Homélie du 14 septembre 2024, pour la Fête de la Croix glorieuse - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 16 septembre 2024

Homélie du 14 septembre 2024, pour la Fête de la Croix glorieuse

Homélie pour la Fête de la Croix glorieuse, le samedi 14 septembre 2024, en l’église de la Maison d’Abraham, 60ème anniversaire de la fondation de cette maison

Frères et sœurs, la fête que nous célébrons en ce jour a porté dans l’histoire divers noms. La liturgie la nomme désormais : fête de la croix glorieuse. Vous le savez : l’Église célèbre ainsi le jour où sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin, venue à Jérusalem, y découvrit le bois de la croix au milieu de bien d’autres pièces de bois, jetées là à travers le temps. Elle fit construire une basilique magnifique, l’Anastasis, pour marquer le lieu de la Résurrection et, à côté de cette basilique, une grande cour dans un angle de laquelle était dressée, sur le rocher du Calvaire, une grande croix couverte de pierres précieuses et de gemmes, contenant le bois mis au jour. Jérusalem a pu dès lors accueillir des pèlerins. C’est pourquoi cette fête a été nommée  aussi : l’exaltation de la sainte croix. La croix était ainsi glorifiée, l’instrument de torture qu’elle avait été était transformé en trophée de victoire, transfiguré par l’évocation de l’efficacité du salut qu’elle a porté, les pierres précieuses et le gemmes évoquant et mettant en valeur les fruits de la croix. Cependant, nous ne pouvons comprendre comme il convient cette glorification, que si nous nous souvenons de ce qui vient d’être proclamé : « Personne n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. »

Le mouvement premier, l’élan qui porte tout ce qui existe, est l’abaissement de Dieu. Avant d’être l’exaltation de qui que ce soit, la foi chrétienne est stupeur et émerveillement devant Dieu qui consent à venir jusqu’à nous, nous rejoignant dans notre condition de créature et même de créature soumise à la mort, marquée par le péché et ses traces. Saint Paul a trouvé les mots nécessaires pour dire ce mystère, pour que jamais nous ne ramenions l’abaissement de Dieu jusqu’à nous en Jésus à une sorte de voyage initiatique vers des terres inconnues : « Il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes ». L’Apôtre précise encore : « Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé -c’est une seconde étape-, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». L’exaltation vient ensuite, comme le don du Père, qui remplit de joie celui qui a avant tout cherché à faire sa volonté : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté. »

La foi chrétienne ne saurait consister à se hisser, à chercher à s’égaler à Dieu conçu comme dominant et possédant, voire comme imposant sa volonté. La foi chrétienne cherche à suivre Jésus dans le mystère déroutant de l’abaissement auquel il a consenti. Rien de morbide en cela, tout est amour et don de vie en vue d’une vie plus pleine et plus vivante : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais obtienne la vie éternelle. » « Quiconque croit en lui » : quiconque reconnaît en Jésus homme et même homme humilié, meurtri, rejeté, méprisé, Dieu au sens le plus haut de ce terme dévoilant le fond de son être, la vérité de son être. L’être de Dieu, cela devient clair devant la croix, n’est pas immutabilité, indifférence, sérénité lointaine et moins encore désir ou besoin de dominer, mais amour et don de soi. Il s’agit bien pour nous de monter au ciel, de parvenir à la vie éternelle, c’est-à-dire à la vie en plénitude, la vie pour toujours, et même d’en goûter comme des avant-goûts dès ici-bas, mais cela ne peut se faire qu’en suivant celui qui est descendu du ciel, c’est-à-dire qui a renoncé à toute visibilité de la gloire et qui a même consenti à se laisser rejeter.

Lorsque sainte Hélène est venue ici, l’empire romain commençait à devenir une société chrétienne, il se préparait même à devenir un État chrétien. Comment, comme société, comme État, pouvait-il se laisser transformer par le chemin de la croix ? Comment, nous, aujourd’hui, chrétiens, dans un monde tout différent, avançons-nous sur ce chemin-là ?

