Homélie du 15 août 2024, pour la solennité de l’Assomption de la Vierge Marie - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 26 août 2024

Homélie du 15 août 2024, pour la solennité de l’Assomption de la Vierge Marie

Homélie pour la solennité de l’Assomption de la Vierge Marie, le jeudi 15 août 2024, à Éphèse

Il y a des temps d’espérance, frères et sœurs, et des temps de persévérance. Il y a des temps où l’avenir semble devoir être meilleur que le présent, où le but est clair et paraît presque saisissable, où les conceptions de tous convergent et où les énergies de tous se renforcent mutuellement. Il y a des temps différents, où le futur paraît inquiétant, où la route à prendre n’est claire pour personne, où ceux et celles à qui il revient de diriger paraissent incertains ou sont regardés avec méfiance par le grand nombre.

Il me semble qu’à l’échelle de l’histoire du monde, nous sommes plutôt dans les seconds temps à l’échelle de l’histoire du monde. Nous sommes dans un temps de troubles, d’inquiétudes, de tensions entre les pays et à l’intérieur des pays un peu partout dans le monde. En célébrant la fête de l’Assomption avec vous, frères et sœurs, je ne peux oublier les millions de réfugiés que la Turquie accueille depuis des années, résultat de l’éclatement de ce qui avait été un certain ordre dans cette partie du monde, ni le drame terroriste qui s’est joué, il y a peu, en Israël, ni la tragédie qui se déroule en ce moment à Gaza et qui menace aussi le Liban. Il est terrifiant de penser qu’à nouveau la guerre apparaît à certains chefs d’État, capables d’entraîner derrière eux l’opinion publique de leurs pays, comme un moyen possible de l’action politique. La construction du monde lancée après la seconde guerre mondiale semblait avoir banni à jamais une telle conception. Il n’en est rien et c’est une déception immense et surtout une cause de souffrances pour tant et tant de populations et de personnes. Plus encore, nous sommes en des temps où les visions du monde s’opposent, et notamment quant à une question cruciale mais qui, pour beaucoup en Occident, devrait être éliminée, oubliée : devons-nous collectivement chercher la volonté de Dieu ou seulement confronter nos volontés individuelles et sociales ? Les manières de poser cette question et d’y répondre varient fortement selon les lieux, selon les cultures, selon les contextes sociaux et religieux. Aucune solution ne peut s’imaginer l’emporter sur toute autre par l’effet spontané de ses bienfaits indéniables. Les angoisses sont nombreuses, dans un contexte de confrontation, confrontation accentuée par la conscience de la limite des ressources terrestres. Au lieu de pouvoir nous accueillir plus nombreux dans le partage de richesses plus abondantes, les humains anticipent tous plus ou moins qu’ils auront ou que les générations qui viennent auront à lutter pour maintenir leur part ou pour l’augmenter dans un contexte de restriction. Pris dans ces grandes interrogations plus ou moins formulées, plus ou moins conscientes, chacune, chacun, peine à orienter sa vie ; nombreux sont ceux et celles qui ne voient pas clairement quelle direction se donner, vers quel avenir choisir de marcher et quels pas faire pour l’atteindre.

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Mais, en ce jour de l’Assomption, nous célébrons, frères et sœurs, avant tout, l’espérance de Dieu et aussi sa persévérance. L’espérance de Dieu car notre Dieu, le Dieu vivant, le Dieu qui s’est révélé à Abraham et à Moïse, au peuple d’Israël, et qui vient à nous en Jésus et qui nous envoie l’Esprit-Saint, Dieu, le seul, vise haut et grand pour nous. Il veut nous unir, tous et chacune et chacun, à lui pour l’éternité. Il veut rendre notre vie, celle qu’il nous a partagée, vivante pour nous et pour tous, il ne cesse de regarder chacun et chacune comme son fils ou sa fille sur qui il étend sa miséricorde. En Marie en son Assomption, nous contemplons et nous célébrons cette œuvre déjà réalisée, ce qu’a acquis Jésus, le Fils bien-aimé, acquis pour Marie et pour nous tous avec elle et, en un sens, par elle.

