie du 2 juin 2024, pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ

Homélie pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, année B, le dimanche 2 juin 2024, en l’église Notre-Dame de Villedieu-les-Poêles, fêtes du Grand Sacre

Il est question de « préparatifs » : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » demandent à Jésus ses disciples. Vous connaissez cela, sans doute, frères et sœurs, qui, tous les quatre ans, préparez le Grand Sacre et qui, dans les mois et les semaines qui viennent de passer, avez consacré tant de temps, de plus en plus de temps, à ce jour que nous célébrons enfin. Aux préparatifs de ce jour s’ajoutent pour vous et toute la région ceux des commémorations du débarquement du 6 juin 1944 et de la bataille de Normandie qui a suivi. Chaque année, les familles juives préparaient la Pâque et ainsi font-elles encore aujourd’hui. Notons que Jésus et ses disciples la célèbrent ensemble comme s’ils formaient ou parce qu’ils forment une famille d’un type nouveau.

Les grands événements se préparent, de plus ou moins loin : il faut installer une maison, nettoyer et décorer une pièce, veiller au repas, penser aux convives, anticiper les besoins de tous, et tout cela, parfois, en regardant le ciel avec inquiétude, car la pluie pourrait venir compliquer toutes choses. Dans le récit évangélique, tel que saint Marc le rapporte, un détail peut nous retenir : la demande des disciples Jésus a une réponse toute prête. Il a lui-même préparé quelque chose, il a trouvé une maison disposée à les recevoir, ses disciples et lui, et même convenu avec le propriétaire d’un moyen de guider ses envoyés vers cette maison tout en gardant une certaine discrétion. Le signe donné est « un homme portant une cruche d’eau » qui viendra à leur rencontre, signe efficace sans doute parce qu’aller chercher l’eau était habituellement le travail des femmes. Un homme qui va chercher lui-même l’eau à la fontaine est un homme privé de femmes, soit parce qu’il est veuf et n’a pas de sœur, soit parce que sa femme est tombée inopinément malade ; en tout cas, il se repère assez facilement dans la foule, surtout s’il vient à la rencontre des disciples de Jésus.

Les disciples, donc, font les préparatifs nécessaires pour le repas de la Pâque, mais ces préparatifs sont eux-mêmes précédés et rendus possibles par ceux que Jésus lui-même a pris en charge. Déjà, le livre de l’Exode, nous rapportant le scellement de l’alliance au désert, devant la montagne de l’Horeb ou du Sinaï, évoque, nous l’avons entendu les préparatifs nécessaires. Une ou deux phrases y suffisent, mais nous comprenons bien que pour bâtir un autel, dresser douze pierres et préparer des taureaux pour les offrir en sacrifice, il a bien fallu quelques heures de travail, et c’est pourquoi il nous est précisé que Moïse « se leva de bon matin ». Certains, ici, se sentent sans doute frères ou sœurs de l’antique Moïse et des jeunes garçons qui l’ont aidé.

Ces préparatifs matériels, vous le savez, frères et sœurs, ne trouvent tout leur sens, toute leur valeur de préparatifs que si chacun les vit tendus vers l’événement que l’on prépare, en pensant à ceux et celles que l’on va recevoir, avec qui l’on va partager un moment de célébration ou de fête. C’est pour eux et pour elles que l’on tâche de tout porter au meilleur état possible, c’est pour qu’ils et elles puissent vivre un moment parfait que l’on organise tout avec soin, c’est pour que les rencontres puissent être les plus paisibles possibles et laissent de beaux souvenirs que l’on répète les chants ou que l’on s’efforce de préparer les repas les meilleurs. C’est vers le sens de l’événement que l’on se tend, c’est au sens de l’événement que l’on se dispose pour pouvoir le vivre en toute son intensité. Ainsi invitons-nous les fiancés à se préparer au mariage, les parents au baptême de leur enfant, les jeunes à leur première communion ou à leur profession de foi ou à leur confirmation. Les préparatifs sont la face visible de la préparation intérieure nécessaire qui, seule, permettra à chacun ou chacune d’être en lui-même à la hauteur de l’événement.

