Homélie des 2 et 3 novembre 2019 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 3 novembre 2019

Homélie des 2 et 3 novembre 2019

Homélie pour le 31ème dimanche du Temps ordinaire, année C, le samedi 2 novembre 2019, en l’église d’Asfeld, prière pour les défunts, et le dimanche 3 novembre 2019 en l’église Saint-Joseph à Reims

Elle vaut pour nous aussi, frères et sœurs, la demande de l’Apôtre : si quelqu’un, quel qu’il soit, même votre évêque, annonçait « que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer ». C’est qu’il y a une tâche à accomplir, que l’œuvre du Christ Seigneur pour le salut de tous les hommes, n’est pas achevée, et qu’il convient de la mener, cette œuvre, jusqu’au dernier jour, jusqu’à l’ultime moment. Chaque époque a ses aspects de fin du monde. La nôtre connaît assurément la fin d’un monde, la contrainte écologique pesant sur notre planète nous oblige à chercher les voies de modes de vie nouveaux. Nous ne devrions pas vivre cela dans la panique, nous chrétiens, ni dans l’indifférence, comme si cela ne nous concernait pas. Nous pouvons y voir une chance d’ajuster mieux encore notre manière de vivre à notre foi, à l’incroyable bonne nouvelle de salut que Jésus nous apporte.

Une autre réalité pourrait nous inquiéter, lorsque nous entendons parler du « jour du Seigneur », une réalité dont on parle peu aujourd’hui mais qui habite les esprits plus qu’on ne le pense : le jugement de Dieu. Que peut bien penser le Créateur lorsqu’il regarde l’humanité s’agiter avec ses violences, ses peurs, sa recherche effrénée du plaisir ? Que peut-il penser de notre vie à chacun, si nous nous regardons avec lucidité ? Même si nous essayons de vivre avec dignité ou honnêteté, que peut penser le Créateur de certaines pensées qui rôdent dans le fond de nos âmes ? La liturgie nous a fait entendre une belle page du livre de la Sagesse. Le sage nous y présente Dieu devant l’ensemble de sa création, pour lui semblable à une goutte d’eau qui descend au matin, mais il veut surtout nous assurer que Dieu aime sa création, et l’humanité en son cœur. Dieu ne s’amuse pas avec ses créatures : il les veut pour qu’elles vivent et partagent sa vie en plénitude. Le sage biblique a compris, lui, que Dieu ne cessait pas de travailler pour que les êtres humains puissent se convertir, puissent produire l’acte, même minime, qui lui permettra de les tirer du côté de la vie plus forte que la mort. C’est ce qu’il a réussi, en Jésus, pour Zachée.

Nous connaissons par cœur le récit de cette rencontre. Nous avons colorié tant de fois au catéchisme Zachée dans son arbre et Jésus l’appelant, pour ceux qui ont eu la chance d’y aller ! Dans l’évangile selon saint Luc, ce récit vient tout à la fin de la vie publique de Jésus, juste avant son entrée à Jérusalem pour la Passion. Rencontrer Zachée, venir prendre son repas dans sa maison a été comme l’ultime acte de Jésus avant d’affronter Jérusalem et son refus. Tout paraît facile dans ce qui se passe à Jéricho : Zachée désire voir Jésus, Jésus le repère dans son arbre, la volonté de Jésus de demeurer chez Zachée rejoint le désir de cet homme, et Zachée, d’un coup, parce que Jésus est entré chez lui, décide de changer radicalement de vie. Tout paraît facile, la force de la présence de Jésus emporte avec elle les résistances du cœur de Zachée, mais en fait, Jésus arrive là après ses années de prédication et se préparant à sa Passion. Pour rejoindre Zachée et lui permettre de basculer vers le salut, il a fallu rien de moins que l’incarnation du Fils de Dieu, son abaissement à partager notre condition humaine, les trente années de la vie cachée et tout ce qu’il y a appris, les trois années passées à parcourir les villes et les villages de Galilée, de Judée et même de Samarie, et il y faut encore l’engagement qui se noue dans le cœur de Jésus d’aller jusqu’au bout du don de soi pour le salut de tous qu’il va devoir consentir à Jérusalem. Lorsque quelqu’un rencontre Jésus ou se laisse rencontrer par lui pleinement, tout paraît simple, mais Jésus vient chaque fois rempli de tout le mouvement qui l’habite depuis la volonté de la Trinité sainte de faire participer les êtres humains à sa vie malgré le péché jusqu’à l’effort pour aller jusqu’à Jéricho. Les catéchumènes et les néophytes le savent bien, eux qui ont vu Jésus les rejoindre et s’inviter dans leur vie, alors qu’ils ne s’y attendaient pas ou qu’ils n’osaient l’espérer.

La rencontre de Jésus avec Zachée nous dit trois choses capitales pour notre vie chrétienne et la mission de l’Église qui éclairent ce que notre diocèse doit vivre dans les années à venir.