Nous célébrons aussi la persévérance de Dieu parce que c’est de longue main, bien avant l’alliance avec Abraham ou Moïse, à l’instant même du péché de l’être humain, que Dieu a voulu Marie et l’a préparée comme celle en qui sa grâce trouverait l’hospitalité la plus entière, sans aucune ruse ou réserve. Mieux même, parce que, dès cet instant et peut-être même avant, Dieu a voulu venir nous rencontrer, nous humains, dans la chair même qui nous unit tous les uns aux autres par un lien que nous ne pouvons défaire, que nous supportons trop souvent comme un joug, mais que Dieu veut nous aider à transfigurer en charité. Pour cela, il a voulu venir lui-même, non pas déléguer un ange ou quelque créature que ce soit, si élevée puisse-t-elle être.

Ce fut l’enjeu du concile de Nicée dont l’Église entière, en la diversité des confessions, célèbrera en 2025 le mille sept-centième anniversaire, concile tenu en ce pays, à une ou deux centaines de kilomètres à l’Est d’Istanbul. Les évêques, réunis alors, se sont mis d’accord sur un point capital : être chrétien, c’est reconnaître que Dieu, le Dieu vivant, s’est abaissé lui-même en venant au secours des êtres humains, en prenant notre condition en tout ce qu’elle comporte, excepté le péché qui nous abime seulement. Notre foi confesse que Dieu, le Dieu vivant, ne reste pas dans sa gloire inaccessible mais vient lui-même jusqu’à nous pour se faire notre chemin vers la plénitude. Le concile tenu ici-même à Éphèse en 430 a confessé avec énergie, pour l’Église de ce temps et de tous les temps, que Marie, la mère de Jésus, celle qui se rendit avec empressement vers sa cousine Élisabeth, est la Théotokos, la mère de Dieu, non pas la mère d’un délégué de Dieu, si saint puisse-t-il être. Dieu est persévérant : il a pris le temps nécessaire pour préparer sa venue jusqu’à nous, afin que cette venue ne soit pas de surface mais nous rejoigne au plus intime et au plus décisif de ce que nous sommes chacune et chacun.

Notre foi nous fait confesser que Dieu, le Tout-Puissant, le Créateur, le Maître de l’histoire, est persévérance et est espérance ; il est don de soi et hospitalité. Cela éclaire tout d’une lumière unique que tous ne peuvent pas voir, que certains ne veulent pas voir, et qui, pourtant, fait resplendir l’espérance que contient notre condition humaine, en ce qu’elle a de plus humble et même de plus blessée, et elle fournit à la volonté de tous de quoi tenir dans les moments de brouillard, tous tendus vers le meilleur. Dieu veut pour nous ce que lui seul peut nous donner. Dieu veut nous faire participer à sa communion trinitaire et rien ne peut s’interposer et empêcher son dessein de s’accomplir.

En ce jour, en ce lieu, nous le comprenons, nous l’admirons : Dieu n’a pas chargé Marie de porter un message, des idées, une conception du monde, mais il lui a demandé de lui ouvrir la nature humaine qu’il avait façonnée et d’œuvrer avec lui pour ouvrir les libertés, une à une, de nous engendrer, les uns après les autres, à la vie en Jésus et par Jésus, le Fils bien-aimé. En cette fête de l’Assomption, nous confessons que l’histoire humaine n’est pas finie, l’histoire de la rencontre de Dieu et de l’humanité, histoire faite de moments joyeux mais aussi de moments douloureux pour que puissent advenir les moments glorieux. En Marie entrée dans la gloire en son âme et en son corps, en son humanité entière, en Marie qui ne laisse pas derrière elle une partie de son humanité pour entrer en pleine communion avec Dieu et qui, au contraire, est tout entière assumée à l’image de son Fils dans le mystère de l’Ascension, nous contemplons un double fait :

-rien n’est inutile de nos efforts humains, les plus triviaux comme les plus nobles et les plus engageants, rien n’est inutile de nos efforts pour vivre chacun de nos moments comme une rencontre possible avec le Dieu vivant ; tous nos efforts, bien au contraire, le moindre aussi, pourront servir à l’appel final que Dieu nous adressera. Rien, en effet, n’a été vain ou négligeable de chacune des actions de Marie ici-bas : ni ses humbles soins à sa cousine Élisabeth, ni ses soucis quotidiens pour Jésus enfant ou adolescent ou jeune adulte -et comment n’en aurait-elle pas eus ? -, ni ses interventions décisives à l’Annonciation ou à Cana, pour que la gloire de Dieu agisse au cœur de notre condition humaine. Tout, même le plus humble mouvement de notre âme, peut servir à accueillir ici-bas Dieu qui s’unit à notre condition humaine pour la faire renaître, purifiée et libérée ;

