Homélie du 17 mars 2024, pour le 5ème dimanche de Carême - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 18 mars 2024

Homélie du 17 mars 2024, pour le 5ème dimanche de Carême

Homélie pour le 5ème dimanche de Carême, année B, le 17 mars 2024, en la chapelle du lycée Saint-Joseph, à Reims, rassemblement Jubilate des 3èmes-Terminales

« Nous voudrions voir Jésus » : il y avait une rumeur autour de Jésus, une réputation de Jésus, si vous préférez, qui a fait que, ce jour-là, à Jérusalem, des Grecs ont demandé à voir Jésus en chair et en os. Ils se sont adressés à Philippe, celui des disciples de Jésus qui portait un prénom d’origine grecque, tout natif de Bethsaïde, un petit village de pécheurs du bord du lac de Galilée, qu’il fut, tout comme Simon-Pierre et André. L’empire romain avait succédé au vaste empire d’Alexandre le Grand et de ses successeurs dans lequel une certaine culture grecque, appelée hellénistique, s’était diffusée largement, se combinant plus ou moins aux cultures locales des peuples dominés. Ces « Grecs », comme les appelle l’évangéliste, étaient peut-être des Juifs venus de pays de langue grecque, exilés depuis plusieurs décennies mais qui revenaient à Jérusalem pour le pèlerinage de la Pâque. Qu’avaient-ils entendu dire de Jésus, la surprise et l’attraction du moment ? Suffisamment pour chercher à le voir de près.

Mais Jésus, lui, reçoit leur demande non pas comme un indice de sa popularité, mais comme un signal. Le signal que le Père lui adresse qu’il lui faut désormais aller au bout de sa mission pour tous les humains. Pas seulement pour les Juifs, la descendance d’Abraham, qui a le privilège de l’alliance, de l’enseignement de Dieu, des dix Paroles, de la présence mystérieuse de Dieu dans le Temple à Jérusalem, qui a bénéficié donc d’une longue éducation à vivre dans la proximité du Dieu vivant, mais maintenant pour tous les hommes et toutes les femmes, de toutes races, langues et cultures. Il faut qu’il aille plus loin, qu’il s’avance plus résolument, afin que ce qu’il porte en lui puisse être donné à tous les humains et à tout humain, pas seulement à ceux et celles qui ont été préparés par une longue histoire.

Que porte donc Jésus, qu’a-t-il à apporter, à partager ? Il l’exprime avec une formule qui a l’air facile à comprendre, que tout humain en tout cas peut entendre : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte du fruit en abondance. » Il a l’air d’énoncer une évidence, au moins pour les agriculteurs. Le grain semé doit mourir pour renaître en épi plein de grain. C’est comme une comparaison, mais qui a l’allure d’une loi universelle, la loi de la nature, du cosmos, mais en lui, elle prend une portée nouvelle. En sa bouche, elle devient une loi pour la liberté, la sienne, celle du Fils unique fait homme, et la nôtre à sa suite. Il vient pour faire des hommes et des femmes ses frères et ses sœurs. Il vient pour que le privilège d’Israël soit partagé à tous les enfants d’Israël et aussi, à partir de là, à tous les humains. Il vient pour mieux encore : pour que son privilège à lui, le Fils unique du Père, s’ouvre à tous ceux et toutes celles qui croiront, qui l’accepteront, qui consentiront à être transformés pour être ses frères et ses sœurs, fils et filles du Père. Et pour cela, pour que cela soit vrai et pas seulement des mots, il faut qu’il aille jusqu’au bout du don de sa vie, il faut qu’il aille jusqu’à la mort et la mort de la croix. Il vient faire de l’humanité non pas une juxtaposition d’êtres humains reliés entre eux par la nécessité, non pas des individus au service d’un État ou d’un empire, non pas comme des moments passagers d’une humanité en perpétuelle transformation mais toujours semblables, mais des fils et des filles du Dieu vivant, donnés les uns aux autres pour toujours comme des frères et des sœurs faits pour s’aimer, c’est-à-dire s’aider à être plus vivants les uns et les autres.

