Homélie de Mgr Feillet pour son départ - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 6 septembre 2021

Homélie de Mgr Feillet pour son départ

Homélie de Mgr Bruno Feillet, le dimanche 05 septembre en la Cathédrale Notre-Dame de Reims.

Frères et sœurs, vous le savez, j’ai été pendant 8 ans l’évêque auxiliaire de ce beau diocèse de Reims et des Ardennes. C’est au service de Mgr Jordan puis de Mgr Eric de Moulins-Beaufort que j’ai appris un peu ce qu’il en est du ministère épiscopal. Dans mes précédentes nominations, je n’avais jamais siégé dans un conseil épiscopal. Il m’a fallu apprendre à penser et accompagner un diocèse dans son ensemble. Et j’ai beaucoup de gratitude pour la confiance que vous m’avez accordée. Elle m’a permis de devenir ardennais et rémois tout à la fois.

L’évangile que nous venons d’entendre a la vertu de me permettre de relire quelques aspects de la mission que j’ai vécue au milieu de vous.

Nous sommes dans l’Evangile de Marc. Il écrit à des chrétiens probablement issus du monde païen. Il utilise des noms géographiques connus par les gens cultivés de son temps pour leur permettre de situer sur une carte les lieux où passent Jésus. Aujourd’hui, Jésus se situe dans le territoire de la Décapole (une région syro-jordanienne) de dix villes païennes. Jésus se rend à la périphérie et même au-delà du territoire d’Israël. Il a compris que sa mission ne se cantonnait pas à ses seuls frères issus de la judaïté mais à tous les hommes.

Le Pape François nous a relancés sur le chemin de la mission ad gentes avec son encyclique Evangelii gaudium, la joie de l’Evangile. Et en vérité, c’est bien cela que nous avons éprouvé évêques, prêtres et laïcs lorsque nous avons mis en place et réalisé des missions dans divers lieux du diocèse. Je suis frappé combien les missionnaires reviennent joyeux des missions qu’ils ont vécues. Ils en parlent spontanément avec chaleur et cela renouvelle profondément leur manière de vivre en Eglise. Et c’est vrai tant pour les prêtres que pour les fidèles. Faire comme Jésus, aller au-devant des hommes et des femmes de notre temps, c’est vraiment retrouver le cœur de notre baptême, l’intuition de notre ministère. Nous sommes faits pour vivre de l’Evangile et l’annoncer. Et cela fait du bien d’abord aux missionnaires.

On se demande toujours comment on peut « caser » ces activités en sortie dans des agendas bien chargés. En fait, et c’est véritablement un acte de foi, il nous faut mettre les choses à l’endroit. Il ne s’agit pas tant d’ajouter en plus une activité supplémentaire que de passer de la pastorale de la cloche qui dit « vient chez moi » à celle de la sonnette qui dit « bonjour, je viens chez vous ». Le reste nous sera donné par surcroît. Jésus lui-même reconnaît non seulement la joie des disciples qu’il a envoyé en mission mais aussi la fécondité de leur ministère. Et honnêtement, comme évêque auxiliaire, j’ai été le témoin de cela. Cependant, il ne faut pas oublier que Jésus invite ses disciples à mettre d’abord leur joie dans une réalité qui ne déçoit pas : le fait que leurs noms sont inscrits dans le Ciel.

L’Evangile nous montre donc la direction générale mais il indique aussi la réalisation concrète. Jésus ne se contente pas de monter sur un rocher pour adresser un discours sur la proximité du règne de Dieu, mais il rencontre personnellement tel ou tel malade. Les rencontres de Jésus sont très intimes. Quoi de plus intime d’ailleurs que de mettre ses doigts dans les oreilles d’un sourd et sa salive sur la langue d’un muet. Voyez-vous, frères et sœurs, j’ai été très touché lors de ma visite au Viêt-Nam par la visite du musée de la Mission. J’ai demandé comment les premiers vietnamiens étaient devenus chrétiens. Il m’a été répondu que les missionnaires s’occupaient mieux de leurs malades qu’eux-mêmes. J’avoue que cela m’a beaucoup fait réfléchir et même encouragé lors de l’organisation des premières mission avec la Fraternité des missionnaires diocésains. Désormais, nous posons la question : « de quelle maladie avez-vous besoin d’être guéris ? ». On nous parle alors de la solitude ou encore de la violence dans les quartiers et de bien d’autres choses encore. Cela aboutit à construire des catéchèses sur la fraternités ou la béatitude « Heureux les artisans de paix ». Mais aussi à la mise en place de magnifiques soirées de guérison et de réconciliation qui sont parties intégrantes des missions qui sont réalisées.

Frères et sœurs, gardons en mémoire de cet évangile que Jésus ne se contente pas de beaux discours universels sur le salut qui vient de Dieu et qu’il va réaliser dans sa propre chair, mais il s’intéresse à la situation très concrète et singulière des personnes qu’il rencontre. C’est cette proximité qui qualifie tout ce qu’il peut dire. Le service de la charité qu’on appelle encore celui de la diaconie est un élément déterminant de la mission de l’Eglise. L’épître de Jacques nous l’a rappelé à sa manière. L’accueil des plus modestes est le creuset où se vérifie notre foi. « Montre-moi tes œuvres, et je te dirai quelle est ta foi » écrit-il ailleurs dans sa lettre.

