Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 33ème dimanche du Temps Ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 16 novembre 2020

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 33ème dimanche du Temps Ordinaire

Homélie, pour le 33ème dimanche du Temps ordinaire, année A, Journée mondiale des pauvres et journée du Secours catholique le 15 novembre 2020, dans la chapelle de la Maison Saint-Sixte, en temps de confinement.

Dimanche dernier, la parabole du Seigneur Jésus était féminine : dix jeunes femmes, invitées à des noces, appelées à participer à la joie de l’Épouse et de l’Époux comme une promesse pour leur joie à elles un jour. Aujourd’hui, la parabole est masculine : un maître et trois serviteurs. Toute parabole vise à nous faire réfléchir, elle est une énigme que nous ne pouvons pas réduire à sa solution. Nous devons écouter l’histoire et la laisser vivre en nous. Trois points pour avancer peut-être un peu ;

Nous pouvons nous étonner, nous effrayer, de l’exigence du Maître. Il confie des talents, des sommes d’argent, mais il en attend, sans trop le dire, un rapport élevé : du 100%, et il est sans pitié pour celui qui n’a rien à lui donner que sa pièce initiale. Le troisième serviteur n’aurait-il pas raison de dire au maître : « Je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain ». Mais si le Maître est Dieu, si moissonner ou ramasser disent le salut, ne faut-il pas plutôt s’émerveiller que Dieu cherche à rassembler dans sa vie très au-delà des frontières visibles de son action ? Jésus, le Fils bien-aimé, met ses disciples qui sont des Juifs, dans cette vision-là et il nous y fait entrer aussi : Dieu, le Créateur, ne se contente pas de recueillir dans son salut un peuple soigneusement préparé ; il espère rassembler des humains de très au-delà.

Les talents doivent fructifier. La parabole nous dit quelque chose d’important : Dieu ne se contente pas que nous fassions le minimum pour être en règle ; Jésus le Fils nous avertit tout de suite : Dieu attend que nous participions à son œuvre, que nous œuvrions, nous aussi, pour le salut du monde, pas pour le nôtre seulement mais pour celui des autres. « Serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » Les serviteurs deviennent des fils et des filles, qui font leur le projet du Père. Ils ne sont pas de simples exécutants qui s’efforcent de ne pas trop dépasser le minimum attendu. La récompense n’est pas grand-chose : seulement entrer dans la joie du Seigneur.

Ne réduisons pas les talents à nos capacités artistiques, sportives, sociales, à nos habiletés et à nos compétences manuelle sou intellectuelles. Qu’avons-nous reçu de Dieu ? Suis-je capable de dire ce que Dieu m’a donné pour que je participe à son œuvre ? Sans doute, la foi, une éducation chrétienne, pour beaucoup d’entre nous ; sans doute des rencontres qui ont rendu possibles des activités, des découvertes, des expériences, qui ont fait de mon chemin à la suite du Christ un chemin vraiment personnel. Ce sont aussi les espaces dont je dispose pour agir, pour mettre ma foi en œuvre dans le service des autres, dans l’adoration de Dieu, dans le témoignage de foi, mais ce sont aussi les occasions qui me sont données de choisir pour le Christ, en raison de lui, ou pour le plus grand amour auquel il m’appelle, ce sont les personnes qu’il a mises près de moi et qui me tirent hors de moi-même : mon mari ou ma femme, mes enfants, mes parents dont je dois m’occuper, tel voisin, les pauvres aussi, de toutes sortes, qu’il a mis sur ma route et qui m’obligent à me décentrer. Ce peut être aussi une maladie, une épreuve, une souffrance, qui m’a arraché à un chemin trop facile, qui a mis ma foi à nu et m’a conduit à un choix renouvelé. C’est le combat spirituel que je mène, qui lui aussi me décape, lorsqu’il me faut renoncer à tel attachement, consentir à tel abandon, voir au-delà de ce qui est visible.