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C’est pourquoi un autre nom de cette fête est intéressant : fête de l’invention de la croix. « Invention » est la transposition du latin, il ne s’agit pas d’imagination, mais de recherche et de découverte. Les chrétiens ont à chercher, toujours, en toutes circonstances, le chemin de la croix. Quelle attitude, quelle réaction, quelle initiative peut correspondre en vérité au trajet du Fils de l’homme qui s’est abaissé pour, ensuite, être exalté ? Ce chemin n’est pas tout tracé, il ne peut s’exprimer en quelques principes dont se réclamer partout. Il est à chercher, parfois en tâtonnant, et il se vérifie par sa fécondité, par les fruits qu’il porte dans le temps long. Sur cette terre, en ce pays divisé, fracturé, en cette Ville même où tous les conflits du monde retentissent aussitôt et dont les tensions et les drames sont répercutés dans le monde entier, les chrétiens cherchent le chemin juste de la croix. Nous prions ici, ensemble, en ce jour de fête, pour que le Fils de l’homme, exalté parce qu’il a consenti à descendre, venu non pour condamner mais pour sauver, nous apprenne à tous, ici et ailleurs, les passages discrets de son chemin à lui.

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Or, frères et sœurs, nous célébrons cette fête, nous prions, dans cette maison qui porte le nom magnifique de « Maison d’Abraham ». Elle nous indique peut-être un des passages du chemin de la croix. Son nom évoque, de manière évidente, l’hospitalité d’Abraham, l’accueil qu’il réserva, dans son camp au chêne de Mambré, à trois visiteurs qui n’étaient qu’un. Le chemin de la croix peut sans doute être incarné ainsi : dans l’hospitalité. Le Fils de l’homme est descendu pour être reçu par nous ; il n’est pas venu en conquérant, il n’a pas cherché à s’imposer ; il s’est présenté en espérant susciter en nous, susciter chez les hommes, un mouvement d’hospitalité. A ceux qui l’ont reçu, de même que le visiteur triple et unique d’Abraham lui a promis et a promis à Sara un enfant, – et cela la fit rire-, le Fils de l’homme a donné « de pouvoir devenir enfants de Dieu », nés, non de la chair et du sang mais de l’Esprit. Réciproquement, Abraham qui reçoit les visiteurs consent à ce que son fils, Isaac, ne soit pas sa propriété mais un don reçu, qui doit pouvoir aller son chemin sans reproduire fatalement les pas de son père.

Ici, dans cette maison, depuis soixante ans, des pèlerins et des voyageurs de tous genres sont reçus. Ils partagent un moment de la vie d’une communauté, celle qui anime la maison mais aussi celle des liens tissés avec ce quartier de Jérusalem, ce quartier de la Ville sainte, traversé des tensions et des espoirs de cette Ville, animé par la promesse que constitue cette Ville au milieu de l’humanité. Les tensions entre les humains peuvent être grandes, les oppositions sources de violence peuvent être terribles, l’incompréhension mutuelle peut être meurtrière, elle ronge en tous cas les relations et les transforme en brutale juxtaposition ; et pourtant, dans cette humanité-là, il existe, ici et ailleurs, une et des maisons d’Abraham, des personnes prêtes à en accueillir d’autres, même un moment. C’est peu de chose, de petites, voire de minuscules oasis, mais le récit biblique nous fait espérer que chacun de ces moments d’hospitalité construit l’accueil du Fils de l’homme descendu jusqu’à nous et prépare mystérieusement mais certainement à accueillir le fruit de sa venue, la vie neuve, la vie forte, la vie pour toujours et pour tous dont il est le porteur et qu’il vient livrer au prix de tout lui-même.

Frères et sœurs, les tensions si exacerbées ici en ce moment existent partout dans le monde, d’une manière ou d’une autre, les mêmes ou des tensions analogues. Puissions-nous, nous chrétiens, être des chercheurs de la croix du Seigneur, des chercheurs de la croix glorieuse, non d’un bois mort bien sûr, mais du chemin du Fils de l’homme dont il est le symbole : « Ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle »,  

                                                                              Amen. 


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