Les disciples, dans le récit évangélique, se préparent à célébrer la Pâque, ils le font en bons Juifs de leur temps avec la caractéristique propre qu’ils vont vivre la Pâque avec Jésus, dans la relation nouvelle que ce Maître d’un genre différent a créée avec eux, les arrachant à leurs familles. Ils se réjouissent de vivre les gestes rituels de ce repas, de faire ensemble mémoire du grand acte de libération de Dieu qui a arraché Israël à la mort et à l’esclavage en Égypte pour le tirer vers la liberté ; ils pensent aux significations spirituelles et morales de cette fête pour en vivre pleinement.

Jésus, lui, s’il a cherché le lieu adéquat et prévu la manière de le repérer, sent bien que cette Pâque-là ne sera pas une Pâque de plus ; elle ne sera pas comme toute Pâque pour tout Juif la seule mémoire vivante de la sortie d’Égypte et de l’Alliance dans le désert et l’espérance de la Pâque définitive, elle va être sa Pâque à lui, le moment de son passage à lui vers le Père, traversant le rejet ultime de la part des humains et la mort, et il s’y prépare intérieurement, plus intensément à mesure que le jour de sa Passion approche, mais en fait depuis toujours, dès le premier moment de sa vie consciente, dès le mystère de son Incarnation, et en chaque instant de sa vie terrestre. Plus encore, ce moment est visé, préparé, par le Dieu vivant, le Dieu d’Israël, depuis le commencement de l’humanité, depuis le choix d’Abraham et de sa descendance. «Les préparatifs de la Pâque » englobent toute l’immense histoire de l’humanité avec Dieu qui va déboucher, qui va aboutir, dans le repas que les disciples ont préparé ce jour-là dans la grande pièce, à l’étage de la maison où ils ont été conduits de manière un peu énigmatique par l’homme à la cruche.

Que s’est-il passé en ce repas ? Saint Marc nous le dit avec un mot ancien et nouveau : une alliance. « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. »  Le livre de l’Exode nous a préparés à entendre évoquer l’Alliance et le sang répandu pour la sceller. Une alliance à la vie et à la mort, comme l’on dit parfois. La lettre aux Hébreux nous précise qu’il ne s’agit plus d’une alliance scellée avec du sang d’animaux mais avec le propre sang du Christ Jésus. Il s’agit donc du don de lui-même, qui se livre tout entier pour que le Père nous reçoive comme si nous étions autant ses fils et ses filles que lui, le Fils unique. Jésus ne se prépare pas à un exploit extérieur à lui, il ne cherche pas à acquérir des animaux ou des plantes en grand nombre pour payer à Dieu on ne sait quel prix ou quelle rançon, il se prépare à se donner lui-même tout entier. Il lui faut donc mobiliser toutes ses forces intérieures et extérieures et les concentrer en quelque façon dans le double acte si simple que saint Marc décrit et que nous reprenons en chaque messe : « Ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit et dit » ; « ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna… et il leur dit. »  Rien de plus simple que ces gestes et rien non plus de plus intense ici-bas. En aucun autre geste, un être humain ne s’est donné avec autant d’authenticité, avec autant de justesse, avec autant de don de soi, avec autant de vérité et de liberté. Ce pain rompu et distribué, ce vin dans la coupe qui circule, nous les recevons, frères et sœurs, après les apôtres, avec eux pour mieux dire, comme le corps livré et le sang versé de cet homme-là qui fut Dieu le Fils présent parmi nous et pour nous. Ils sont le signe de l’alliance que Dieu en scelle avec nous. Dans cette alliance, sous ces signes, lui Jésus, le Fils bien-aimé, s’apporte tout entier. Il se rend tout entier disponible pour nous, il se met sans réserve, au nom du Père, par obéissance au Père, à la disposition de ceux et celles qui veulent bien le prendre.

