Homélie du 23 juin 2024, pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 25 juin 2024

Homélie du 23 juin 2024, pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 23 juin 2024, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, ordination de Jean-François Bocquet et de Cyrille Ngbandi-Tolo, diacres

« L’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous ». C’est pour cela, frères et sœurs, que nous sommes chrétiens : parce que « l’amour du Christ Jésus nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous. » C’est pour cela que nous nous rassemblons autant que nous le pouvons, le dimanche ou d’autres jours, dans nos paroisses et nos lieux eucharistiques : « parce que l’amour du Christ nous saisit quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous. » Saint Paul complète et précise : « Quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous et qu’ainsi tous ont passé par la mort ». Non seulement il est mort -cela nous est commun à tous-, non seulement il est mort pour tous -un certain nombre d’hommes et de femmes sont morts, sinon pour tous, du moins pour beaucoup d’autres-, mais il a passé la mort, il l’a traversée pour nous faire passer par elle et au-delà d’elle.

Ce qui nous réunit, frères et sœurs, dans la confession d’une même foi et dans un engagement de notre vie à la lumière de cette foi, saint Paul l’exprime comme un « amour », un « amour qui saisit ». Pas seulement une émotion agréable, valorisante, mais un peu vague, mais un saisissement de tout notre être lorsque nous réalisons qui est ce Christ Jésus et ce qu’il a fait. Ce qui nous rassemble, plus fort que ce qui nous distingue les uns des autres, que ce qui nous sépare, que ce qui pourrait nous opposer, c’est d’avoir réalisé un jour ce que Jésus avait fait et faisait et de nous être laissés saisir par le mouvement montant de tout notre être : un mouvement de gratitude, un élan de reconnaissance, un bouleversement en découvrant combien nous étions aimés, une décision de tout vivre à partir de cette réalité-là. Un seul est mort pour tous : pour moi donc, qui que je sois, et pour tous les autres et pour tout autre que je peux rencontrer ou découvrir. Il est mort pour moi, il est mort pour toi et pour toi encore, il est mort pour vous tous. Un seul : un face à l’immensité du nombre des humains, mais aussi celui-là seul qui pouvait et devait, ce fils d’Israël qui, seul, pouvait mourir pour tous et qui, seul, pouvait traverser la mort et nous la faire passer à tous, comme on fait passer une rivière ou un océan.

A cause de son amour à lui, donc, nous nous reconnaissons chrétiens, unis dans et par la même foi, le même mouvement de reconnaissance, d’interprétation et de gratitude ; à cause de notre amour à tous pour lui nous nous réunissons pour célébrer l’Eucharistie, le grand acte de son passage, de son consentement à la mort à cause de nous tous et pour nous tous et de sa traversée qui nous ouvre à tous un chemin dans la mer de la mort et de la mortalité ; à cause de notre amour à tous pour lui en réponse au sien qui nous émerveille chaque matin et à celui du Dieu vivant qu’il nous manifeste, nous tâchons, humblement mais avec détermination, de mener notre vie de manière nouvelle.

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C’est aussi, frères et sœurs, parce que « l’amour du Christ nous saisit à la pensée qu’un seul est mort pour tous et qu’ainsi tous ont passé par la mort » que nous nous tenons là devant vous, nous ministres ordonnés, évêques et prêtres et diacres, devant vous et pour vous, fidèles laïcs, c’est-à-dire membres du peuple saint, et c’est pour cela que nos deux amis, Cyrille et Jean-François, se tiennent devant l’autel en ce jour, en notre cathédrale, pour être ordonnés diacres. Car le ministère apostolique a cette mission fondamentale et, en un sens, celle-là seulement : rappeler encore et toujours, mettre sous les yeux, ce fait désormais indubitable, ce fait que rien ne peut plus effacer de l’histoire des humains : «  Un seul est mort pour tous » et ce « un seul » est aussi ce Jésus de Nazareth, né de Marie, issu du peuple élu de l’Alliance, longuement préparé au fil des vicissitudes de l’Alliance de Dieu avec le peuple qu’il a choisi, ce Jésus qui est Dieu lui-même, le Fils consubstantiel au Père, venu en notre chair pour pouvoir mourir pour nous, pour nous tous, sans aucune exception. Seul de tous les humains à la fois Dieu et homme, seul parfaitement homme et parfaitement Dieu, seul en qui la vérité de Dieu se donne à voir sans voile et en qui la vérité de l’homme apparaît aux yeux de notre corps comme à ceux de notre intelligence ou de notre volonté.

