Homélie du 10 mars 2024, pour le 4ème dimanche de Carême - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 11 mars 2024

Homélie du 10 mars 2024, pour le 4ème dimanche de Carême

Homélie pour le 4ème dimanche de Carême, Laetare, le 10 mars 2024, en l’église Saint-Symphorien de Witry-lès-Reims, lectures de l’année A, célébration du deuxième scrutin

« Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais, du moment que vous dites : ‘’nous voyons !’’, votre péché demeure. » Ces paroles du Seigneur Jésus sonnent bien sèches à nos oreilles. Il a l’air de couper les ponts avec les pharisiens qui discutaient avec lui. A son jugement, ils ne parviennent pas à voir ce qui est mis sous leurs yeux et, comme ils prétendent voir, savoir, ils portent la responsabilité de leur aveuglement. Jésus estime qu’assez leur a été montré, assez a été dit : s’ils s’entêtent à refuser de comprendre et d’accepter ce qui est, ce n’est pas parce que la réalité ne serait pas assez claire, mais parce qu’ils s’y refusent, parce qu’ils résistent à voir le réel devant eux, parce que ce réel bouscule leur manière de penser, de concevoir les rapports de Dieu et des humains.

L’épisode a commencé avec Jésus dont saint Jean nous dit qu’il « vit » un homme aveugle de naissance. » L’évangéliste ne donne pas le nom de cet homme, mais celui-là, Jésus le voit. L’homme mendie mais Jésus ne voit pas un mendiant ni un aveugle, mais « un homme aveugle de naissance », un homme dont il se trouve qu’il est aveugle depuis toujours. « Jésus vit un homme  » : il voit en lui un être humain, une histoire unique, irremplaçable, qui a valeur à ses yeux. Il voit cet homme, comme Dieu, dans le livre de Samuel, est dit voir David ; non pas selon l’apparence, mais selon le cœur, selon l’intérieur, selon sa personne singulière. Nous connaissons, frères et sœurs, notre capacité à tous à voir sans voir, à apercevoir dans la rue un homme ou une femme qui mendie et à passer sans regarder, sans nous attarder, sans permettre à l’image qui frappe nos yeux de s’imprimer en nous. Nous voyons parce que nous ne sommes pas aveugles ni de naissance ni par maladie, mais sans voir vraiment, comme si nous ne voyions pas, et nous passons en oubliant. Jésus, lui, voit cet homme. Cette rencontre, qui aurait pu être fugitive, déclencha une question des disciples : eux ne voient pas un homme mais un aveugle de naissance et non pas tel aveugle mais, à travers lui, un problème, le problème du mal. Eux ne s’intéressent pas à l’homme mais au problème que sa présence oblige à se poser. Ils vont même tout de suite à la solution qui justifierait leur manière de ne pas le regarder, de ne pas s’y intéresser : « Qui a péché ? Lui ou ses parents ? » Mais Jésus, lui, a vu l’homme et il fait ce dont nous avons entendu la description, ces gestes étranges : il crache par terre, fait de la boue, la place sur les yeux de l’homme et l’envoie se laver à la piscine de Siloé dont le nom signifie, l’évangéliste le note : l’envoyé. Que fait Jésus ? Il reprend l’œuvre de la création. Il l’achève. La boue sur les yeux de l’homme redouble ce qui le rend aveugle, mais c’est pour le guérir, pour qu’en enlevant cette boue-là qui vient de Jésus, de ce que Jésus a tiré de lui-même, il retire aussi de lui ce qui l’handicapait depuis sa naissance. L’homme voit.

Que se passe-t-il alors ? C’est, pour lui, le commencement d’une vie nouvelle sans doute, mais c’est avant tout le commencement des ennuis. Nous avons entendu le détail des multiples manières dont il doit rendre compte de ce qui lui est arrivé. En tout cela, cet homme, l’aveugle guéri, manifeste sa liberté intérieure, sa capacité de s’affirmer en reconnaissant ce qu’il a reçu et en y étant fidèle, malgré les contradictions. Nous l’admirons, cet homme, qui mendiait pour survivre et qui, guéri, se montre capable de tenir tête aux autorités intellectuelles et spirituelles de son peuple, non par orgueil mais par fidélité, non par goût de la provocation mais par reconnaissance. Pourquoi les Pharisiens réagissent-ils ? Parce que Jésus a guéri cet homme le jour du sabbat, le jour du repos dû à Dieu. L’abstention du travail, au jour du sabbat, structure la vie d’Israël, elle le distingue fortement de toutes les nations. Elle traduit la foi en Dieu créateur : il y a six jours pour travailler, pour faire produire à la terre ses fruits ; le 7ème est fait pour se reposer, parce que ce que Dieu a donné permet de vivre ; parce que le peu déjà possédé est déjà beaucoup, assez pour louer Dieu et vivre en frères et sœurs dans le sein de la famille. Que fait Jésus en guérissant le jour du sabbat ? Prétend-il améliorer l’œuvre de Dieu ? En lui, Dieu ne se résigne pas à la situation dégradée des humains ; en lui, Dieu agit pour conduire les humains à la plénitude de la liberté avec les moyens de se déterminer eux-mêmes, comme cet homme qui reçoit le pouvoir de voir, c’est-à-dire de s’approprier sans l’abîmer tout ce qui l’entoure et à qui il est donné de voir l’œuvre de Dieu qui va à son terme. En cet homme, il annonce que le règne de la maladie et de la mort n’est pas le dernier mot de Dieu. Il rend visible, perceptible, l’engagement de Dieu qui, en lui, Jésus, s’engage pour porter l’humanité au salut, c’est-à-dire à la vie en plénitude, capable de voir ce qui restait imperceptible : Dieu qui agit au cœur des humains, Dieu qui va se donner tout entier, engager son être pour qu’il soit possible aux êtres humains de voir l’œuvre de Dieu et d’y répondre. C’est cela qu’annonce déjà, que promet, le crachat de Jésus pour faire de la boue.