Alors, pourquoi faut-il qu’il meure ? Pourquoi donner sa vie passerait-il nécessairement par la perdre ? Après tout, partager ce qui est le privilège de quelques-uns à tous les autres, sans pour autant priver les premiers, cela ne devrait-il pas susciter l’adhésion de tous ? Regardons-nous un moment. Nous réjouissons-nous toujours et spontanément que ce qui était à nous seuls devienne le bien de tous les autres ? Nous réjouissons-nous que le secret d’une vie féconde, ce soit de partager plus que de posséder, de s’intéresser aux autres plus que de se soucier de soi, de consentir à ne pas avoir tout de suite pour pouvoir avoir avec d’autres, de dire la vérité ou de faire la vérité plutôt que de raconter l’histoire à notre avantage ? Oui, pour une part, nous nous en réjouissons ; non, pour une part, nous y résistons. Nous ne sommes pas toujours et partout prêts à agir ou à réagir de cette manière. Dans nos meilleurs jours, nous aimerions être ainsi, mais il nous faut quelqu’un qui nous y appelle et il nous faut une force intérieure qui nous en rende capables. Nous rêvons que l’humanité soit une et seulement parcourue par des liens de respect mutuel, d’hospitalité réciproque, d’amitié partagée, mais nous mesurons chaque jour ce qui en nous y résiste, ce qui en nous vient corrompre ce beau rêve au nom de notre besoin de posséder, de détruire, de dominer, de tenir à distance.

Alors, frères et sœurs, il y a plusieurs manières de décrire l’action de Jésus et de la comprendre. Puisque vous êtes rassemblés sous l’image des Jeux Olympiques, « corps sain ou saint et esprit sain ou saint », je vous propose de regarder Jésus comme un athlète, comme un champion, comme notre champion. Comme un athlète, il se prépare depuis longtemps. Depuis sa naissance à Bethléem, au long de son enfance et de son adolescence à Nazareth, il s’est laissé former par la vie, les traditions, les mœurs, la religion de son peuple, le peuple juif. Il a appris à connaître les humains tels qu’ils sont, il a vu nos joies et nos peines et elles ont été les siennes, comme un enfant, à mesure qu’il grandit, partage les joies et les peines de ceux et celles qui l’entourent. Il a senti combien ce peuple était le peuple de Dieu et il s’y est senti chez lui, lui, le Fils unique et bien-aimé du Père, mais il a senti aussi combien le cœur des humains pouvait être « compliqué et malade », combien le péché pouvait abîmer à la racine même les meilleures intentions, et comme les humains pouvaient corrompre l’œuvre du Dieu créateur, parfois en le voulant, souvent sans s’en rendre compte mais non moins réellement. Il a éprouvé le besoin d’espérance de tous, il a brûlé du désir de leur faire connaître Dieu comme le Père tout aimant. Après l’arrestation de Jean le Baptiste, il a entamé sa vie publique. Il a quitté Nazareth et sa parenté pour aller à la rencontre de tous et leur apporter une parole qui vivifie, qui les appelle à vivre autrement et mieux, pour le bien de tous. Il a donné des signes du salut qu’il venait apporter, parce qu’il venait précisément pour rassembler l’humanité, ne pas la laisser glisser vers le chaos et le néant mais la tirer vers la communion qui est la vie éternelle de Dieu.

Lorsque André et Philippe viennent à lui, relayant la demande des « Grecs », il comprend que le moment de la grande épreuve est arrivé. Il va s’avancer en champion, au nom de tous et en faveur de tous. Il va entrer dans l’ultime combat contre les forces du mal, celles de la mort et du péché, comme son aïeul David avait affronté le géant Goliath, ainsi qu’on le voit au fronton de notre cathédrale de Reims ; il va rejoindre chaque être humain en ce point où tous passent, celui de la mort ; il va s’unir à toutes nos libertés en ce choix que tous nous avons à faire, d’une manière ou d’une autre en notre vie terrestre : se choisir contre tout autre ou renoncer à tout retenir pour soi au bénéfice d’un autre ou des autres. Comme un athlète, il va pousser au maximum ce qu’il a fait déjà, dans un suprême effort pour aller là où il n’était pas allé encore, vers l’adversaire en sa force nue, vers l’abnégation poussée à son maximum, vers l’obéissance qui consent à ne pas comprendre mais à faire confiance une fois pour toutes. C’est cela qu’il exprime, ce suprême effort qu’il traduit, en disant : « Maintenant, mon âme est bouleversée ».

