Homélie du 2 février 2020 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 4 février 2020

Homélie du 2 février 2020

Homélie pour la fête de la Présentation du Seigneur, le dimanche 2 février 2020, en la chapelle du Monastère Sainte-Claire, à Cormontreuil.

Il s’est produit, ce jour-là, un événement immense, mais qui a su le voir ? Qui, même, a pu le voir ? Selon le récit de saint Luc, tout s’est passé entre 4 personnes, Marie, Joseph, Syméon et Anne, et une cinquième, Jésus enfant, encore un bébé à vrai dire. Peut-être beaucoup d’autres ont-elles pu entendre l’émotion de Syméon. Sans doute plusieurs ont été abordées par Anne la prophétesse qui leur parlait de l’enfant, mais qui la prenait au sérieux ? Il fallait que cet événement ait lieu dans le Temple de Jérusalem, la plus sainte des réalités d’Israël, – la seule qui demeurait puisque la royauté avait échoué, confisquée par des ambitieux et des intrigants -, mais ni le grand-prêtre ni le moindre prêtre ou lévite appartenant à la hiérarchie du Temple n’en a été un protagoniste. Nous ne savons rien du statut social de Syméon et pas grand-chose de celui d’Anne, sinon qu’elle était veuve, et que tous deux étaient avancés en âge et avaient été tout au long de leur vie sages et persévérants, tendus vers la volonté de Dieu. Leur qualité à l’un et à l’autre, ce qui les habilite à accueillir cet enfant-là dans le Temple, n’est pas un statut social ni une fonction, mais la qualité de leur âme, façonnée par une longue persévérance à travers les joies et les épreuves de l’existence. L’événement de ce jour-là a été immense, il a engagé l’histoire spirituelle de l’humanité, il ne pouvait se produire qu’au cœur de l’institution centrale de l’alliance entre le Dieu vivant et le peuple qu’il a choisi et longuement modelé, mais les acteurs de cet événement ont été des gens que tous les autres ignoraient, auxquels en tout cas ils n’avaient guère de raison de prêter attention, parce que ces gens-là n’avaient pas de prestige social. A y bien réfléchir, aucun prestige social n’aurait habilité quiconque à être acteur de cet événement mais seulement la qualité d l’âme, une disponibilité intérieure à voir l’œuvre de Dieu et à se laisser atteindre par Dieu agissant, que Dieu seul peut connaître en vérité.

Frères et sœurs, vous devinez bien que la vie consacrée dans l’Église obéit à une logique similaire. La vie consacrée est au cœur de l’Église, elle lui est indispensable, mais qui sait la voir, qui peut la voir ? Il est si facile de ne pas la remarquer, de ne pas la regarder. Reconnaître ce qu’elle nous dit, ce qu’elle nous promet, ce qu’elle réalise, requiert une qualité intérieure, un certain sens de Dieu et de sa manière d’agir dans l’histoire des êtres humains. Il faut des âmes préparées, au plus intime, dans leur fibre la plus secrète, par la grâce de Dieu, c’est-à-dire sa promesse et son Esprit-saint ; il y faut des cœurs qui ont traversé les richesses et les douleurs de l’histoire sans se laisser détruire, qui y ont gagné de la force, de la lucidité, de l’acuité. En demandant à l’Église entière de célébrer la vie consacrée en fêtant la présentation du Christ Jésus au Temple, le saint pape Jean-Paul II a eu une intuition remarquable. Nous en profitons pleinement cette année où cette fête tombe un dimanche. Car les deux gestes qui font l’événement de ce jour : celui de Marie et de Joseph qui présentent leur enfant premier-né au Dieu vivant de la Création et de l’Alliance et celui de Syméon et d’Anne qui le reconnaissent et l’accueillent parce qu’ils l’attendaient depuis toujours sans jamais pouvoir se représenter comment il viendrait à eux, anticipent ce qu’est l’Église en ce qu’elle a de plus décisif et qui s’exprime dans les différentes formes que la vie consacrée a prises au cours des siècles et dont nous bénéficions aujourd’hui.

*******

Que s’est-il passé ce jour-là dans le Temple de Jérusalem ? Tout premier-né d’Israël devait être racheté au Seigneur, en mémoire des premiers-nés des Égyptiens mis à mort pour forcer Pharaon et ses grands à laisser Israël quitter l’esclavage et aller vers sa liberté. Ce jour-là, l’enfant qui est présenté est celui qui, seul, peut s’offrir lui-même pour rattraper la dette du commencement ; celui qui, seul, peut entrer dans la condition humaine non pour mourir un jour mais pour vaincre la mort en faveur de tous ceux et celles qui l’ont précédé ou qui le suivent ou qui lui sont contemporains ; celui qui, seul, mérite d’être désiré de tous, attendu par tous, par ses parents et tous les leurs, mais aussi par les hommes et les femmes les plus apparemment éloignés de lui par l’espace, la culture et même par le temps. Tout enfant des humains est inscrit, qu’il le veuille ou non, dans une configuration particulière de l’histoire de l’humanité et ne peut en assumer qu’une partie, qu’elle soit minuscule ou considérable, mais celui-là, seul de nous tous, vient, envoyé par Dieu, « Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière », pour être relié à tous les êtres humains sans aucune exception. Lui seul entre dans le Temple comme le messager de Dieu, le messager de son Père, celui en vue de qui le Temple a été voulu depuis des siècles. Lui, en effet, vient s’offrir lui-même, et lui le peut, parce qu’il est le Fils qui en tout réjouit son Père.