Quelques-uns sont mis à part, sous des modalités différentes, parmi toutes celles et tous ceux qui ont été saisis par l’amour du Christ, pour manifester par leurs gestes, leurs paroles et aussi par leur existence même ce que l’Apôtre ose déduire de l’amour qu’il a décrit : « Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour nous. » La quatrième prière eucharistique le dit magnifiquement : « Afin que notre vie ne soit plus à nous-mêmes mais à lui qui est mort et ressuscité pour nous. » Nous tous, frères et sœurs, vous le savez, nous sommes là au milieu de vous, à votre service. Nous avons à vous rappeler toujours et à vous faire vivre concrètement que vos vies ne vous appartiennent plus tout à fait, qu’elles appartiennent plutôt à celui qui nous les donne à nouveau, parce que lui, Jésus, a pu s’unir à tous et chacun de nous et que, lui, Jésus, mort pour nos péchés et ressuscité pour notre vie, peut nous conduire, par-delà même la mort, vers notre plénitude à chacune et à chacun.  Nous avons en tout premier lieu à nous le rappeler à nous-mêmes, et c’est pourquoi notre ministère à chacun n’existe qu’en lien à celui d’autres.

Tous, évêques, prêtres  et diacres, nous sommes placés au milieu de vous et devant vous pour vous donner une nourriture que vous ne pouvez vous procurer à vous-mêmes -et nous, pas davantage, d’ailleurs ;  pour vous partager une Parole dont nul ne peut faire ce qu’il veut parce que sa vérité est mesurée par le fait que Jésus est mort pour nous, pour tous, et qu’en lui, tous ont passé la mort ; nous sommes placés au milieu de vous et devant vous pour vous rendre possible de vous rassembler non pas selon les besoins de cette vie terrestre, de l’organisation de nos cités ou de nos nations, mais aussi et plus fondamentalement selon l’amour qui nous a saisis et ne cesse de nous saisir à neuf « quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous et qu’ainsi tous ont passé par la mort », non pour notre salut à nous tout seuls mais pour l’aboutissement de l’œuvre totale de Dieu avec l’humanité.

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Cher Jean-François, cher Cyrille, vous voici appelés désormais à nous rejoindre, moi, évêque envoyé au service du diocèse de Reims et des Ardennes avec l’aide de Mgr Étienne Vetö, et les prêtres et les diacres qui, déjà, sont là pour déployer le ministère apostolique pour l’Église entière là où elle nous envoie. Tous ensemble, nous avons à rapprocher de tous la présence et l’action du Christ Jésus, dont la parole, les gestes, le regard sont tellement nécessaires pour que nos vies soient des traversées qui aboutissent. Vous, comme les diacres dont vous serez bientôt les frères en un sens redoublé, au contraire de nous autres évêques et prêtres, vous aviez bien entamé la construction de votre maison. Vous aviez, Jean-François, Cyrille, construit votre vie sur le roc solide de la foi et vous la faisiez grandir dans l’amour et par l’amour de votre épouse, vous, Jean-François, de Natacha, et vous, Cyrille, d’Eve-Laure, et des enfants qui sont nés de votre union, par votre vie professionnelle et sociale et dans vos engagements divers, notamment au service de vos paroisses ou du scoutisme. Pour reprendre l’image de saint Marc, vous aviez bien engagé la traversée de votre vie, celle-ci avait les allures d’une barque bien construite que vous dirigiez avec sagesse, en ayant pris soin d’embarquer Jésus avec vous. Mais voici que, lui, il vous appelle à autre chose ; voici qu’à travers la réflexion de son Église, il a fait lever en vous la conscience qu’il vous attendait un peu ailleurs, un peu autrement. Il vous invite à le rejoindre dans le groupe de ses disciples mis à part, pour être un peu plus avec lui, comme un prolongement de sa présence et de son action. Après avoir réfléchi et prié, avec l’encouragement pour chacun de son épouse, vous avez consenti à cette inflexion de votre vie. En ce jour, en ce moment, par l’imposition de mes mains et la prière de l’Église entière, vous allez être configurés au Christ Jésus, le Fils bien-aimé qui se fait serviteur de l’œuvre de son Père, qui se fait serviteur des membres de son Corps, qui se fait serviteur de la traversée entière de tous les humains.

