Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, pour le 24ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 13 septembre 2022

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, pour le 24ème dimanche du Temps ordinaire

le 11 septembre 2022, dans la chapelle du Carmel Saint-Jean-Baptiste de la Fontaine-Olive

Frères et sœurs, il est une figure religieuse qui fascine et inquiète aujourd’hui. C’est celle du fanatique, de celui qui exerce la violence au nom de Dieu et prétend servir Dieu en semant la mort. La date d’aujourd’hui nous appelle à y réfléchir. Or, il est intéressant pour nous d’entendre avec attention ce que saint Paul nous dit de lui-même : « J’étais autrefois, écrit-il, blasphémateur, persécuteur, violent. » Il écrit, dans la lettre aux Galates, qu’il était un Pharisien par hyperbole. Il était en fait un Juif pieux, fervent, mais trop pieux et trop fervent, qui ne supportait pas la nouveauté de ceux et celles qui se disaient disciples de Jésus. Lui, Saül, voulait qu’Israël soit le peuple saint, obéissant le plus exactement à la loi de Dieu reçue par Moïse, et il voyait dans le chemin nouveau des chrétiens, une sorte de laxisme, de renoncement à l’application précise des préceptes, une complicité avec le mal. Paul, revenant sur sa vie, reconnaît donc qu’il a pu être un porteur de mort. Il n’a sans doute jamais conduit quelqu’un à la mort, mais il est lucide avec lui-même : il eût pu le faire, s’il n’avait été renversé sur le chemin de Damas. Comprenons-le : il voulait le bien, il voulait le meilleur pour Israël, il faisait partie des Pharisiens qui voulaient assurer la cohésion d’Israël par le respect rigoureux de la Loi et de tous ses préceptes. Il ne pouvait supporter que quelques-uns, au nom d’un hypothétique Messie, détourne les autres de cette fidélité minutieuse. Cela lui paraissait défaire l’unité cohérente du peuple d’Israël à qui Dieu a donné l’honneur et le fardeau de sa loi et donc risquer d’attirer la colère de Dieu. Il voulait persécuter les chrétiens, de peur qu’un jour prochain, Israël subisse une autre destruction, une autre déportation. Mais telle n’était pas, telle n’est pas la voie de Dieu.

En cette année qui marque le 450ème anniversaire de la Saint-Barthélémy, nous ne pouvons, frères et sœurs, nous catholiques, – mais il en va de même de tout chrétien-, nous ne pouvons prétendre être immunisé contre la violence religieuse. Nous devons veiller à vérifier ce qui habite notre cœur. Comment un groupe humain supporte-t-il la dissidence, comment un groupe humain se résigne-t-il à la différence ou l’accueille-t-il ? En tout cas, l’apôtre Paul, par sa confession, nous montre qu’au fondement de notre vie ecclésiale, se trouve un homme qui eût pu être un fanatique et qui a été transformé par Dieu en un apôtre inlassable des nations. Non pas donc quelqu’un qui renonce à proposer la vérité qu’il a perçue, qui lui a été ouverte, mais quelqu’un qui ne prend pas d’autres voies ni d’autres moyens ni d’autres armes que ceux ou celles de Jésus, le Crucifié ressuscité, celui qui livre sa vie pour que les autres, si autres soient-ils, vivent. Le fanatique veut servir le règne de Dieu ; en réalité, il impose à Dieu sa violence et son idée du règne. La radicalité de la foi consiste, elle, à se laisser dépouiller de sa violence par le Christ Jésus qui établit son règne à lui par sa mort consentie et sa résurrection.

