Homélie du 1er décembre 2023, pour la fête de saint Éloi - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 5 décembre 2023

Homélie du 1er décembre 2023, pour la fête de saint Éloi

Homélie pour la fête de saint Éloi, le vendredi 1er décembre, en l’église de Romigny (Espace Missionnaire Tardenois-Vesle, paroisses du Tardenois et d’Urbain II)

Faire la volonté de Dieu : frères et sœurs, donner à l’action humaine ce but-là à quelque chose d’enthousiasmant. Car c’est affirmer que l’action des êtres humains peut ne pas rester enfermée dans la seule recherche de la satisfaction de leurs besoins primaires : se nourrir, s’abriter, enfanter, survivre, et qu’elle peut contribuer à construire une réalité qui vaille du commencement à la fin, qui accomplisse un dessein, un projet plus grand que tout, pour le bien de chaque être, chaque être humain et tout autre être, de quelque nature qu’il soit. Le récit de la Création, dans le livre de la Genèse, dont nous avons entendu proclamer la fin du premier chapitre, exprime cette immense et magnifique espérance. Tout ce qui est est fondamentalement bon et l’être humain est créé, homme et femme, pour servir et déployer et rendre féconde cette bonté initiale, et cela en vue d’un « très bon », d’un « encore meilleur » qui soit ouvert à toutes et tous. Faire venir au jour la puissance de vie présente en chaque être, mettre les autres êtres en situation d’apporter aux autres de la manière la plus déployée les promesses cachées en eux, voilà la tâche de l’être humain, homme et femme, telle que la comprend le récit de la Création, et telle est au premier chef la mission des agriculteurs et de ceux et celles qui, de près ou de loin, servent à la culture du sol. Le livre de la Genèse, ou du moins en lui le récit de la création, frères et sœurs, n’est pas seulement une manière dépassée de rendre compte de l’origine de toutes choses, une manière que la science aurait rendu obsolète ; c’est plutôt une formidable proclamation de l’intention qui préside à tout ce qui est et dont les êtres humains sont appelés à être les relais actifs, mettant en œuvre mémoire, intelligence et volonté. « Faire la volonté de Dieu » est alors une immense libération des énergies intérieures du genre humain, une magnifique promesse qu’au milieu de tout le créé ils ont un rôle à jouer, une mission à remplir, qui fait d’eux les coopérateurs premiers de Dieu, de celui qui a voulu toutes choses.

Et pourtant, lorsque nous entendons parler de « faire la volonté de Dieu », nous ressentons souvent un certain effroi, nous nous contractons intérieurement. Nous ne pouvons nous empêcher d’entendre d’abord l’appel à obéir à une volonté qui n’est la nôtre, à consentir à une compréhension des choses et de la vie qui ne vient pas de nous, et nous n’aimons guère cela. Nous nous y résignons parfois parce que nous avons le sens du devoir ou parce que nous pensons ne pas avoir le choix, mais nous repérons aussitôt ce qui nous frustre, ce qui bride notre élan, ce qui nous retire à nous-mêmes, ce qui risque en tout cas de nous empêcher de faire ce que nous pensons immédiatement bon ou de nous amener à des choix dont nous savons qu’ils nous feront souffrir. Spontanément, au lieu que la volonté de Dieu nous apparaisse comme un élargissement, une libération, un vaste espace ouvert à notre collaboration où déployer le meilleur de nous-mêmes en vue d’un meilleur pour tous, nous entendons, parfois sans nous en rendre compte, limitation, renoncement, privation. D’où vient que nous entendions parler de la volonté de Dieu avec réticence, alors que les auditeurs de Jésus, si l’on en croit saint Matthieu, s’en trouvaient « frappés, parce qu’il les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme leurs scribes ? » D’où vient, en d’autres termes, que lorsque nous prions la prière que Jésus nous a enseignée, le Notre-Père, nous ayons parfois comme un pincement en disant : « Que ta volonté soit faite » au lieu de le demander avec un désir ardent, comme une immense promesse et un accomplissement pour nous. Car qu’avons-nous à redouter de la volonté du Créateur qui a mis toute sa bonté en ce qu’il a créé et qui trouve sa joie à voir l’être humain à son image comme sa ressemblance au cœur de l’immense cosmos ?