Nous le regardons s’avancer. Nous ne pouvons le suivre que du regard. Pas plus ou plutôt, bien moins que nous ne pouvons suivre tel athlète dans son exploit, nous ne pouvons suivre Jésus dans ce que lui seul peut faire pour nous, lui, le Fils unique et bien-aimé du Père, lui qui est Dieu né de Dieu, envoyé pour nous au milieu de nous. Il s’est fait l’un de nous, un Juif parmi les autres pour pouvoir agir pour tout Israël, en continuité de toute l’histoire d’Israël et à la place de tout Israël en ce pas ultime, et par là au nom de l’humanité entière, de tous et de chacune ou chacun des humains. Nous le regarderons tout particulièrement pendant la Semaine Sainte, depuis son entrée à Jérusalem, qui sera comme l’arène de son combat, jusqu’à sa venue au milieu des disciples au soir de Pâques, en passant par l’atroce moment de sa défaite apparente sur la croix qui sera en réalité le lieu même de sa victoire pour nous.

Nous le regardons et nous entendons son appel : « Si quelqu’un veut me servir. » Il ne nous demande pas de l’acclamer, il ne nous demande pas de le payer, il ne nous demande pas seulement de nous souvenir de lui. Il nous demande bien plus en fait mais il nous ouvre cela comme un possible : « Si quelqu’un veut me servir. » Voulons-nous, frères et sœurs, servir Jésus en son œuvre ? Voulez-vous, vous jeunes rassemblés ici pour ces deux jours de Jubilate, voulez-vous servir l’œuvre de Jésus ? Voulez-vous avec lui, en lui, par lui, servir l’œuvre du salut ? Voulez-vous mener votre vie non pas seulement comme une survie ici-bas, en tâchant de vous construire le meilleur confort possible, mais mener votre vie en servant l’œuvre de communion entre tous qu’il est venu nous rendre possible ? Voulez-vous apprendre à aimer à la manière dont il nous aime, non pas en cherchant à posséder ce que nous désirons mais en tâchant de servir la vie de ceux ou celles que nous recevons la mission d’aimer ? Acceptez-vous de poursuivre vos études en y développant vos compétences et en éprouvant la joie d’apprendre, de comprendre, de maîtriser des raisonnements ou des techniques et aussi en apprenant à apprivoiser votre paresse ou votre orgueil ou votre besoin de dominer en sachant pour que vos compétences servent le bien de tous ? Acceptez-vous de vous préparer à exercer un métier, certes pour être responsables de votre vie et construire une famille et aussi pour devenir aptes à mettre plus de justice, de vérité, de respect, de sens de l’autre dans notre monde ? Acceptez-vous de découvrir en vous la force de la sexualité, les désirs et les passions qu’elle met en vous, pour devenir capables de vous unir à quelqu’un afin de créer un espace d’alliance, d’unité, d’apaisement, de recherche de la paix en ce monde même, ce qu’on appelle une famille ou un foyer ? Voulez-vous fortifier en vous la détermination à vivre et agir en visant la communion éternelle de la foi, l’espérance et la charité, en servant la justice et la vérité ici-bas ?

Pour avancer dans la vie, nous avons besoin de suivre des personnalités inspirantes, de nous nourrir de pensées fortes, et aussi de recevoir une force qui nous rende capables d’aller au-delà de nous-mêmes, au moins un peu. En chaque Eucharistie, déjà, nous approchons de quelques Philippe et de quelques André et nous leur disons, par notre seule présence : « Nous voudrions voir Jésus ». Nous l’entendons dans la Parole proclamée, nous le voyons dans le grand geste de son corps livré dans le pain partagé et de son sang versé dans la coupe de vin qui circule. Nous vérifions en nous-mêmes, lorsque nous communions, la grande loi qu’il énonce et qui nous porte à l’espérance : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte du fruit en abondance. » Frères et sœurs, fortifiés par les sacrements de Jésus, osons le servir par toute notre vie, pour que le grain semé par Dieu porte du fruit pour tous et pour toujours,

                                                                                                                                      Amen.


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