Dans l’évangile proclamé en ce dimanche, nous voyons Jésus initier en quelque façon ses disciples à son mode de présence et d’action. Il est là avec nous, dans la traversée qu’est toute existence humaine, beaucoup plus présent et agissant que nous ne pouvons le savoir et le mesurer. Parfois, dans les tempêtes de la vie, les humains sont prompts à s’affoler et à reprocher à Dieu son absence. Mais Jésus, lui, est Dieu avec nous. Même s’il dort, il est présent. Ce que la traversée du lac ce soir-là annonçait s’est réalisé au moment dramatique du grand sommeil de Jésus. Il a dormi une nuit et un jour et le premier matin d’un autre, d’un sommeil terrible pour les siens, terrible pour ceux et celles qui croyaient l’aimer et le suivre ; une nuit, un jour et une nuit encore, dans le tombeau où quelques amis l’avaient déposé. La Résurrection a rendu manifeste que ce sommeil n’était pas inactif, qu’il n’était pas une absence non plus, mais encore une étape de son chemin à lui pour être avec nous, pour « être mort pour tous » en vérité. Parfois, dans les tempêtes de nos vies, le Seigneur paraît dormir, mais pas plus qu’au Samedi-Saint, il ne nous abandonne. Il dort, mais en réalité, ce faisant, il nous rejoint dans les profondeurs de nos combats, de nos luttes, de nos projets et de nos efforts, dans les profondeurs de notre être. Il dort, mais non pour nous laisser seuls avec nous-mêmes, au contraire pour être encore davantage à nous et en nous et pour nous. Nous autres, revêtus du ministère apostolique, nous en sommes pour vous et aussi pour nous, car notre foi peut être faible elle aussi, les témoins et les garants, avec les gestes si humbles et si forts de ses sacrements et avec sa Parole qui a tant de force mais qui peut nous paraître aussi bien fragile face aux défis du mal et du monde.

Comme diacres, vous n’aurez souvent pas d’autres moyens d’action qu’assurer de sa présence et faire entendre sa parole. Vous aurez souvent à dire que sa présence même endormi est un gage de salut et de paix. Vous n’aurez à votre disposition que peu de ses gestes, mais c’est précisément parce que lui, Jésus, veut avant tout stimuler la liberté spirituelle de ses disciples. Nous autres, évêques et prêtres, nous pouvons toujours être tentés de construire l’Église comme une sorte de contre-société ou d’imaginer régler par notre action, par la force de l’Eucharistie et de l’organisation qu’elle suscite, les grands problèmes du monde et les défis de chaque vie humaine. Vous, diacres, vous nous rappelez toujours que le secret de l’Église doit être le Christ Jésus, mort pour nous, mort pour tous, qui n’est pas moins actif dans sa passivité que dans son activité. Vous avez à veiller à ce que notre Église n’oublie jamais que « le Christ est mort pour tous », vraiment pour tous, et vous nous aidez, dans les communautés où vous êtes envoyés ou les missions qui vous ont confiées, à viser toujours celles et ceux qui n’ont pas encore pu recevoir la bonne nouvelle de Jésus ou qui ont des raisons de penser qu’il ne serait pas venu pour eux. Vous avez aussi à rappeler à chacune et chacun que nous n’avons plus à « regarder personne d’une manière simplement humaine » : tout être humain est, à nos yeux, un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. Vous avez encore à aider chacune et chacun à avancer sur ce chemin paradoxal que saint Paul nous décrit : ne plus avoir sa vie centrée sur soi-même, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour nous. Au milieu du monde, époux et pères de famille, exerçant une responsabilité professionnelle et diacres dans l’Église, ministres ordonnés du Christ, vous rappelez à tous ce qui est essentiel : « Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. » C’est que le Christ victorieux, lui qui fit taire le vent et la mer, lui à qui le vent et la mer obéissent, est venu surtout pour que les humains lui obéissent, non comme des esclaves, mais comme des fils et des filles, des frères et des sœurs : « Si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle »,                                                                                                                                Amen.


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