Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, pour le 23ème dimanche du Temps ordinaire, le 4 septembre 2022, en l’église Saint-Nicolas de Rethel, remise de lettres de mission - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 5 septembre 2022

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, pour le 23ème dimanche du Temps ordinaire, le 4 septembre 2022, en l’église Saint-Nicolas de Rethel, remise de lettres de mission

Homélie pour le 23ème dimanche du Temps ordinaire, année C, le 4 septembre 2022, en l’église Saint-Nicolas de Rethel, remise des lettres de mission à Mme Marianne Pellabeuf (École Sainte-Thérèse et coordination), Valérie Colombo-Graux (Collège Sainte-Thérèse) et M. Emmanuel Perate (Collège Saint-Louis et Lycée Professionnel Jeanne-d’Arc, de Vouziers)

Beaucoup, frères et sœurs, s’interrogent sur la désaffection de beaucoup de nos contemporains pour la foi chrétienne et pour la vie chrétienne. On glose sur la sécularisation non plus seulement des institutions sociales mais des esprits, des cœurs, des intelligences. On propose des analyses, on cherche des raisons, parfois des coupables. Peut-être faut-il tourner nos regards vers le Seigneur lui-même. Il semble s’ingénier à détacher de lui ceux et celles qui pourraient le suivre. Comment supporter en effet quelqu’un qui affirme : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple » ? Comment un être humain peut-il exiger des autres qu’ils renoncent aux affections les plus chères et les plus légitimes, comment peut-il oser réclamer que, pour lui, un autre être humain renonce à la solidité, la sécurité, la force que représentent ses liens avec ses parents, son épouse, ses enfants, ses frères et sœurs, et au nom de quoi quelqu’un devrait-il renoncer à sa vie pour devenir le disciple d’un autre. Sainte Thérèse d’Avila aurait dit un jour : « Seigneur, si vous traitez ainsi vos amis, je comprends que vous en ayez si peu. » Nous le comprenons, nous aussi, ce matin. La prétention de Jésus à devenir le Seigneur de nos vies, le point de référence de tout ce que nous vivons et de ce que nous sommes, voici peut-être une raison fondamentale qui explique pourquoi beaucoup se séparent de lui. L’être humain contemporain a le sens de son autonomie, de sa dignité inaliénable de sujet, il cherche à se réaliser lui-même comme l’on dit. Comment pourrait-il entendre ce que Jésus ose dire ? Comment pouvons-nous l’entendre, nous ?

Pourtant, frères et sœurs, réfléchissons un peu. Certes, les librairies ont toutes désormais un rayon « Développement personnel, épanouissement de soi » et les sites internet sur cette thématique pullulent. Mais sommes-nous sûrs de ne pas sacrifier notre épouse ou notre époux, nos enfants, nos parents, nos frères et sœurs, au profit de notre vie professionnelle, ou de notre vie sportive, ou de notre vie sociale ? En tout cas, beaucoup de contemporains, qui ne supporteraient pas d’entendre Jésus dire ce qu’il dit là, ne sont pas prêts à renoncer à grand-chose pour mieux servir leurs parents, leur conjoint, voire leurs enfants, et n’ont pas idée qu’ils abîment ou atrophient leur vie spirituelle qui est une dimension consubstantielle de la vie. Si nous répugnons à ce que Jésus nous demande de le préférer aux liens qui nous constituent et aux affections légitimes qu’ils suscitent le plus souvent, sommes-nous certains ne pas céder autant ou davantage à des puissances plus troubles : celles de l’argent, du pouvoir, de la sécurité, du sexe et de l’excitation, du sport ou de telle passion plus ou moins glorieuse ? Pour avoir du succès en librairie ou sur internet, Jésus devrait développer un autre type de discours qu’un discours en termes de renoncement : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple », et utiliser le langage de la croissance, de l’amélioration, de l’augmentation. Mais, lui, au moins, ne nous trompe pas. Lui ne nous séduit pas. Lui, quand une foule nombreuse le suit, ne se retourne pas vers elle pour lui dire ce qu’il lui plaira d’entendre. Il marche, lui, vers sa Passion. Certes, il sera acclamé en entrant dans Jérusalem, mais il sait que cela ne durera pas et qu’il lui faudra consentir à être dépouillé de tout en notre faveur, qu’il lui faudra accepter d’être rejeté et mis à mort pour pouvoir rejoindre tout être humain, si loin de Dieu soit-il, si opaque à Dieu qu’il se soit rendu.