Jésus, au soir de la Cène, a offert l’alliance avec Dieu de manière unilatérale, sans poser de conditions. Comment pouvons-nous en devenir le partenaire ? Il n’y pose pas de conditions préalables, il n’exige pas une origine sociale ou une origine ethnique déterminée ; elle est, cette alliance, « pour la multitude ». Il n’exige pas non plus une sainteté particulière. Il faut juste reconnaître dans le pain rompu son corps à lui bientôt humilié, bafoué, mis à mort, dans le vin qui circule son sang versé, répandu. Il faut juste accepter que nous ayons besoin qu’un tel prix soit payé, qu’un tel engagement soit consenti, pour que nous puissions devenir des partenaires de Dieu dans l’alliance « nouvelle et éternelle ». Il faut juste que nous reconnaissions que nous sommes précédés par l’acte de Dieu, par le don de Dieu fait en Jésus, et que cela était nécessaire à cause des forces de refus et de déformation qui existent en nous. « Son sang, écrit l’auteur de la lettre aux Hébreux, purifiera donc notre conscience des actes qui mènent à la mort, pour que nous puissions rendre un culte au Dieu vivant. » EN fait, frères et sœurs, Dieu, dans l’Alliance, ne nous demande rien de spécial, sinon de consentir à être entraînés par lui toujours plus loin sur le chemin du don de soi.

C’est pourquoi, pour participer à l’Eucharistie du Seigneur, pour recevoir le pain et le vin consacrés par sa parole et par ses gestes repris par l’Église en mémoire de lui, des préparatifs sont nécessaires tout de même. Mais la préparation essentielle est simple : être intérieurement prêts à être entraînés par Jésus, par ses paroles et par ses gestes, dans un don de nous-mêmes un peu ou beaucoup plus grand que ce que nous avons vécu jusque-là, à consentir en toute conscience.

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Villedieu-les-Poêles fête le Grand Sacre. Depuis 1655, cette procession a eu lieu tous les quatre ans. Nous sommes réunis aujourd’hui pour l’édition nouvelle de cette fête qui n’avait pas eu lieu depuis huit ans, crise sanitaire oblige. On parle ici de Grand Sacre, sans doute pour évoquer le Grand Sacrement. Dans la langue chrétienne, sacrement dit le signe visible d’une réalité invisible. Le pain consacré que l’on promène dans la ville, dans un ostensoir, avec plus de solennité encore qu’on ne le fait ailleurs, est le signe mis sous le regard de tous de « l’alliance nouvelle et éternelle ». Il a toutes les apparences d’une chose : un peu de pain inerte, mais il n’est pour nous pas une chose : ce pain est quelqu’un en acte, il est sous nos yeux, non seulement le pain tendu par Jésus mais Jésus lui-même qui s’offre à nous pour être notre nourriture, pour nous incorporer dans son Corps.

Peut-être l’expression « Grand Sacre » vise-t-elle aussi la consécration : car Jésus, en ce pain qu’il partage, cette coupe qu’il tend, se consacre tout entier. Rien de son être ne demeure extérieur au don qu’il fait de lui-même. Nous adorons cela. Nous le regardons, au cours de la messe, dans le temps que nous appelons « consécration » précisément, et nous le regarderons pendant la procession, avec respect, avec gratitude, avec amour. Nous voulons nous laisser bouleverser par le don que Jésus fait de lui-même, don qui se rend visible à nous dans le geste si simple du pain rompu et de la coupe partagée, acte de se donner lui-même qui se donne à voir et à contempler encore et à recevoir surtout dans la visibilité si modeste, si humble, si passive apparemment du pain.

