Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 2ème dimanche de l'Avent - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 7 décembre 2020

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 2ème dimanche de l’Avent

Homélie pour le 2ème dimanche de l’Avent, année B, le 6 décembre 2020, en l’église Notre-Dame de Revin.

« Voix de celui qui crie dans le désert ». Quelqu’un crie. Il crie apparemment en vain, puisqu’il crie dans le désert, où il semble qu’il n’y ait personne pour l’entendre. Mais c’est déjà une nouvelle, et même une bonne nouvelle : quelqu’un a quelque chose à dire. Son cri n’est pas indistinct, ce n’est pas seulement le bruit du vent ou le silence de la mort. Notre existence humaine ne se déroule peut-être pas dans le brouillard seulement, ni dans l’absurdité, ni dans la perpétuelle répétition des choses. « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. » Nous qui sommes ici, rassemblés dans cette église, nous entendons la voix. Nous avons fait le déplacement qu’il faut pour l’entendre, comme le font en un sens celles et ceux qui ont allumé leur télévision ou leur écran pour suivre une messe diffusée. Nous menons notre vie sans doute du mieux que nous pouvons, dans l’allégresse de nos tâches quotidiennes ou dans l’inquiétude de la maladie ou des difficultés économiques et sociales, dans la paix de nos relations familiales ou dans la tristesse de leurs épreuves. Ce matin, nous écoutons une voix. Elle est ancienne, nous la lisons dans des livres. Elle est toute neuve, elle retentit à nos oreilles, elle a crié pour nos ancêtres, elle crie aussi pour nous. Quelqu’un vient vers nous, quelqu’un vient pour nous, chaque moment de nos vies l’attire vers nous et peut être un pas de notre part vers lui.

Les prophètes de malheur sont nombreux et ils risquent rarement de se tromper, il suffit de laisser du temps à leurs prédictions. Les prophètes de bonheur sont nombreux, eux aussi ; ils peuvent se tromper, ils peuvent nous tromper, il peut se faire que leurs promesses se réalisent au moins en partie, au moins pour quelques-uns. La prophétie biblique est d’un autre ordre : elle annonce qu’il vaut la peine de changer de vie, que tout pas en ce sens sera utile. Isaïe, depuis le VIIIème siècle avant Jésus, annonce qu’une consolation arrive. Nous attendons aujourd’hui un vaccin qui nous dégage de la crise sanitaire ; nous attendons une reprise qui nous fasse sortir de la crise économique et permette à nos sociétés occidentales un peu de prospérité à partager pour guérir une société fracturée ; nous attendons un engagement généralisé pour sortir de la crise écologique et avoir l’espoir que la vie humaine sur terre pourra continuer. Certains pensent que cela ne sera possible qu’en mêlant l’homme et la machine, en fabriquant des transhumains, et ils laissent entendre que ce faisant, il sera même possible de se débarrasser de la mort, pour quelques-uns à tout le moins, car les mêmes ont une forte conscience qu’il ne sera pas possible, et même pas rationnel, pas même raisonnable, de transformer ainsi tous les humains.

Le prophète biblique est plus simple et plus radical. Il n’a besoin ni de la découverte d’un vaccin, encore qu’elle soit bienvenue, ni de la prospérité économique, encore qu’elle soit accueillie avec joie, ni de technologies nouvelles qui allègeraient la prise de l’homme sur la planète et la pollution qu’il émet, encore que ces technologies seraient bien utiles. Il nous annonce que quelqu’un vient en avant de nous, que nos existences ne courent pas vers le vide, que chacun de nous peut être recueilli et aimé ; il nous promet que notre vie à chacun vaut la peine d’être vécue parce qu’elle nous prépare à rencontrer le consolateur ; il nous promet que nous sommes aimés chacun, chacune, et que nous pouvons apprendre à aimer en vérité.

