Homélie du 19 mai 2024, pour la solennité de la Pentecôte - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 24 mai 2024

Homélie du 19 mai 2024, pour la solennité de la Pentecôte

Homélie pour la solennité de la Pentecôte, année B, le 19 mai 2024, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, confirmation des adultes concélébrée avec Mgr Joseph Ðô Mạnh Hùng

Frères et sœurs, vous qui, dans un instant, allez être confirmés par l’imposition des mains et l’onction, nous tous qui vous entourons, nous demandons avec ferveur : « Viens, Esprit-Saint ! » Nous le demandons pour vous, pour chacune et chacun de vous, qui attendez cette venue comme l’aboutissement d’une histoire commencée depuis plus ou moins longtemps et espérez qu’elle soit le commencement d’une autre qui dure jusqu’à la fin et pour l’éternité. Nous le demandons aussi pour nous et, plus exactement, pour toute l’Église, dans l’immensité de ses plis et replis, parce que l’Esprit-Saint, s’il est donné d’un coup, est à recevoir sans cesse, dans toutes les profondeurs de notre âme et l’épaisseur de notre chair à chacune et à chacun, dans les complexités de notre histoire humaine personnelle et collective.

Nous venons d’entendre ensemble la promesse du Seigneur Jésus. Il l’a formulée le soir de la Cène, la veille de sa Passion, après le repas où il avait institué l’Eucharistie. Deux fois, il évoque « l’Esprit de vérité ». Est-ce cela que nous désirons, est-ce cela que nous attendons, « l’Esprit de vérité » ? Plus que Pilate en son temps, notre époque s’interroge : « Qu’est-ce que la vérité ? » Mais oui, nous avons besoin de vérité ou, ce qui est plus juste et plus important, non pas de vérité seulement, si «vérité » voulait dire des affirmations à souscrire, des principes indémontrables ou des démonstrations indubitables, mais vraiment, oui, de « l’Esprit de vérité ». Pour deux raisons au moins.

La première, parce que l’Esprit-Saint rend témoignage à Jésus. Lui seul le fait vraiment, lui seul nous permet de le faire à notre tour. Lorsque Jésus prononce ces paroles, il s’apprête à être trahi, renié, rejeté, condamné, torturé, mis à mort.  Et pourtant, il vient bien de la part du Père nous montrer le chemin de la vie, nous le montrer et nous l’ouvrir, nous le rendre possible. Il vient bien, lui, nous apprendre à nous, les humains, à vivre notre condition humaine selon la volonté de Dieu, selon la pleine beauté, la grandeur, la fécondité que le Créateur veut pour elle en chacune et chacun de nous depuis l’origine. Il faut l’Esprit-Saint, agissant en notre intelligence, pour nous faire découvrir à nous, à moi, à vous, que le don de soi, le renoncement à soi, l’hospitalité à autrui, le service d’autrui, sont la voie de l’accomplissement de soi plus que toutes les conquêtes, toutes les possessions, toutes les jouissances, toutes les inquiétudes pour soi. Il faut l’Esprit-Saint, agissant en notre volonté, pour que nous choisissions de nous mettre au service des autres avant de nous servir nous-mêmes, de chercher le bien de tous avant de viser notre intérêt personnel, de vouloir la vie d’autrui avant de me préoccuper de ma vie à moi. Il faut l’Esprit-Saint habitant ma mémoire et la purifiant pour que nous soyons attentifs à la bonté du Père, aux signes qu’il nous a donnés, si ténus parfois et si réels pourtant, plutôt qu’au fracas et au chaos du monde. Il faut l’Esprit-Saint, renouvelant notre esprit, pour que nous reconnaissions le Ressuscité comme maître de l’histoire, nous qui, si souvent, si facilement, sommes pris et accablés par les douleurs et les troubles et les souffrances du monde.  Il nous faut l’Esprit-Saint, transfigurant notre esprit, pour que nous choisissions d’espérer, parfois contre toute espérance. Qui reconnaît en Jésus « le Chemin, la Vérité et la Vie » a laissé agir en lui l’Esprit-Saint qui « procède du Père » et s’est laissé conduire par lui. Qui vit selon Jésus, à sa suite, en acceptant de mesurer ses actes et ses choix à Jésus, lui rend témoignage en vérité.