Nous pouvons contempler aussi en ce dimanche une autre figure, celle du Pape François, qui ne cesse de nous appeler tous, nous catholiques, à la miséricorde envers tous, à l’écoute, à l’accueil, à l’accompagnement, le Pape François qui stigmatise inlassablement la dureté du cœur, le jugement des bien-pensants. Les trois paraboles de Jésus que rapporte saint Luc nous orientent dans cette direction. Jésus raconte ces paraboles parce que les pharisiens et les scribes lui reprochent de se laisser approcher par les publicains et les pécheurs et de prendre ses repas avec eux. Nous comprenons facilement qu’il appelle à ne pas confondre la fidélité à Dieu avec la raideur, le jugement, l’exclusion. Certes. Mais soyons attentifs, frères et sœurs. Que nous disent les deux premières paraboles ? L’ardeur de la recherche par le berger de sa brebis qui s’est perdue, par la femme de la pièce qui a disparu et la joie du berger qui ramène sa brebis et de la femme qui retrouve sa pièce, joie à partager avec tous. >La miséricorde ne consiste donc pas à faire comme si celui qui s’éloigne du troupeau ne faisait qu’une promenade de santé, elle ne consiste pas à attendre patiemment qu’il revienne. Jésus nous met sous les yeux les efforts inlassables du berger ou de la femme. Lorsque l’un de nous s’écarte de la voie de Dieu, comment réagissons-nous ? Comment sommes-nous, chacun mais aussi notre Église, notre paroisse, notre Espace missionnaire, notre diocèse, dévorés d’inquiétude ? La troisième parabole, la plus connue, met en scène un frère aîné qui n’arrive pas à se réjouir du retour de son frère parce qu’il est jaloux. Mais que dit le père : « Ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ».  Vous sentez bien que le père exagère la situation de son fils : il n’était pas mort, il a été ruiné et a eu très faim ; nous entendons surtout que le père ne minimise pas l’écart que son fils cadet a vécu. Il ne l’excuse pas en disant qu’il faut jeter sa gourme et vivre sa vie un moment avant de devenir raisonnable. La miséricorde ne consiste pas à émousser le jugement moral, elle ne consiste pas à faire passer un mal pour un demi-bien ; en revanche, elle ne se préoccupe pas tellement de porter un jugement moral, elle s’inquiète pour la situation spirituelle de celui qui cède à ses passions et à ses pulsions. La miséricorde ou, plutôt, le miséricordieux sait que l’on peut mourir spirituellement et alors mourir pour toujours et il est prêt à beaucoup et même à encore plus pour ramener celui qui s’en allait vers la mort spirituelle vers la vie.

Dans notre temps de grand trouble moral, où la société ne cesse d’ouvrir des possibilités et se préoccupe peu de désigner le bien et le meilleur, comment pouvons-nous, nous chrétiens, nous Église, ne pas être un groupe de frères aînés qui regardent les pécheurs avec mépris et avec une envie cachée, avec le ressentiment de ceux ou de celles qui auraient aimé aller s’amuser et n’ont pas eu le courage de le faire, de ceux ou de celles qui n’ont pas choisi du fond du cœur d’adhérer au bien et au meilleur ? Et comment pouvons-nous partager l’inquiétude de Dieu devant ceux et celles qui risquent de se perdre, comment pouvons-nous nous réjouir du moindre mouvement de retour, si mêlé soit-il ?

Il est une troisième figure que le passage du livre de l’Exode qui a été proclamé met sous nos yeux : celle de l’intercesseur. Nous avons entendu Moïse rappeler à Dieu sa fidélité aux pères en s’efforçant d’apaiser le visage du Seigneur son Dieu. Mais tel est Dieu, frères et sœurs, le Dieu vivant de Moïse et de Jésus : il est le Dieu qui nous donne d’intercéder les uns pour les autres, il est le Dieu qui compte sur nous pour demander la conversion des pécheurs ; il est le Dieu qui nous comble de ses grâces afin que nous ne nous laissions pas attirer par le mal toujours possible mais que nous choisissions d’un cœur libre et joyeux le bien le meilleur qui nous est présenté par les événements de la vie, que nous nous gardions de toute complicité avec la mort non tant par la peur du châtiment que par amour du bien, du vrai et du beau, par amour surtout du Dieu créateur qui nous a donné la vie et nous appelle à la retrouver plus encore, et que, par conséquent, nous partagions son inquiétude pour ceux et celles qui errent et que nous nous réjouissions sans réserve de tout mouvement de retour.

Dans la parabole du père qui avait deux fils, le cadet qui part gaspiller son héritage et l’aîné qui reste mais avec un cœur plein de ressentiment, se cache un autre fils, le vrai fils aîné, l’Unique et Bien-Aimé, Jésus, Fils consubstantiel au Père devenu l’un de nous pour intercéder pour nous, pécheurs, jusque sur la croix.

Alors, frères et sœurs, n’ayons pas peur de chercher toujours à faire la volonté de Dieu. N’ayons pas peur des choix parfois exigeants, voire difficiles, et ne nous transformons pour autant ni en fanatiques ni en âmes pleines de ressentiment et de jugement. Soyons heureux de vivre dans la lumière du Christ et tremblons, avec Dieu le Père, pour celles et ceux qui s’en éloignent, mais tremblons sans mépris, sans angoisse, avec le désir qu’ils se laissent rejoindre un jour et une grande disponibilité à les accueillir sans leur compliquer la tâche,

                                                                         Amen.


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