Saint Marc prend le temps de décrire celui qui crie. Vêtu de poils de chameau, nourri de sauterelles et de miel sauvage, Jean le Baptiste se tient au plus près de l’animalité. Son régime est presque celui d’un ours. Lui ne définit pas son humanité, ce qui le rend humain par l’élégance de ses vêtements, par la variété de son régime alimentaire, sans doute pas par le confort de ce qui lui sert de maison. Ce qui intéresse Jean, ce à quoi il se consacre, est son lien à Dieu, son écoute de Dieu, son attention à celui qui nous veut, chacune et chacun, dans notre multiplicité et notre unicité, celui qui seul peut nous indiquer en quoi il vaut la peine de vivre et d’être vivants. Il y a eu ainsi au long de l’histoire des hommes et des femmes qui se sont tenus à l’écart des préoccupations ordinaires de l’immense majorité des autres humains, mais pas par incapacité sociale, pas par peur ou par mépris, mais au nom d’un appel plus fort, d’une vocation plus élevée, d’un service à rendre à tous. En son temps et à jamais, Jean a été et est la voix qui crie dans le désert, pour nous, en notre faveur, comme Isaïe l’avait été avant lui et avait annoncé que d’autres viendraient après lui tenir ce rôle. Les consacrées et les consacrés, comme les religieuses qui sont plusieurs parmi nous ce matin, les prêtres aussi et les évêques, vivent selon un certain écart par rapport à la vie commune des hommes et des femmes pour proclamer quelque chose de différent et annoncer quelque chose de nouveau à celles et ceux qui veulent bien se rendre attentifs. C’est aussi le sens de nos modestes « missions itinérantes » : relayer la voix qui crie dans le désert.

Frères et sœurs, nous vivons une époque de bruit. Des voix multiples occupent notre espace mental : des musiques, des cris, des harmonies, des théories, des discours, saturent, que nous en soyons conscients ou non, notre environnement. Nous pouvons vivre en permanence branchés sur une télévision et une radio et savoir à chaque instant ce qui se passe et entendre répéter les mêmes récits et analyses tant de fois que nous avons l’impression que l’événement raconté emplit toute la planète et est le plus important qui soit. Certains d’entre nous ou certains autour de nous vivent comme cela. Ici, en ce dimanche, nous sommes venus un peu à l’écart et nous écoutons une parole tout autre. Elle nous vient d’un membre de notre humanité, mais qui se situe un peu en décalage par rapport au flux ordinaire. Lui attire notre attention sur une réalité décisive. Tous, nous avons une raison d’être déçus de nous-mêmes ; tous, à un titre ou un autre, nous avons déçus les autres. Ce peut être une simple déception, ce peut être une offense, un mal commis, grave ou léger. Mais la voix qui crie dans le désert nous assure que nous valons mieux que cela. Nous pouvons nous convertir, changer de vie, revenir sur un meilleur sentier, ou, pour le dire autrement, il vaut la peine que nous vivions encore, parce que nous ne sommes pas seulement le mal que nous avons commis, la déception que nous avons été. Lui, Jean, nous en assure, et il annonce que vient derrière lui celui qui pourra nous guérir et nous transformer, celui qui nous reliera au vrai nous-mêmes, à celui ou celle en vue de qui nous avons été créés. Celui-là ne nous transforme pas en machines, celui-là ne remplace pas notre liberté par une puissance de calcul, celui-là ne surveille pas tout ce que nous faisons : lui nous donne son Esprit, son Esprit-Saint, pour habiter et dilater et fortifier notre liberté, pour lui rendre toute sa capacité de choisir le meilleur et de recevoir ce qui lui est donné.

En ce jour, tous, nous attendons comme tous les autres humains une terre libérée du virus, des sociétés surmontant la crise économique, une humanité renouant son alliance avec la planète et l’atmosphère, mais l’apôtre Pierre nous fait entendre mieux encore , et nous l’attendons, nous, au nom de tous les autres, en leur faveur aussi : « Nous attendons, selon la promesse du Seigneur, un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice » et pour cela, il vaut la peine que, dès aujourd’hui, dès maintenant, sans attendre, nous nous efforcions de vivre en vue de cela, « dans la sainteté et la piété »,  non pas dans la peur de manquer et le désir de posséder, mais dans l’espérance des relations belles et fortes et réjouissantes que nous pourrons avoir les uns avec les autres, par la force de celui qui nous a créés les uns et les autres et qui nous donne les uns aux autres, non comme ennemis ou compétiteurs, mais comme frères et sœurs et comme amis, pour nous faire du bien les uns aux autres et recevoir des uns et des autres ce bien avec gratitude.

Frères et sœurs, le temps de l’Avent nous promet la consolation : « Consolez, consolez, mon peuple ». L’humanité n’est pas que la somme de ses crimes et de ses erreurs. Au milieu du cosmos, elle peut revenir sur elle-même et réaliser ce qu’elle a fait. Son Créateur vient à elle pour la rappeler à sa bonté première, pour qu’elle soit source de joie pour elle-même, pour chacun et chacune en elle et pour Dieu lui-même. « Le Seigneur donnera ses bienfaits et notre terre donnera son fruit », telle est notre espérance,                                                                                                      Amen.


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