Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le Vendredi Saint - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le Vendredi Saint

Homélie pour l’Office de la Passion, le Vendredi Saint 2021, 2 avril, en la cathédrale Notre-Dame de Reims.

Beaucoup attendent en ces jours une parole de consolation et de bienveillance, une parole qui donne des motifs d’espérer. Notre pays semble pris d’une crise de mélancolie. Une lassitude généralisée s’installe de plus en plus dans les esprits et des cœurs. Pourtant, frères et sœurs, point de guerre près de nous, point de destructions, point de population obligée de fuir comme notre région en a connu par trois fois. Pourtant, une épidémie menaçante, difficile à juguler certes, mais pas la plus virulente que l’humanité ait connue. Seulement, l’acédie généralisée qui nous guette, la perte de goût et d’énergie, ne tient pas seulement à une cause sanitaire. Depuis quelques mois, nous découvrons sans cesse des secteurs nouveaux de la vie sociale où s’est exercée ou s’exerce une violence, souvent mais pas toujours à connotation sexuelle. Mieux que jamais nous prenons conscience que les femmes peuvent ne jamais être tout à fait tranquilles et que les enfants sont beaucoup plus souvent victimes que nous n’osions le penser. Certains milieux étaient repérés depuis longtemps comme des milieux à risque, mais nous devons constater que ni l’Église ni la famille ne sont des lieux préservés. Au milieu de nous, nombreux sont celles et ceux qui ont été atteints dans leur construction la plus intime, quoi qu’il en soit des apparences qu’ils présentent. A partir de ces constats, nous sommes plus attentifs que jamais au fait que les personnes de peau noire ou jaune se trouvent plus souvent qu’à leur tour humiliées par un mot, un regard, parfois une parole. Même si nous faisons très attentions à purifier nos pensées de toute idée de supériorité ou d’infériorité raciale ou ethnique, des préjugés demeurent, des réflexes conditionnés nous animent. Les personnes homosexuelles font entendre leurs souffrances devant les réactions réelles ou supposées de leur entourage.  Alors même que nous nous jugeons ouverts ou gentils ou attentifs, certaines attitudes, certains silences, certains sujets dont on ne parle pas font du mal sans que nous le voulions et sans que nous nous en rendions compte. Notre société est finalement constituée en grand nombre de personnes fragilisées dans leur intimité la plus profonde. Beaucoup sont victimes autour de nous et parmi nous, à un degré ou un autre, dans l’Église et dans la société, et en prennent conscience aujourd’hui plus que jamais. Elles cherchent à comprendre qui sont les responsables de leur situation de fragilité. Par un effet d’entraînement, tous, nous recherchons dans la collectivité un soutien, une oreille attentive, la reconnaissance de nos droits. Tous sont tentés de se trouver une position de victimes, parfois sans beaucoup de motifs. S’installe aussi la crainte, crainte saine de blesser, d’offenser, de faire du mal ; crainte plus troublée d’être mis en cause, d’avoir à justifier tel comportement, à rendre compte de tel geste ou de telle parole. Ainsi, peu à peu, notre vie sociale perd-elle sa spontanéité, tout y est mesuré, codé, encadré par le droit et par la définition du permis et du défendu.

En face de ce tableau, que nous est-il offert en ce Vendredi-Saint ? Pas grand-chose. Rien d’autre que le Christ Jésus arrêté, bafoué, moqué, insulté, crucifié, mort, mis au tombeau. Si nous le regardons bien, si nous prenons le temps de le contempler, nous pouvons recevoir une double lumière.

D’abord, face à Jésus crucifié, aucune personne humiliée, torturée, méprisée, mise en situation d’infériorité sociale ne peut nous être indifférente. En chacune nous reconnaissons un aspect de Jésus le Messie crucifié. Il a voulu rejoindre chacun et chacune aussi loin qu’il est possible dans la matérialité d’un supplice. Il a voulu rejoindre chacun et chacune beaucoup plus profondément par la souffrance qu’il subit et à laquelle il consent pour qu’elle fasse en lui son travail : « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ». Le salut ne nous tombe pas d’en haut ni comme une pluie bienfaisante ni comme un ordre qui terroriserait enfin les méchants et leur ferait cesser leurs méfaits. Le salut nous est porté par Quelqu’un qui a éprouvé jusque dans sa chair ce que signifie être rejeté, être mis au ban, être méprisé, et souffrir et ne pouvoir penser à rien d’autre. Par là-même, il doit être clair à jamais qu’aucune personne ne saurait passer par perte et profit de l’histoire humaine, qu’aucune souffrance humaine ne saurait être regardée avec indifférence.

Mais, par là aussi, si nous le contemplons avec les yeux de saint Jean, nous découvrons en lui la victime que l’on ne réduit pas à l’état de victime. Il ne cesse, dans sa Passion, d’être celui qui consent à ce qui lui arrive. Il est souverain, par cela, il est le roi caché d’Israël et de toutes les nations, celui qu’aucune situation humaine n’empêche d’être qui il est : le Fils en qui le Père peut se complaire parce qu’il n’y a en lui que désir de vie pour tous : « Il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort, et il a été compté avec les pécheurs, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs ».

Face à toi, Seigneur, aucune personne qui souffre, aucune personne atteinte en son être intime, ne peut nous être indifférente. Aucun être humain ne peut purement et simplement être classé parmi les victimes inévitables de l’histoire. Face à toi, Seigneur, nous découvrons que personne ne peut se réduire à être une victime, qu’un petit chemin, imperceptible mais réel peut être tracé par lequel les plus accablés de l’histoire sont des vivants qui apportent quelque chose à la vie de tous, qui révèlent à tous ce qu’est être réellement un vivant.

Nous Te contemplons, Seigneur, Toi qui n’as pas « refusé de boire la coupe que le Père t’a donnée ». Nous Te contemplons, condamné, crucifié, mort et tellement digne, tellement Toi-même. Nous voyons l’eau et le sang qui sortent de Ton côté transpercé, nous découvrons que Tu as de la vie à donner par delà Ta mort. Nous Te contemplons, Tu es jusqu’au bout l’Envoyé du Père. Toi qui remets tout entre ses mains, Toi qui laisse au Père le dernier mot de l’histoire et qui Te rends disponible pour Lui. Avec Toi, Seigneur Jésus, nous attendons, nous espérons, nous attendons la parole qui tirera tout vers la victoire puisqu’il a été promis : « S’il remet sa vie en sacrifie de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. »

                                                                                                                       Amen.


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