C’est sans doute, frères et sœurs, que, depuis l’époque de Jésus, le monde est devenu complexe et même compliqué. Vous le savez bien, vous, agricultrices et agriculteurs. Vous ne vous contentez plus de stimuler la fécondité interne du sol ou de la nature. Vous avez à la croiser avec de nombreuses données, avec les tendances des marchés internationaux, avec l’évolution des besoins des consommateurs, avec les attentes contradictoires de la société. D’année en année, vous transformez votre manière de cultiver et de produire, votre manière même de réfléchir, vous avez à remettre en cause le modèle que vos prédécesseurs, et pour beaucoup d’entre vous, ce sont vos parents et grands-parents, avaient mis en place. Comment concilier votre besoin de vous nourrir et de nourrir votre famille, de vous construire un bonheur aussi paisible que possible, et les remises en cause à laquelle les évolutions sociales et les inquiétudes pour l’avenir de la planète vous obligent ? En quoi la volonté de Dieu peut-elle nous éclairer dans ces questions compliquées et complexes, douloureuses parfois ?

En ce jour de la fête de saint Éloi, nous pouvons nous arrêter à l’étonnement de ses auditeurs devant l’autorité de l’enseignement de Jésus. Elle ne vient pas de ce qu’il apprendrait comment mieux cultiver ou mieux gérer leurs fermes ou leurs ateliers. Son autorité vient de lui-même, de sa manière d’être et de vivre. Depuis le chapitre 5 de l’évangile qui s’ouvre sur les Béatitudes jusqu’au chapitre 7 où retentit la conclusion sur laquelle nous méditons, tout l’enseignement de Jésus consiste à nous appeler à une justice qui surpasse celle des scribes et des pharisiens comme celle des païens, à une justice qui ne se limite pas à donner à chacun ce qui lui est dû et à s’en considérer comme quitte, ni à faire ce qui est commandé et à se permettre tout ce qui n’est pas défendu. Jésus nous appelle à une attitude de fond qui consiste à chercher toujours le plus grand bien non pas de chacun pour lui-même, mais des autres avant soi-même et de tous avant le sien propre. Il s’agit d’entrer dans l’attitude de Dieu qui nous veut vivants et porteurs de vie. Il le dit en s’engageant lui-même, en se donnant lui-même. Jésus n’enseigne pas en disant aux autres ce qu’ils doivent faire ; il nous partage ce que le Père veut. Or, la volonté de Dieu ne consiste pas à valoir que les récoltes soient bonnes et pas davantage à vouloir qu’elles soient mauvaises. Elle consiste à vouloir que nous, les humains, nous vivions les mauvaises récoltes et les bonnes récoltes en y apprenant à aimer davantage notre prochain, à donner et à recevoir de bon cœur, non pas à prendre pour soi seul mais à trouver dans l’abondance de quoi préparer un monde plus ouvert, plus encourageant pour ceux et celles qui nous sont confiés mais aussi pour les autres et dans les temps plus difficiles de chercher à mettre en œuvre encore cette justice nouvelle. Et surtout, Jésus vit cela pour nous et avec nous, et en chaque Eucharistie, il nous donne sa capacité d’aimer et de donner plus et autrement que nous ne devons. Avec le pain, fruit de la terre et du travail des hommes, avec le vin, fruit de la vigne et du travail des hommes, et cela veut dire des agriculteurs, mais aussi de beaucoup d’autres que nous évoquons en cette fête : ceux qui fabriquent les charrues ou les tracteurs, ceux et celles qui préparent les semences, ceux et celles qui rendent possible la commercialisation des produits ou leur transformation, avec donc les fruits de la terre et de la vigne et du travail des hommes, il exprime ce qui ne peut se dire et ne peut que se faire : sa volonté que nous, humains, vivions et vivions dans la justice plus grande que la justice, dans l’amour qui est don de soi et joie trouvée en autrui.

Pour autant que je sois capable de le voir, le monde rural s’est transformé et se transforme encore. Il a été, dans cette région en particulier, lieu de coopération, d’entraide, d’attention aux autres, de travail partagé, de réflexion commune sur l’avenir. Cette qualité de relation a été le moteur de l’extraordinaire transformation de la Champagne pouilleuse en Champagne crayeuse, du développement d’une agriculture qui n’était plus de subsistance mais d’abondance, pour le bien de tous les humains. Que saint Éloi vous réunisse aujourd’hui autour de l’Eucharistie du Seigneur traduit votre désir à toutes et tous de chercher des voies nouvelles de coopération, d’échange, de soutien mutuel. Puisse-t-il obtenir pour vous tous l’attention bienveillante et confiante de celles et ceux qui se nourrissent grâce à votre travail ou qui se chauffent ou se transportent. Puissions-nous découvrir chaque jour la bonté dont l’univers est porteur et que nous avons à nous partager les uns aux autres,

                                                                                                               Amen.


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