A vrai dire, le ministère épiscopal que j’ai découvert au milieu de vous, s’il intègre la mission, ne s’y réduit pas pour autant. J’ai aimé ce qu’a dit le Pape François aux nonces apostoliques chargés de trouver de nouveaux candidats pour devenir évêques. Il cherche des prêtres capables de marcher devant, au milieu et à l’arrière du peuple qui leur est confié. Permettez-moi de déployer cette manière de voir avec les critères empruntés au monde du sport que nous connaissons probablement mieux.

Être évêque devant son peuple, c’est sans doute endosser le rôle d’entraîneur. Ce rôle est certainement complexe. Il suppose de bien connaître son équipe, savoir ce qu’elle peut donner, les points sur lesquels progresser, l’apprentissage de nouvelles stratégies, ne pas épuiser le groupe à l’entraînement de peur qu’il soit trop fatigué pour le match… Lorsque je suis arrivé à Sées pour une première rencontre, l’un des prêtres que j’ai croisé m’a tout de suite demandé si j’avais été joueur avant d’être entraîneur, curé de paroisse avant d’être évêque. Comme je l’avais été quatre ans à Valenciennes avant d’arriver ici à Reims, il a été rassuré. Et il a aussitôt ajouté qu’il ne fallait pas que j’oublie cette expérience pour que je ne le submerge pas de propositions de toutes sortes auxquelles s’ajouteraient celles qui viendraient du Saint-Père. Message reçu.

Être au milieu de son peuple se rapproche assez bien de la fonction d’arbitre. L’arbitre, nous le savons est dans le match, mais il ne le réalise pas de la même façon que les joueurs. Qui plus est, il souhaite la réussite de tous. Il faut parfois trancher et décider, ouvrir le match et siffler la fin de la partie. C’est là un des nombreux services qu’un évêque doit rendre.  Ce n’est, bien sûr, pas la seule manière d’être au milieu de son peuple. Le Pape dit que la seule façon pour l’évêque de le faire est de prendre l’odeur des brebis. Pour tout vous dire, en Normandie ce sera surtout celle des vaches et des chevaux. Apprendre à connaître son peuple, acquérir le regard que vous procure une beuquette prend du temps. A vrai dire, ce n’est jamais fini. L’évêque de Clermont-Ferrand, dans son homélie à l’occasion de l’ordination d’un nouvel évêque disait qu’il ne suffisait pas d’être nommé pour devenir évêque, ni non plus d’être ordonné. On le devient petit à petit à travers l’expérience, la fréquentation quotidienne de son peuple et de son clergé. Enfin, n’oublions pas que l’arbitre a des assesseurs comme l’évêque a des collaborateurs, laïcs, diacres et prêtres, hommes ou femmes, mariés ou célibataires. Sans eux, rien ne serait possible.

En se mettant à l’arrière de son peuple, l’évêque emprunte parfois la posture du soigneur. La vie nous l’apprend assez vite, il y a des blessures qui doivent être prise en compte, des personnes qui doivent être soignées. Il y a parfois des blessures qui ne cicatrisent jamais totalement. L’évêque lui-même peut être la cause ou l’objet des blessures. Cela peut arriver, et je vous demande encore mille fois pardon pour celles que j’ai pu causer. « Médecin soigne-toi toi-même » nous dit l’Evangile. L’Eglise a vocation de ne laisser personne au bord du chemin. Le modèle de fraternité que nous propose Jésus à travers la parabole du bon Samaritain pourrait nous inspirer en ces temps où la liberté individuelle est perçue comme la valeur ultime à défendre. La véritable fraternité comporte un risque, car si nous savons où elle commence, nous ne pouvons savoir où elle va nous mener. Jésus l’a expérimentée jusque dans sa mort offerte pour nous. Ce chemin-là, nous n’avons pas toujours envie de le parcourir dans sa radicalité, pourtant il n’y en a pas vraiment d’autre si nous voulons que personne ne soit abandonné au bord de la route.

Entraîneur, arbitre, soigneur, à vrai dire, l’évêque est avant tout un sportif, un sportif de Dieu comme tout un chacun. Du moins on peut l’espérer. Il nous faut courir la course jusqu’au bout, comme dit Saint Paul. Ce qui est formidable dans la foi chrétienne, c’est que personne ne court contre les autres mais avec les autres et grâce aux autres et aux dons de l’Esprit, de telle sorte que tous nous puissions recevoir le prix auquel nous sommes destinés. Le prix de la grâce, c’est notre salut, c’est Jésus lui-même qui fait de nous ses frères et nous introduit dans la vie divine. Préparons-nous à faire quelque pas de plus dans cette direction en célébrant maintenant l’eucharistie.


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