Homélie du 11 novembre 2023, rencontre régionale de la Mission ouvrière - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 13 novembre 2023

Homélie du 11 novembre 2023, rencontre régionale de la Mission ouvrière

Homélie pour le 32ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le samedi 11 novembre 2023, messe anticipée, en la chapelle Saint-Laurent de La Verrerie, à Reims, rencontre régionale de la Mission ouvrière

La parabole que nous venons d’entendre peut susciter beaucoup d’interrogations : quelle est cette huile que l’on ne peut partager ? Quels sont les marchands chez qui on pourrait en trouver en pleine nuit ? Que signifie le fait que toutes les jeunes filles conviées aux noces s’assoupissent puis s’endorment ? Et comment comprendre que l’on, -et qui est, d’ailleurs, ce « on » que les jeunes filles appellent « Seigneur », est-ce l’époux ?-  refuse l’entrée de la salle des noces à celles qui arrivent après la fermeture de la porte ? Peut-être devons-nous poser avant tout que Jésus parle non pour condamner mais pour consoler, encourager, appeler à la conversion, avertir sans doute mais surtout donner de l’espérance. Nos questions se récapitulent donc en une seule : comment bien entendre l’appel final : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » ? et peut-être déjà l’appel précédent, celui qui retentit dans la parabole : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre. »

Or, nous avons entendu ce mot : « aller à la rencontre » dans la première lettre de saint Paul aux Thessaloniciens où il s’agit de l’ultime venue du Christ, de sa venue dans la gloire au terme de l’histoire. L’Apôtre veut réconforter les croyants confrontés à la mort de leurs proches et surtout semble-t-il s’interrogeant sur la place des vivants, de ceux qui n’auront pas achevé leur vie lors de la venue glorieuse du Ressuscité. L’important n’est sans doute pas la chronologie : qui passera avant les autres ?, mais l’assurance que nous aussi, « les vivants, nous qui serons encore là, nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux (ceux qui nous auront précédé dans la mort et donc dans la plénitude de la vie, puisque leur vie aura été achevée), à la rencontre du Seigneur. » L’essentiel n’est pas dans l’imagination que nous pouvons nous faire du jugement qui se produit après la mort et de ce qui adviendra de ceux et celles qui seraient vivants à la fin de l’histoire. L’essentiel est dans le « à la rencontre du Seigneur ». Comme dans la parabole, il est l’époux qui vient mais, pour le rencontrer, que ce soit dans la parabole ou dans la compréhension qu’a saint Paul de la fin de l’histoire, il faut aller vers lui, se laisser emporter, pour aller à sa rencontre. Toujours, pour être à Jésus et avec lui, il faut se déplacer ou accepter d’être déplacés. Il vient, mais il nous revient de faire et de consentir à faire quelques pas vers lui, à sa rencontre. Les orages nous tombent dessus, la maladie nous atteint sans rien attendre de nous, les événements s’imposent à nous, mais Jésus, il s’agit d’aller à sa rencontre.

Voilà sans doute le sens de la vigilance à laquelle il nous exhorte. Être vigilants, c’est être prêts à partir à la rencontre de celui qui vient dès que c’est possible. Il s’agit donc de ne pas être occupés ailleurs, ou alors d’être occupés de telle manière qu’en réalité, au plus profond, on reste disponible, prêt à tout lâcher pour aller vers celui qui vient, en pleine confiance et en plein désir de le rencontrer. S’il faut jouer de la parabole, peut-être les jeunes filles insouciantes auraient-elles dû aller vers l’époux au risque que leurs lampes s’éteignent. Après tout, à y bien réfléchir, si l’époux est attendu comme le jour après la nuit, de quelle utilité sont les lampes de chacune lorsque brille la lumière du matin ? Elles sont trouvées sans huile, tant pis, est-ce si grave au fond, du moment qu’elles reconnaissent avoir été insouciantes ou imprévoyantes ? Celles qui ont de l’huile en réserve et ne peuvent en prêter de peur de manquer à leur tour, ont-elles raison, ont-elles tort ? Quelle est la juste attitude que la parabole attendrait ? Peut-être n’y en a-t-il pas, sinon d’être prêts, pour reprendre les termes de l’Apôtre, à « se laisser emporter sur les nuées du ciel à la rencontre du Seigneur. » Le tout donc, pour être vigilants, est que nous soyons prêts à ces quelques pas, ce déplacement grand et petit, qui nous permettra de rencontrer celui qui vient. La vie humaine ne se juge pas selon des performances, selon des prestations, mais selon l’intensité du désir de cet autre-là qui s’est fait l’un de nous pour que nous puissions venir à lui et, par lui, aller vers le Père. Il s’agit d’être prêts à aller vers celui qui vient d’ailleurs, à la fois d’en haut, du Père qui l’a envoyé, et d’Israël, le peuple mis à part pour l’alliance avec Dieu.

