Homélie du 11 février 2024, pour le 6ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 12 février 2024

Homélie du 11 février 2024, pour le 6ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 6ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 11 février 2024, en la basilique Saint-Remi, journée Foi et Lumière, remise de deux croix de députés aux obsèques

« Si tu le veux, tu peux me purifier » : frères et sœurs, c’est presque une provocation que le lépreux adresse à Jésus, une mise au défi. Surtout, dans le cours de l’évangile selon saint Marc, c’est, paradoxalement, un frein mis à la vie publique de Jésus. L’évangéliste vient de nous raconter que Jésus, après une soirée et une nuit à Capharnaüm, largement occupées à enseigner puis guérir et libérer, s’est levé avant l’aurore pour prier, puis, retrouvé par ses disciples, les a entraînés au-delà de Capharnaüm pour proclamer la bonne nouvelle dans les villages voisins ; et voilà que ce lépreux, en le mettant en demeure de le purifier et en allant proclamer sur tous les toits ce que Jésus a fait, l’oblige à se tenir à l’écart des habitations pendant un temps suffisant. Comme si sa mission, à peine entamée, se trouvait bloquée par un excès de zèle. Jésus a eu beau essayer de limiter les dégâts en demandant à l’homme purifié de se taire, rien n’a pu retenir l’enthousiasme et la reconnaissance maladroite de celui-ci. Jésus se trouve compris comme un faiseur de guérisons miraculeuses et il doit se tenir à l’écart des habitations pour respecter la loi et réduire le risque de contagion.

Or, Jésus n’est pas sorti, sorti de Capharnaüm, sorti de Nazareth pour entamer sa vie publique, sorti surtout du sein du Père, de la Trinité sainte, pour faire des guérisons mais pour affronter en nous le péché. Les guérisons visibles n’ont de sens qu’en ce qu’elles sont le signe d’une guérison invisible, que lui seul peut procurer à travers tous les temps : la guérison de l’âme, la guérison de notre liberté humaine incurvée. La liberté nous était donnée pour que nous puissions adhérer à l’œuvre de Dieu, y participer avec tout notre être, devenir donc des acteurs de la communion avec Dieu et entre tous, et nous en avons fait une capacité de refus ou de dérobement qui, souvent, nous retire de l’œuvre de Dieu, fait de nos actes des moments de dé-création. « Si tu le veux, tu peux me purifier » : Jésus ne peut résister à une telle demande. Il le peut, il le veut. Les lépreux, nous l’avons entendu en première lecture, frères et sœurs, sont considérés en Israël comme impurs. Une fois la lèpre, c’est-à-dire une maladie de peau qui pourrait être contagieuse, constatée par un prêtre du Temple, il leur est demandé, il est même requis d’eux, qu’ils se tiennent à l’écart. L’impur n’est pas le sale, ni le méprisable. L’impur est plutôt ce que l’homme ne peut pas approcher de Dieu. Dans l’impur, le mystère de la vie et le mystère de la mort sont si proches que l’homme ne peut maîtriser cette proximité et donc se présenter lui-même devant Dieu. L’impur attend non pas la guérison mais la purification qui, en Israël, est marquée par la réintégration.

Jésus, lui, peut le purifier, il peut non seulement guérir l’homme atteint mais le réintégrer pleinement dans la communion et de Dieu et des humains, et c’est ce qu’il donne à cet homme. Il le fait avec un geste inouï : « Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha ». Jésus ne se contente pas de purifier cet homme d’une parole prononcée à distance. Il s’approche au contraire, il le touche. Il se met en danger lui-même, semble-t-il aux yeux de ceux qui en entendent parler. Mais, par ce geste, Jésus ne vise pas le seul lépreux qui se prosterne devant lui ; en cet homme, il annonce la totalité de l’œuvre du salut. Ainsi en est-il pour chacune des guérisons opérées par Jésus : tout lui semble facile. Une parole souvent, un geste presque insignifiant d’allure plus encore, lui suffit. Mais cette facilité ne doit pas nous tromper : elle annonce l’engagement total de lui-même qu’il vit dans l’abaissement de l’incarnation et qu’il vivra dans l’abaissement redoublé de la Passion et de la mort. Jésus ne fera pas semblant d’être mort, Jésus ne fera pas semblant de subir les conséquences de la capacité de refus qu’est devenu la liberté humaine ; en Jésus, Dieu ne fait pas semblant de devenir homme. Il s’approche, il touche, il se fait lui-même un de notre humanité marquée par le péché. Mais lui ne devient pas pécheur, pas plus qu’il n’est devenu lépreux. En lui, la contagion fatale du péché, la contagion du mal, celle de l’accusation mutuelle, de la méfiance, de la volonté de posséder, de la peur de manquer… cette contagion-là en lui ne passe pas. Lui la retourne en une force de communion.  C’est cette œuvre immense que le lépreux purifié ne comprend pas, trop pressé qu’il est de retenir les bienfaits de son état nouveau. La comprenons-nous, frères et sœurs, cette œuvre du Seigneur, nous qui nous en réclamons ? Sommes-nous prêts à l’accepter ? Jésus consent à se faire, lui, une sorte de paria du monde, sur la croix et dans la mort, afin de pouvoir rejoindre tous les humains et nous purifier du péché en nous partageant son obéissance au Père.