Si ces trois points nous apportent quelque lumière ; si, à tout le moins, ils nous font réfléchir, alors regardons le cadre général. Un homme part en voyage et confie ses biens à ses serviteurs ; « longtemps après », il revient. Jésus, selon le récit de saint Matthieu, raconte cela juste avant sa Passion. Il va entrer dans la mort, il va en triompher dans la Résurrection, il va partir vers le Père à l’Ascension. Il laisse ses apôtres et ses disciples, il les laisse agir. Il leur confie tout ce qu’il met entre leurs mains : la mémoire vive de ce qu’ils ont vécu avec lui, de ce qu’ils l’ont entendu prêcher ou leur dire, de ce qu’ils l’ont vu faire et de ce qu’il les a envoyés faire, tout cela concentré dans la fraction du pain et tout cela scellé en eux par le don de l’Esprit. Il reviendra, « longtemps après », et il compte sur ses apôtres et ses disciples, sur nous aujourd’hui, pour faire fructifier ce don toujours offert, toujours vivant, toujours à vif. La parabole peut aussi se comprendre à un autre niveau : le Créateur nous a confiés ses biens, et il nous laisse, tout le long temps de l’histoire, mais pour qu’à son retour la terre soit plus belle, plus féconde, plus resplendissante. Il compte sur nous, lui le Créateur ; il compte sur nous, lui le Rédempteur, pour que l’humanité se dresse, de mieux en mieux, comme l’épouse parfaite dont nous avons entendu l’éloge qui conclut le livre des Proverbes. L’histoire n’est pas un chaos, l’histoire n’est pas faite d’une série de commencements et de maturation et d’échecs qui toujours recommencent. Sous tout cela, par-delà tout cela, une réalité s’édifie, grandit, mûrit, l’humanité telle que Dieu la souhaite, telle qu’il la désire, se prépare, personne après personne, âme après âme, celle « qui fait le bonheur de son époux, et non sa ruine, au long des jours ». En Jésus, par le Fils bien-aimé, il est venu nous tirer du chemin de la mort, pour que nous puissions à nouveau, de toute l’humanité, entreprendre de constituer peu à peu l’humanité épouse, qui reçoit le don de Dieu et lui permet de porter le plus de ses fruits.

Alors, frères et sœurs, comment attendons-nous le retour du Maître ? Comme la venue des pillards ou comme la venue de l’époux ? Comme une catastrophe ou comme le moment de la mise au monde ? Dans les temps troublés où nous sommes, soyons de ceux qui attendent le voleur qui vient du ciel. Il vient nous tirer hors de nous-mêmes, mais c’est pour nous dilater à la largeur de toute son œuvre, de l’humanité entière à tout le moins. Il vient bousculer notre tranquillité, mais c’est pour que nous vivions de manière plus vivante encore. Tout ceci est vrai de l’ultime moment, du sceau de la mort, mais cela est vrai déjà de toute rencontre que nous faisons du Seigneur, de tout moment où ici-bas nous l’accueillons qui vient. Tout cela est vrai de toute rencontre avec un pauvre qui nous attend et nous met au défi de nous-mêmes.

Alors, frères et sœurs, la venue du Seigneur, le retour du Maitre, nous le vivons en temps normal chaque semaine dans la messe du dimanche. Il vient y recevoir, semaine après semaine, ce que nous avons à lui donner. Vous vivez ce moment, en vous unissant à l’acte eucharistique que je célèbre ici pour vous avec quelques prêtres et quelques fidèles qui nous aident. Vous ne pouvez la goûter, cette venue du Maître, dans la proximité physique de l’assemblée ni, pour beaucoup, dans l’Eucharistie distribuée. Vous la goûtez cependant parce que la parole du Seigneur, de celui qui dit la parabole, a retenti à vos oreilles et qu’il est bien celui dont nous allons ensemble célébrer le sacrifice, le geste total et définitif par lequel il tourne toute notre histoire vers le Père, dépassant nos résistances et celles des autres.

Prenons le temps, frères et sœurs, de regarder les talents que le Seigneur nous a confiés. Certains font notre joie, d’autres nous laissent perplexes. Comment les faisons-nous fructifier ? Comment les fais-je fructifier ? Est-ce que je les reçois comme un fardeau, dont je cherche à me débarrasser ? Est-ce que je les reçois comme une marque de confiance, qui me permet d’être plus proche de lui, Jésus, mon Seigneur, celui qui vient pour la bienheureuse espérance ?                                                             

Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.