Marie et Joseph le présentent et offrent pour lui l’offrande des pauvres, parce qu’ils sont des pauvres en Israël, comme beaucoup d’autres, des gens simples en tout cas, sans prestige social lisible, mais bien plus encore parce que cet enfant-là n’est pas racheté, c’est lui qui rachète ; il ne reçoit pas l’autorisation de vivre et de devenir lui-même au prix d’une ou deux colombes, c’est lui, seul de nous tous, qui choisit de venir en notre chair pour rendre toute chair vivante et vivifiante, pour faire que toute chair puisse porter toutes ses promesses, que le moindre enfant des hommes, même les premiers-nés des Égyptiens, même les soldats de Pharaon engloutis dans la Mer Rouge, et toute les autre victimes de l’histoire des humains ne soit pas annihilé pour rendre possible la vie de quelque autre, mais soit au contraire appelé à la plénitude de la vie, si brève ou si humble et même si ratée qu’ait été sa course terrestre. Pourtant, le geste de Marie et de Joseph est nécessaire : certes parce que Jésus est encore un bébé incapable de rien faire par lui-même et qu’il a besoin du geste de ses parents pour que son acte intérieur, le mouvement intérieur de son être, soit rendu un peu perceptible à quelques hommes et quelques femmes, en attendant qu’il puisse aller au bout de sa mission ; mais plus encore parce que, lui, Jésus vient à nous pour que nous l’offrions au Père comme la meilleure part de nous-mêmes, comme ce que nous ne sommes pas encore mais que nous espérons devenir grâce à lui et en lui.

Syméon et Anne ont su le voir et le reconnaître et le dire, chacun à sa manière. Mieux que le grand-prêtre et les prêtres et les lévites au rôle si nécessaire dans le Temple, en prenant l’enfant, en le célébrant, en parlant de lui, ils représentent le Père qui accueille son Fils en sa mission et qui lui ouvre les cœurs et les esprits, en attendant qu’il soit pleinement reçu dans la puissance de l’Esprit-Saint. Malgré la capacité d’indifférence du monde, malgré les efforts du monde pour nier Jésus ou le considérer comme négligeable, quelques-uns le reçoivent et sa présence et son action dans le monde ne peuvent plus être arrêtées. Elles peuvent être ralenties, compliquées, obscurcies, mais toujours Dieu le Père a suscité, suscite et suscitera des âmes capables de le recueillir, si petit, si humble, si impuissant soit-il, pour le bien de l’humanité entière.

*******

L’Église est cela au milieu du monde et la vie consacrée, en ses formes variées, est cela au cœur de l’Église : tout à la fois l’humanité qui reçoit celui que Dieu donne pour tous et l’humanité qui présente au Père l’humanité transformée par Jésus, heureuse de se laisser habiter par lui et façonnée au nouveau par lui de l’intérieur. Vous, mes Sœurs, avec toutes celles et tous ceux qui sont consacrés au Seigneur en ce diocèse et dans le monde, vous rendez visible la joie de recevoir l’Enfant, joie dans laquelle il y a toujours à puiser, quoi qu’il arrive dans la vie, et vous montrez au milieu du monde mais surtout au regard de Dieu l’humanité transfigurée par la venue de son Fils. Vous renoncez, vous surtout moniales, pauvres dames de sainte Claire, pauvres épouses de Jésus, vous renoncez à ajouter à la vie de l’humanité par la fondation d’une famille, par l’exercice d’un métier, par la production de biens, mais vous le faites en vue du travail le plus important, le plus décisif, celui qui consiste à devenir porteuses de Jésus et capables de le voir porté par les autres.

Nous entourons ce matin sœur Maryvonne qui rend grâce pour tant d’années de consécration. Vous rendez grâce à Dieu, ma Sœur, pour sa fidélité à vous donner son Fils, à la fois tout d’un coup et jour après jour, et vous laisser le reconnaître ; vous rendez grâce pour le travail en vous de sa grâce, de sa promesse et de son Esprit-Saint, qui vous fait le porter en vous au milieu de vos Sœurs et pour l’Église entière parce qu’il façonne en vous, jour après jour, l’homme nouveau qui est en vous, une fille du Père qui donne de la joie au Père et peut lui présenter le monde entier avec ses misères et ses grandeurs. Frères et sœurs, que l’action de grâce de sœur Maryvonne soit la nôtre en ce jour, dans l’émerveillement de Dieu qui se donne à nous et qui nous renouvelle en lui, qui se laisse accueillir par nous et qui compte sur nous pour le porter les uns aux autres,

                                                                                                             Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.