L’essentiel se joue dans la rencontre. Jésus veut rencontrer les Zachée de tous les temps et de tous les lieux. Nous, disciples de Jésus, nous pouvons et nous devons oser cette rencontre. Nous avons à la rendre possible. Rien ne se serait passé, si Jésus n’avait pas traversé la ville de Jéricho. Il n’y est pas entré seul, il était accompagné de ses disciples et d’une grande foule et, même, à l’entrée de la ville, selon saint Luc, il a guéri un aveugle comme pour avoir un témoin de plus de ce qu’il allait vivre chez Zachée. En interpellant Zachée, en s’invitant chez lui avec autorité, dans l’ultime étape qui précède son entrée à Jérusalem, Jésus montre à ses disciples, à nous tous, à son Église de tous les temps, ce qu’il attend d’eux personnellement et de l’Église dans sa totalité : aller à la rencontre des Zachée, oser s’inviter chez eux pour que le salut puisse entrer dans leur maison.

Le plus inattendu et le plus impressionnant dans le récit de saint Luc est Zachée lui-même. Il est chef des publicains, il travaille avec les Romains pour prélever l’impôt et il se sert lui-même généreusement au passage. Il est méprisé par les autres Juifs, mais il est riche. Il faut bien vivre et il a réussi à se débrouiller pour vivre confortablement. Pourtant, il veut voir Jésus. Il est travaillé intérieurement par ce qu’il en entend dire, il veut le voir. Malgré le ridicule de la situation, devant ses compatriotes qui le méprisent, il grimpe dans un arbre. Lorsque Jésus s’arrête devant lui et l’appelle, il est plein de joie et, d’un seul élan, il décide de rompre radicalement avec sa vie antérieure. Rencontrer Jésus, se laisser rencontrer par lui, ne peut être anodin. Jésus ne vient pas seulement pour nous consoler de bonnes paroles, il nous appelle à changer de vie, toujours. Même nous autres qui avons toujours vécu dans la présence de Jésus –je suppose que c’est la majorité d’entre nous-, nous avons à laisser quelque chose, à transformer une manière de vivre ou d’être, à renoncer à un droit ou à un bien, pour mieux vivre de la présence de Jésus, pour que notre maison intérieure puisse être en vérité la maison du Seigneur. C’est pourquoi d’ailleurs beaucoup de nos contemporains refusent d’entendre parler de Jésus. Ils ont trop peur de ce que celui-ci pourrait provoquer dans leur vie. Ils se privent ainsi de la grande joie qu’a connue Zachée, la joie d’être intégré dans l’œuvre entière de Dieu. A nous de traverser nos villes et nos villages d’une manière ou d’une autre, à nous de leur rendre visite, non pour les juger, non pour les condamner, mais pour leur faire comprendre ou sentir que Jésus est toujours prêt à venir habiter chez eux.

Le récit de saint Luc introduit une sorte de suspense. Qu’est devenu Zachée, une fois ses engagements pris ? Les a-t-il tenus ? A-t-il vraiment donné la moitié de ses biens aux pauvres et rendu au quadruple ce qu’il avait réclamé injustement ? Que lui est-il resté pour vivre ? Qu’ont pensé sa femme et ses enfants de ce brusque changement de style de vie ? Et surtout, comment ont réagi les habitants de Jéricho, ceux qui le méprisaient jusque-là ? Car, saint Luc l’a noté avec soin, voyant Jésus descendre chez Zachée, « tous récriminaient : ‘’Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur’’ ». Nous savons que nous devons former des communautés, nous comprenons que l’Eucharistie du Seigneur, la venue du Seigneur Jésus au milieu de nous, crée entre nous une communion qui anticipe sur la communion éternelle. Nous sommes appelés à vivre en « fraternités de proximité ». Mais comment regardons-nous les autres ? Sommes-nous capables de nous réjouir que Jésus aille habiter aussi chez ceux qui ne font pas les mêmes choix de vie que nous ? Pouvons-nous espérer avec Jésus que les Zachée de tous les temps et de tous les lieux sauront trouver les moyens de revenir vers Dieu, pour peu qu’ils perçoivent la joie qu’apporte la présence de Jésus en leur maison ? Toujours, nous avons à veiller à ne pas nous juger les uns les autres. Le Seigneur nous appelle à faire le bien et même le meilleur, dans la joie, comme une réponse libre et responsable, et non pas par peur du châtiment et moins encore par peur du jugement des autres. Nous devons apprendre sans cesse à nous réjouir avec le Seigneur du moindre mouvement d’un homme ou d’une femme vers Dieu, vers le salut, et non pas nous précipiter pour mesurer la distance qui lui reste à franchir. Réjouissons-nous de bénéficier de la présence habituelle de Jésus en nous, par sa grâce et par sa Parole, fortifiées par les sacrements, et émerveillons-nous du moindre frémissement de ceux qui sont loin.

Frères et sœurs, que la rencontre de Jésus et de Zachée éclaire nos chemins. Sachons reconnaître que Jésus est venu habiter notre maison et osons en tirer les conséquences, d’un cœur libre et joyeux.

Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


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