Alors, frères et sœurs, il n’y a certes plus guère de lépreux parmi nous, même s’il faut encore et toujours lutter contre cette maladie dans de nombreux pays. Nous connaissons son origine et nous pouvons donc la traiter comme une maladie et non comme une impureté. Cependant, toujours se pose à nous la question délicate du traitement des pécheurs, des pécheurs en tout cas qui représentent un risque social. Plus largement encore, à toutes époques la société, les familles, se trouvent confrontées à des personnes dont la vie les choque, les inquiète, une vie, une manière de vivre, dont le péché n’est sans doute pas absent mais qui n’est cependant pas purement et simplement le résultat du péché. Des questions se posent, délicates. Ces vies, ces personnes, devons-nous les tenir à l’écart ou pouvons-nous nous approcher d’elles pour leur manifester le désir de Jésus, le Dieu sauveur, qui s’approche  de tous et de chacun, de plus mis à l’écart aussi ? Souvent, le réflexe de la société est de les maintenir à distance, de peur d’être elle-même contaminée. La société le fait physiquement dans les prisons, elle le fait  moralement lorsque quelqu’un n’est plus reçu volontiers chez des amis, dans sa famille. Il peut y avoir à cela de bonnes raisons. Jésus seul est le Fils qui ne doute pas de son obéissance au Père, qui peut la risquer dans le contact avec les pécheurs parce qu’il ne se laissera pas contaminer. Notre Église doit être telle : prudente face à la contagion du péché, mais signe de Jésus qui se rapproche de tout pécheur qui veut être guéri ; appelant à ne pas céder à la fascination du péché qui prend parfois bien facilement à nos yeux des apparences de bien, mais n’oubliant jamais qu’un pécheur est avant tout un humain fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, fait pour l’image et la ressemblance de Dieu. Souvent, il est bon de nous souvenir que l’Église est un corps, fait de membres divers. S’il ne serait pas sage que tel membre s’approche trop de tel pécheur, ce membre devrait se réjouir que tel autre puisse le faire et ne jamais s’étonner que la tête qui symbolise le Christ, seule Tête du Corps que nous sommes en lui, porte toujours le souci des plus éloignés et cherche des voies pour s’approcher d’eux, comme Jésus étendit la main et toucha celui que lui seul pouvait toucher sans risque.

Saint Paul nous indique le chemin de la juste attitude : « Tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu. » Toutes mes actions, dans la manière concrète dont je les conduis, peuvent-elles être rapprochées de Dieu, offertes à lui ? Permettent-elles à ceux et celles qui les voient ou en sont les destinataires de rendre gloire à Dieu, notre Créateur ? ou encore comment vivons-nous ce que l’Apôtre nous recommande : « Ne soyez un obstacle pour personne. » Puissions-nous, frères et sœurs, nous garder toujours du péché, mais sans mépriser les pécheurs. Puissions-nous puiser dans la grâce du Christ la lumière nécessaire pour repérer notre péché, sans faux-semblant, et en demander la guérison, la force pour mener le combat spirituel, la persévérance pour appeler et lutter sans discontinuer contre le péché en nous, l’audace pour proposer aux autres les chemins de la vie sainte, le courage et la créativité pour montrer à nos sociétés d’autres voies possibles que celles qui se font au détriment de la justice ou de la vérité, et l’amour pour espérer encore et toujours le salut de tous les pécheurs et partager la compassion de Jésus en qui se donnent à voir les entrailles de miséricorde du Père. Puissions-nous ne pas fortifier notre vertu par le rejet des pécheurs mais toujours par le souci de la gloire de Dieu et du salut de la multitude,

                                                                                                                         Amen.


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