Ensuite, deuxième raison pour laquelle nous avons besoin de « l’Esprit de vérité » : il nous « conduit vers la vérité tout entière », celle de Jésus sans doute, mais aussi la nôtre et celle du monde. Il nous y « conduit » : cela veut dire qu’il nous aide à tenir dans le temps, il nous aide à entrer dans le temps, avec patience, avec persévérance, avec courage. La vérité ne nous tombe dessus d’un coup, la vérité ne s’atteint pas en un instant, elle n’envahit pas tout, comme une force occupante face à qui rien ne peut résister. Au contraire : il faut y être « conduit » par la force et la douceur de l’Esprit. Il faut aller jusqu’à la vérité tout entière, et cela prend du temps, cela suppose tout un travail intérieur. Frères et sœurs, vous qui allez être confirmés dans un instant et vous aussi, baptisés et confirmés de longue date, ne vous inquiétiez pas si vous n’êtes pas encore des « chrétiens parfaits », si vous ne vous sentez pas encore aptes à donner un beau témoignage au Seigneur Jésus. Ne vous y résignez pas, cependant. Ne vous en tourmentez pas, mais ne baissez pas les bras. Acceptez que l’Esprit-Saint vous conduise « dans la vérité tout entière ». Saint Jean s’exprime ainsi ; saint Paul est peut-être plus direct, plus tranchant. Il nous prévient que sous la conduite de l’Esprit nous connaîtrons le combat spirituel. L’Esprit-Saint, agissant en nous, nous fera éprouver avec plus d’acuité que des forces de mort habitent en nous et travaillent ce que l’Apôtre appelle notre « chair » au point qu’il les nomme « tendances de la chair ». N’y entendez aucun mépris de notre condition corporelle. Au contraire : pour saint Paul, comme pour saint Jean, comme pour Jésus, dans l’élan de la foi d’Israël, le corps est fait pour être animé par l’Esprit et le plus charnel, comme l’a magnifiquement dit Péguy, est aussi le plus spirituel.

Justement, les « tendances de la chair » sont les forces qui sclérosent notre chair, qui racornissent nos désirs, qui nous font nous précipiter sur la satisfaction la plus directe et la plus immédiate par la colère, la concupiscence, la consommation, la captation, au lieu de nous laisser ouvrir et approfondir et dilater à l’ampleur, la largeur, la profondeur de ce que Dieu veut nous donner à tous et à chacun, pour aujourd’hui et pour l’éternité. N’ayez pas peur d’avoir à vous arracher et parfois péniblement, laborieusement, aux « actions » auxquelles mène la chair : saint Paul en donne toute une liste et nous pourrions l’augmenter encore. Mais l’Esprit, lui, l’Esprit de vérité, n’a qu’un seul fruit : « le fruit de l’Esprit » qui se décline en neuf directions, ou en sept ou en douze selon les traductions. Il nous faut du temps, parfois, pour sortir vraiment de ce qui nous divise, de ce qui nous disperse, de ce qui nous donne l’impression d’exister parce que nous sommes excités, et pour choisir vraiment, avec toute notre chair, toute notre affectivité, toute notre sensibilité, ce qui nous unifie en nous faisant aider les autres à s’unifier, ce qui nous apaise en nous faisant aider les autres à s’apaiser, ce qui nous rend forts et courageux et énergiques en nous rendant capables d’y aider les autres et d’être aidés par eux. Mais ce travail, ce labeur, l’Esprit qui nous « conduit dans la vérité tout entière » vient en vous, frères et sœurs, pour le mener, et il faut vous en réjouir et vous en laisser traverser. Ne vous étonnez pas que ce travail soit exigeant et parfois peineux ; réjouissez-vous plutôt d’avoir à le mener, d’avoir à combattre ainsi parfois contre vous-mêmes : c’est le signe que l’Esprit de vérité vous conduit dans la vérité tout entière et c’est à ce prix que vous pourrez goûter l’unique fruit si multiple que cet Esprit produit en nous pour la joie du Père et la gloire de Jésus.

Frères et sœurs, comme le fruit de l’Esprit est unique et multiple à la fois, nous sommes ici nombreux et divers. Je ne sais s’il y a parmi nous des Parthes, des Mèdes et des Élamites (ces peuples ont plus ou moins disparus depuis l’Antiquité, mélangés à beaucoup d’autres), mais nous sommes là, Français et Vietnamiens à tout le moins, comme vous le voyez dans le chœur de notre cathédrale. Telle est l’Église : l’humanité en sa diversité, unie non par la force, non par l’intérêt, non par la domination de quelques-uns sur les autres, mais unie de manière plus profonde et plus réelle par le lien de l’Esprit-Saint, celui qui nous ouvre au Dieu vivant et les uns aux autres, celui qui, de la multiplicité des êtres humains, fait, peu à peu, patiemment, un seul Corps pour le Christ. Réjouissons-nous, en ce jour de Pentecôte comme lors de la première des Pentecôte où l’Esprit-Saint a été ainsi donné, d’éprouver l’unité de l’Église, de Phan Thiet à Reims, et surtout de chacun de nos cœurs à tous les autres, du plus intime de notre liberté à celle de tous les autres en qui circule l’unique Esprit, celui qui vient, procédant du Père et rendant témoignage à Jésus, à jamais,

                                                                                                                                                                Amen.


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