Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour l'Epiphanie - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 4 janvier 2021

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour l’Epiphanie

Homélie pour la solennité de l’Épiphanie, le dimanche 3 janvier 2021, en la chapelle des Missions Étrangères de Paris.

Dans cette chapelle, plus encore qu’ailleurs, il convient de nous demander ce que signifie la question : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » Pourquoi des mages, des savants, des sages, venus d’un pays d’Orient supposé lointain, se sont-ils intéressés à un roi des Juifs enfant, au point de se mettre en route pour venir l’adorer ? Le principe même de la religion est que chaque peuple a la sienne, par quoi il se relie à ses ancêtres, à ses descendants, au ciel et à la terre, au cosmos entier, et trouve sa place entre le monde des dieux, le monde des animaux, le monde des autres humains.  Vous savez sans doute, frères et sœurs, que les savants d’aujourd’hui qui se donnent la peine de lire les évangiles et de les étudier, s’interrogent encore et toujours sur ces mages énigmatiques. D’où venaient-ils ? Qu’est-ce qui les a mis en route ? Ont-ils vraiment existé ou le récit de leur récit à Jérusalem puis à Bethléem n’est-il qu’une belle histoire ? On peut disserter à l’infini : une poignée d’hommes en voyage, même à dos de dromadaires, ne laissent pas forcément de traces que la science historique puisse étudier, sinon le retentissement de leur rencontre chez ceux ou celles qui en ont bénéficié.

Le plus important est ceci : le récit biblique tout entier est traversé de la rencontre du peuple d’Israël, d’Abraham et sa descendance, avec des païens, avec des hommes ou des femmes d’autres peuples. Souvent la rencontre a tourné à l’affrontement, mais avec certains, la rencontre a été heureuse, féconde, elle a promis une rencontre plus ample et plus forte encore. Nous pouvons penser à Jethro, le beau-père de Moïse, à Rahab, la prostituée hospitalière de Jéricho ou à Ruth, la grand-mère de David, mais il y en a d’autres. Ces personnes que l’on qualifierait volontiers mais peut-être un peu vite comme « païennes » ont reconnu dans la destinée d’Israël, des descendants d’Abraham, une histoire qui les concernait eux aussi, une histoire qui engageait l’humanité entière. Parce qu’Israël est le peuple de l’Alliance, il est le point par lequel Dieu, le Dieu vivant, le Dieu créateur, a pu reprendre langue avec l’humanité pécheresse et agir pour s’approcher de l’humanité le plus qu’il lui soit possible. Il y a mieux encore : chacun, chacune de ces « païens »-là a apporté quelque chose à Israël, a aidé le peuple élu à mieux vivre selon l’attente de Dieu. La foi chrétienne n’est pas seulement que Dieu est unique et qu’il est le Dieu de tous les humains, les ayant tous créés comme il a créé toutes les choses et tous les êtres. La foi chrétienne est que le Dieu qui s’est révélé à Israël et qui a façonné ce peuple-là est le Dieu vivant qui cherche à atteindre tous les humains dispersés ou détournés de lui.

L’étoile même que les mages ont vu à l’orient et qui les guide à la sortie de Jérusalem jusqu’à Bethléem, cette étoile a brillé assurément dans les cieux, mais elle a brillé aussi dans le cœur des mages et elle brille dans les pages des Écritures saintes, en particulier dans le livre des Nombres, qui nous rapporte les manœuvres de l’équivoque prophète Balaam. Celui-ci avait été payé pour maudire Israël mais il ne peut faire sortir de sa bouche que des paroles de bénédiction. Lui voit une étoile se lever, mais au loin, une étoile pour éclairer tous les humains. Dans ce petit peuple sans prestige, ce ramassis d’esclaves fuyant l’Égypte tellement civilisée, le prophète dévoyé aperçoit le lieu où pourra prendre chair le berger, le pasteur de tous.

Les grands prêtres et les scribes du peuple qu’Hérode convoque comprennent bien cela : ils répondent en citant le prophète Michée qui désigne Bethléem, la ville de David, comme la ville dont doit sortir « un chef, qui sera le berger d’Israël », peuple de Dieu. En Israël se façonne quelqu’un qui pourra être en vérité le berger de ce peuple et, à cause de cela, pourra être le berger de toute l’humanité. Non pas le dominateur, non le législateur, non pas le conquérant : le berger, celui qui conduit vers les sources vives et les pâturages qui rendent vivants. La foi chrétienne n’est pas seulement foi qu’il y a un seul Dieu pour tous les hommes, elle est plutôt foi qu’un seul peut conduire les hommes à la plénitude de la vie et que ce « un seul », cet « unique », vient d’en haut, est donné de Dieu, mais en étant préparé, façonné dans ce peuple particulier qu’est Israël, un morceau de l’humanité travaillé longuement, patiemment, par l’alliance avec Dieu, non pas le peuple le plus prestigieux de tous les peuples mais le peuple dont le trésor est l’alliance avec Dieu et les Dix Paroles qui scellent cette alliance et qui en vit, non tout seul mais avec d’autres, non pour lui seul mais en faveur de tous les autres.