Plus que jamais, frères et sœurs, nous devons être conscients, nous chrétiens, de ce à quoi Jésus nous appelle et qui est sa bonne nouvelle : nous ne pouvons, nous humains, avoir pour Seigneur que Dieu, le Dieu vivant, le Dieu qui est à l’origine de tout. Nul moins que Dieu ne peut exercer de seigneurie définitive ou totale sur nous.  C’était le trésor précieux du peuple d’Israël. Le Dieu d’Israël n’est pas le dieu d’un peuple, il n’est pas une force divinisée, projetée par les humains dans la transcendance. Il est le Dieu de l’Alliance, celui qui a suscité toutes choses et les humains dans le cosmos pour nouer une alliance vivante avec eux. Mais c’est ce que Jésus nous appelle à vivre avec plus de précision et de radicalité encore, et aussi avec une plus grande proximité. Il se propose pour être notre seigneur, non pas en nous parlant du haut du ciel, ni non plus en nous parlant dans l’intime de nos cœurs, mais aussi en étant l’un de nous, marchant avec nous et, si nous le voulons bien, devant nous, sur les chemins de la vie terrestre. Il est celui qui, seul, peut nous apprendre à vivre comme des fils et des filles du Père, obéissant à celui-ci non comme à un principe incontestable et inaccessible, non comme à un maître lointain et redoutable, mais comme au Père qui nous aime au point d’envoyer pour nous son Fils bien-aimé.

L’histoire de saint Paul et de Philémon nous le fait comprendre : Onésime, son esclave, s’est enfui pour apprendre de Paul comment vivre en chrétien. Paul le renvoie à son maître en demandant à celui-ci d’accepter de ne plus traiter Onésime en esclave, mais en frère. Paul invite Philémon à perdre son esclave de bon cœur pour recevoir, en retour, un frère inespéré. Ainsi en va-t-il de tout ce que Jésus nous demander de quitter pour lui, de tout ce à qui ou de tous ceux ou celles à qui il nous demande de renoncer. En lui, par lui, grâce à lui, nous les perdons pour les retrouver autrement, non plus dans un rapport de possession, de domination, de soumission, mais dans un rapport de fraternité et de communion. Telle est la volonté du Père, qu’il nous est possible de contempler, d’apprendre à connaître et à aimer. Elle dépasse nos recherches d’épanouissement personnel, elle nous place dans un autre rapport à nous-mêmes, aux autres, à Dieu, à la vie ; elle nous dégage du centre que nous voudrions trop facilement occuper, mais cet appauvrissement est pour nous faire entrer dans une richesse et une plénitude inattendues et plus grande.

Puisque nous avons la joie de remettre en ce dimanche leurs lettres de mission à deux cheffes et un chef d’établissement de notre Espace missionnaire, permettez-moi de le dire : l’enseignement catholique doit aider chaque jeune à entrer en possession de lui-même, par le déploiement et l’apprentissage de la maitrise de son intelligence, de sa volonté et de sa mémoire. Il doit accompagner chacune et chacun dans la recherche de son « je » et sa capacité à parler en première personne, à dire « je comprends », « je vois », « je veux », avec liberté et responsabilité, et il doit aussi l’accompagner sur le chemin de l’amour, sur le chemin qui fait dire « je » non pour se plaindre, non pour réclamer, non pour protester, même si ces attitudes peuvent être nécessaires parfois, mais aussi pour choisir et décider de se donner et de s’abandonner, de servir et non pas de se servir, d’obéir et pas toujours d’exiger. L’enseignement catholique, dans son projet global, vise non seulement à former de bons sujets, de bons citoyens, de bons ouvriers ou employés, mais surtout il doit viser à donner à chacune et chacun les moyens de devenir le fils ou la fille que Dieu espère.

Jésus, vous l’avez entendu, invite chacune et chacun à s’examiner, comme celui qui veut construire une tour, comme le roi qui veut partir en guerre. Nous sentons-nous prêts à tout renoncer à tout pour devenir un authentique disciple de Jésus ? Pas forcément, aujourd’hui, pas forcément demain, peut-être après-demain lorsque, de toutes façons, il nous faudra bien tout laisser pour mourir et passer en Dieu. Mais celui qui nous parle ainsi est celui qui va lui-même vers sa Passion. Il est, lui, le Seigneur, qui va au plus loin, là où nous ne sommes pas sûrs de pouvoir aller par nous-mêmes, pour que le moindre de nos renoncements, le moindre de nos mouvements de remise et d’abandon, puisse valoir de par Dieu et nous mettre déjà sur le chemin de la vie plus que vivante. N’ayons pas peur d’avancer derrière Jésus, frères et sœurs. Il connaît, lui, nos faiblesses et il les compense autant qu’il le peut. Alors, frères et sœurs, espérons en nous-mêmes à cause de Jésus, ne soyons pas obsédés par notre épanouissement personnel et laissons Jésus, à travers les événements, nous conduire sur ses chemins à lui, ceux qu’il a parcourus pour nous et qu’il reprend inlassablement avec nous, pour notre vie et la gloire du Père,
Amen.


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