-mais aussi aucune des actions humaines ne se procure à elle-même sa fin. Aucune ne peut atteindre parfaitement son but. Aucune n’est pure de tout effet indésiré et indésirable. L’achèvement, nous le contemplons en Marie ; nous le contemplons, saint Paul nous y aidant, en Jésus mort et ressuscité, et par là en celle qui lui est associé au plus intime de notre chair ; l’achèvement ne peut venir que d’en haut, que d’un autre, que de Celui-là seul dont « l’amour s’étend d’âge en âge », que de Celui qui ne cesse de venir à nous plein d’espérance, et dont la persévérance ne peut être mise en défaut.

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Alors, frères et sœurs, que cette célébration redouble notre engagement dans la persévérance. Elle est la forme que l’espérance prend dans l’épaisseur du temps. C’est la grâce que, pour ma part, je demande, pour moi mais surtout pour tous les chrétiens de France, pour les années à venir. Persévérons dans la fidélité, persévérons dans la charité, persévérons dans l’espérance. Contemplant Marie, notre Dame, Mère de Dieu et mère des hommes, non pas cachée dans on ne sait quel refuge inconnu, mais présente en la gloire de Dieu et participant à la rencontre éternelle du Dieu Trinité, n’ayons pas peur des tribulations de ce monde et de ce temps. Ou plutôt, si nous avons peur, – après tout, la peur ne se commande pas et le courage ne consiste pas à ne pas avoir peur mais à ne pas se laisser dominer par elle -, si nous avons peur devant l’agitation multiforme du Dragon, gardons toujours les yeux sur la femme qui engendre.

Pour ma part, j’inscris dans mon cœur, comme j’avais eu la grâce de pouvoir le faire lorsque je suis venu ici âgé de 17 ans, emmené par un prêtre de paroisse plein de cœur, de science, d’amour de Dieu et du prochain, comme j’ai pu le faire une nouvelle fois il y une vingtaine d’année, l’image de la maison de Marie. Elle a vécu ici auprès du disciple que Jésus aimait, elle a vu les commencements si humbles de l’Église. Elle a vu la fragilité due au refus de beaucoup de se laisser convertir par l’annonce de Jésus mais aussi due à la capacité de division des disciples anciens et nouveaux, mais elle a vu surtout et elle a chanté chaque jour par son cantique d’action de grâce, la persévérance de Dieu qu’aucune de nos médiocrités n’abat et son espérance qui rejoint chacune et chacun des humains et voit en chacune et en chacun la fille ou le fils qu’il ou elle pourra être dans l’éternité, dans la vie à jamais. Dans la gloire du ciel, elle voit ce qui nous menace, elle ressent ce qui nous inquiète ; elle tremble en voyant notre foi s’affaiblir, elle s’émerveille de nous voir tenir dans son Fils et pour lui.

Ce que Marie a vécu ici jusqu’à son Assomption, elle le continue dans la gloire au long de l’histoire, elle veille sur nous, elle veille sur l’Église, elle se réjouit de chacune de nos fidélités, elle intercède pour chacun de nos renoncements ou de nos reniements ; elle voit, elle, l’œuvre de Dieu, le persévérant et l’espérant, et elle nous entraîne tendrement dans sa louange. Frères et sœurs, nous vivons des situations sociales, culturelles, spirituelles, variées, contrastées, et, cependant, nous nous sommes tenus dans l’unique Corps du Chrirst que Dieu engendre par Marie. Que cette célébration de l’Assomption 2024 nourrisse notre persévérance et nous relance dans l’espérance. Que rien ne puisse nous détourner du don que nous avons reçu de Dieu et qu’il nous a confié. Qu’en toute situation, même la plus embrouillée, même la plus sombre, nous nous tenions près de Marie, avec elle, dans l’humilité de sa maison qui prépare l’immense gloire de la communion éternelle.

Avec elle, portés par elle, au cœur des troubles de ce monde, nous osons dire ensemble : « Notre âme exalte le Seigneur, exulte notre esprit en Dieu notre Sauveur », car, oui, il s’est penché, il se penche, sur son humble servante, sur notre humanité, si pauvre sans lui et si belle par lui et avec lui, si rayonnante en Marie,

                                                                                                                      Amen.


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