La foi chrétienne n’est donc pas seulement foi en un Dieu unique universel, en une destinée universelle pour tous les humains, elle n’est pas exactement foi que tous les humains sont égaux et appelés à la même dignité et à la même sainteté. Elle est plus précisément foi en ce que Dieu compte sur le peuple d’Israël pour partager à tous les autres son trésor unique, et pour mettre son berger, celui qui vient pour conduire Israël à sa plénitude, à la disposition de tous les humains. L’histoire des mages annonce dès le commencement qu’Israël ne sera pas seul à recevoir ce berger-là, qu’il est venu, lui, pour beaucoup d’autres, inattendus. Elle annonce aussi que tout Israël n’acceptera pas de partager son Messie, son pasteur, avec tous les autres. Les mages venus d’Orient sont le signe d’une universalité à laquelle il faudra qu’Israël consente, à laquelle certains Juifs ont consenti : et Marie et les Douze et Joseph et quelques autres, et à laquelle la majorité ne consentira pas, craignant de tout perdre, même sa sainteté particulière.

Alors, frères et sœurs, ce matin, en cette chapelle, nous pouvons le comprendre et le célébrer : le berger qui est le nôtre, le Seigneur de qui seulement nous voulons recevoir la vie, est le berger d’Israël qu’Israël, dans les apôtres et Marie et Joseph, a mis à notre disposition. A nous, il revient de le mettre à disposition d’autres. Les Missions étrangères de Paris se sont efforcés de faire briller son étoile jusqu’en Extrême-Orient. C’est une tâche toujours à poursuivre : comment vivons-nous, nous chrétiens, pour partager celui qui nous est donné avec ceux et celles qui le cherchent ? Notre manière de vivre fait-elle se lever son étoile ? Mais surtout il nous faut encore et toujours vivre l’histoire des mages jusqu’au bout : « Ils ouvrirent leurs coffres et lui offrirent leurs présents ». Pour que le berger d’Israël règne vraiment sur nous, sur le peuple de Dieu que nous sommes, nous avons besoin que les trésors de tous les peuples lui soient apportés. Nous ne faisons pas qu’apporter à tous les peuples le berger qui veut leur bien absolu et total ; nous avons besoin d’admirer ce que les trésors des nations deviennent entre les mains de notre Seigneur, c’est-à-dire que nous avons besoin de voir comment les plus éloignés viennent à lui et expriment qui il est avec leurs propres trésors pour progresser nous aussi, pour grandir, dans la connaissance de sa réalité. Car ce berger-là n’est pas à notre image : il naît d’Israël et tous les trésors de toutes les nations ne suffiront pas à le dire en toute vérité.

Nous ne vivons plus dans le temps des mages venus d’Orient. Nous ne vivons plus en un temps où une étoile aperçue dans le ciel évoque un don de Dieu à recueillir avec grand respect. Nous vivons dans un monde sécularisé où l’humanité pense facilement que l’unité lui est donnée par le commerce, la technologie, les moyens de transport et de communication, l’expansion de la science médicale et la tolérance entre les États. Mais nous, nous savons que les humains ont besoin d’un berger d’un autre ordre, d’un berger ou d’un roi qui ne soit pas tout à fait du monde mais qui soit le vrai berger d’Israël comme peuple saint de Dieu. Nous savons que ce berger est venu très humblement et qu’il laisse à beaucoup le temps de venir à lui et de le reconnaître. Nous savons que ne peut être le berger de tous les humains que celui qui a pu être le berger du peuple élu, le berger qui donne sa vie pour les brebis, qui affronte pour elles non les puissants de ce monde mais les forces de mort qui habitent le cœur des humains et qui les asservissent.

Nous osons croire que l’humanité n’est pas une parce que les êtres humains vivent des mêmes besoins et peuvent être formatés pour choisir les mêmes produits, mais parce que chaque expérience humaine est unique et est un trésor qui peut servir au Verbe de Dieu à se dire plus et mieux pour la gloire du Père et le salut de tous. Nous osons croire que « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus » et nous comprenons que cela suppose une générosité inouïe de la part de l’Israël de Dieu et une humilité immense de la part de toutes les autres nations, mais encore une humilité très grande de l’Israël de Dieu qui doit accepter que, quel que soit son savoir, il a à apprendre encore des nations, et une espérance très grande de la part des nations qui doivent découvrir qu’en donnant leurs trésors, en s’en dépouillant, elles les recevront encore transfigurés. Travail immense à l’échelle des siècles que nous célébrons d’Épiphanie en Épiphanie, pour qu’il se fasse non par la violence et dans la jalousie comme il en a été si souvent le cas dans l’histoire mais dans la foi et dans l’amour sous la garde de Marie et la protection presque invisible de Joseph,

                                                                                            Amen.


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