La parabole nous invite à consentir que le temps soit long. La nuit s’épaissit, toutes les jeunes filles s’endorment. S’assoupir et même s’endormir sont des attitudes possibles. Veiller sans savoir quand viendra le jour, veiller quand l’époux tarde, est exigeant et pas à la portée de tous ou de toutes, peut-être même à la portée de personne. S’assoupir, éteindre sa vigilance, s’endormir qui veut peut-être dire ici mourir, n’empêche pas forcément d’accueillir l’époux lorsqu’il survient : « Voici l’époux qui vient ! Sortez à sa rencontre. » Il y a sans doute en revanche du sens à garder sa lampe allumée et à avoir de l’huile en réserve. La lampe en quelque sorte veille pour les jeunes filles. Même s’il n’est peut-être pas si grave qu’elles aillent à l’époux avec une lampe sans huile, il est sûrement réjouissant qu’elles aient été prévoyantes. C’est la part que les jeunes filles peuvent apporter. C’est la part que nous pouvons apporter. La lampe à huile évoque une lumière discrète, fragile, mais certaine si la lampe est bien entretenue, finalement assez résistante par rapport au vent ou au froid de la nuit. La lampe à huile allumée fait référence sans doute à la foi en chacun de nous, qui est confiance en Dieu qui vient à nous à travers la longue et complexe histoire des humains. La foi en quelque sorte veille en nous, et se fait espérance lorsque la nuit est bien sombre et que le jour paraît ne plus venir. Mais la liturgie de ce dimanche nous suggère une autre interprétation : celle de la sagesse. Parmi les jeunes filles, cinq sont prévoyantes ou plutôt avisées. Elles sont sages. Le mot grec « phrônimos » revient souvent dans le Nouveau Testament, notamment chez saint Paul. La sagesse n’est pas dans l’équilibre des vertus, dans la modération des passions, elle est aussi dans un certain désir intérieur, elle est une attention pleine d’attente qui sait repérer les signes de l’approche de l’époux, qui sait entendre le cri qui perce toute nuit et aller à la rencontre de qui vient. Elle n’est pas une vertu statique, ennemie du mouvement qui serait toujours jugé toujours précipité. Elle est au contraire, cette sagesse biblique, tendue vers l’avant, un avant qu’elle ne prétend à fabriquer mais qu’elle sait accueillir, sans pour autant rester sans rien faire mais en s’y disposant intérieurement. Cette sagesse-là reste vive, elle veille en nous, même lorsque nous nous assoupissons et même lorsque nous nous endormons dans la mort. Elle est l’attente qui transit toutes nos attitudes, qui nous place dans la paix face à celui qui vient nous chercher et vers lequel nous aurons à courir, ne fût-ce que quelque pas.

Peut-on tirer de cette liturgie de la Parole un peu de lumière pour la « mission ouvrière » ? Peut-être. « Mission » veut dire « envoi ». La Mission ouvrière est envoyée dans le monde ouvrier ou ce qui en tient lieu pour entretenir la lampe allumée de la sagesse chrétienne alors que le temps long de l’histoire paraît épuiser tous les efforts. Dans le combat pour la justice, pour l’égalité, la liberté, la fraternité, la longueur du temps peut faire chercher des moyens de précipiter le temps. La venue glorieuse du Christ paraît une issue trop incertaine, imprévisible, imperceptible, pour satisfaire des attentes immédiates qui répondent elles-mêmes à des souffrances ou à des conditions de vie difficiles qui sont d’ici et de maintenant. La tentation est forte de produire les solutions par l’action politique et sociale, par la lutte et la négociation. Ce combat ou du moins ce labeur d’ici-bas est légitime, il doit être mené.  Mais le risque existe alors de ne plus rien attendre de l’époux qui vient. Le risque existe de ne plus espérer le « plus encore », le « davantage » que seul l’époux apporte. Ou, plutôt, pour mieux le dire, la « mission ouvrière » en tant qu’œuvre de l’Église et œuvre d’Église, incarne la sagesse pleine d’attente de la parabole des jeunes filles. De même que toutes les jeunes filles s’assoupissent et s’endorment, de même vous partagez les analyses et les luttes du monde ouvrier ou populaire. Il n’est pas question de se résigner à attendre indéfiniment un monde meilleur, une justice enfin établie ici-bas. Il faut agir pour la réaliser. Mais vous êtes de ceux et de celles qui attendez aussi la surprise de l’époux qui vient, de celui qui peut nous faire emporter vers la communion totale avec tous et toutes. Vous êtes ceux et celles qui acceptez que vos combats et vos luttes soient éclairés par la parole de Celui-là, ceux et celles qui pouvez dire et redire à ceux et celles à qui vous êtes envoyés : « Voici l’Époux qui vient ! Sortez à sa rencontre ! ».

                                                                                                                                      Amen.


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