Pourquoi Jésus affirme-t-il aux Pharisiens qu’ils restent dans leur péché ? Parce qu’en refusant de croire que l’homme guéri l’a été par Dieu, en attribuant cette guérison à l’adversaire, ils se ferment à voir la Résurrection, la victoire de Dieu en un homme crucifié. Ils se ferment à accepter que Dieu soit prêt à se donner ainsi pour que vivent les humains, et par là même, ils se refusent à se laisser entraîner sur ce chemin-là. Ils veulent bien respecter la loi, se perfectionner courageusement dans la mise en œuvre des préceptes les plus compliqués de la loi, mais ils ne sont pas prêts à se laisser entraîner par Dieu dans le mouvement même de Dieu qui s’engage lui-même tout entier pour le salut des humains, qui s’abaisse, qui se mêle à la chair et à l’histoire des humains pour la tirer vers la vie en plénitude. Ainsi, frères et sœurs, peut-il en aller de nous aussi : nous voulons bien regarder Dieu dans les hauteurs mais nous n’acceptons pas qu’il vienne se mêler à notre vie quotidienne, qu’il s’approche de nous et voit nos petites colères, nos grandes rancunes, nos préjugés tenaces. Nous ne sommes pas prêts surtout qu’il nous demande d’aimer ceux et celles que nous n’avons pas l’intention d’aimer. Parfois, pas toujours heureusement, une certaine dévotion, une certaine émotion religieuse s’accompagne d’un certain aveuglement sur ce que Dieu fait réellement. Nous aussi, comme les Pharisiens de jadis, nous pouvons nous diviser quant à ce qui vient de Dieu.

Mais n’oublions pas, frères et sœurs, qu’après le chapitre 9 dont nous avons entendu la lecture, vient le chapitre 10 et toute la suite. Jésus n’en reste pas, même avec les Pharisiens, à ce jugement sur leur enfermement. Pour eux, il va aller au bout de lui-même. Pour eux aussi, il ne va pas se contenter de cracher pour faire de la boue avec le sol, mais il va verser son sang, le laisser jaillir de lui en abondance pour que notre dureté de cœur à tous, celle des Pharisiens et la nôtre, soit dépassée par l’étonnement et l’émerveillement devant ce qu’il donne pour nous, ce qu’il montre de sa disponibilité à se donner pour que nous nous vivions.

Ce matin, frères et sœurs, nous allons célébrer pour nos frères et sœurs catéchumènes le deuxième scrutin. Ils se placent et ils comptent sur nous pour les aider à se placer sous le regard de Dieu qui scrute les cœurs, qui pénètre nos libertés abîmées, pour les guérir patiemment et les rendre capables de répondre à son acte par nos actes. Nous voyons ceux et celles qui nous seront donnés dans la nuit de Pâques comme des frères et des sœurs. Ils ont vécu sans voir Jésus. Il leur a été donné de le voir et de reconnaître en lui une lumière pour leur intelligence, une force pour leur volonté, une consolation et une promesse pour leur cœur. Nous les accompagnons mais à nous de les voir aussi et de nous laisser toucher et transformer ou tout au moins encourager par eux. Comment, nous, chrétiens de plus ou moins longue date, regardons-nous Jésus ? Comment nous laissons-nous toucher par Jésus, par sa parole, par ses actes, par le grand geste de son Eucharistie où il nous tend son Corps livré et son Sang versé ? Comment choisissons-nous de voir, de voir ce qui est lumière et de nous laisser attirer par elle, quand nous pourrions-nous complaire à regarder ce qui est ténèbres et à nous laisser envahir par celles-ci ? Comment nous-mêmes, frères et sœurs, scrutons-nous la réalité pour y reconnaître l’œuvre de Dieu et même, plutôt, Dieu à l’œuvre, et voyons-nous à partir de là tout le réel. Alors, frères et sœurs, voyons, regardons, contemplons nos frères et sœurs catéchumènes, suivons-les du regard jusque dans la nuit de Pâques et au-delà et réjouissons-nous de l’appel qu’ils nous adressent : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera »,

                                                                                              Amen.


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