 Nos ancêtres, en imaginant ce Grand Sacre et en y étant fidèles de générations en générations, ont voulu répondre au geste de l’alliance. Ils ont voulu exprimer l’admiration, la gratitude, la reconnaissance qu’il suscite en nous. Celui-là est venu à nous pour nous rattraper et nous rétablir dans l’Alliance avec Dieu. Celui-là est venu à nous pour que nos vies n’aillent pas vers le néant mais soient un chemin d’avancée vers le Dieu vivant et la communion éternelle avec lui. En établissant ces célébrations solennelles, nos ancêtres voulaient aussi sans doute se mettre sous les yeux la portée sociale et politique de l’Eucharistie, du geste de Jésus ainsi transmis toujours vivant. Dans le Grand Siècle qui s’organisait dans une sorte de culte de la majesté royale, il était sain, il était salubre, de se souvenir collectivement que le seul Seigneur de nos âmes est celui-là qui se donne tout entier pour nous. Certes, il convient d’honorer le roi de ce royaume terrestre et il est grand de le servir, mais en réalité seul est digne de l’être humain le service de Dieu et de Dieu qui lui-même s’abaisse pour nous proposer l’alliance avec lui et de Dieu qui fait ce qu’il faut, jusqu’à la livraison entière de lui-même, pour que nous puissions dignement avoir part à l’alliance avec lui malgré les forces de mort et de refus qui nous habitent, dont nous avons toujours à être libérés. Celui qui nous rassemble autour de lui dans cette chambre haute qu’est la Messe célébrée et que nous magnifierons tout à l’heure par la procession ne nous demande pas de travailler pour sa richesse et l’entretien de ses palais. Il ne nous demande pas non plus de servir dans ses armées pour soumettre le monde selon ses volontés de puissance ou même ses réclamations de justice. En revanche, il nous demande d’accepter d’apprendre de lui comment nous donner nous-mêmes aux autres, non seulement dans la justice mais dans l’amour et même dans le pardon. En marchant derrière lui ou autour de lui dans la ville, nous nous souviendrons, frères et sœurs, que chaque instant de nos vies peut être un des préparatifs nécessaires pour que nous entrions dans le don de nous-mêmes avec plus de vérité, plus de justesse, plus de joie. Chaque messe, chaque dimanche ou même chaque jour, nous prépare à ce don à vivre concrètement et célèbre en même temps notre réponse à l’alliance que Dieu en Jésus nous offre.

Frères et sœurs, chers amis, en ce dimanche de 2024, permettez-moi d’ajouter ceci. Parler d’alliance ici, en ce mois de juin, c’est évoquer les « alliés ». Nous nous souvenons de ce que le débarquement en Normandie a représenté pour les générations qui nous ont précédés, de l’espoir immense qu’il a soulevé, de l’admiration et de l’attente qu’il a suscitées, des angoisses qu’il a déclenchées aussi tant la bataille fut rude. Nous faisons mémoire de tant et tant de jeunes hommes du monde entier qui sont morts dans les combats ou qui ont été blessés ou atteints dans leur vie intérieure par la dureté de ce qu’ils ont vécu. Tout cela, si diverses qu’aient pu être leurs motivations à chacun, ils l’ont vécu pour nous. Ce n’est pas rien d’être « alliés » et, ceux-là, pour nous, ont honoré leur alliance. Ils nous ont libérés d’une idéologie qui, précisément, refusait l’alliance avec Dieu, l’alliance avec le Dieu vivant, le Dieu d’Israël, le Dieu créateur de tous, qui veut le salut et la vie de la multitude, du Dieu de l’Alliance qui se vide de lui-même pour que nous puissions devenir ses partenaires à jamais, du Dieu de l’Alliance qui prend chair de notre chair pour subir en notre chair les conséquences de nos refus et nous y proposer inlassablement l’alliance avec lui. En ce Grand Sacre 2024 c’est ma prière que je me permets de vous partager : dans notre monde compliqué et inquiet, dans notre humanité déboussolée, puissions-nous être de ceux et de celles qui entendent Dieu qui nous appelle à l’alliance et qui se préparent de tout leur être à y répondre le mieux possible, avec liberté et avec joie. Puissions-nous oser inviter tous nos proches à prendre part à cette alliance si forte, si prometteuse, si simple, celle qui nous est proposée non pour faire la guerre à quiconque mais pour partager en vérité le pain qui nous est donné, le vin qui nous est offert, et qui le seront pour l’éternité,

                                                                                                                                     Amen.


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