Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour la solennité du Christ-Roi - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 23 novembre 2020

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour la solennité du Christ-Roi

Homélie pour la solennité du Christ, roi de l’Univers, année A, le 22 novembre 2020, en la chapelle du Monastère Sainte-Claire, à Cormontreuil.

Il y a des « jours de nuage et de sombres nuées », selon la formule du prophète. Ils peuvent être collectifs, et peut-être en vivons-nous en ce temps, entre crise sanitaire et terrorisme et crise écologique et crise économique ; ils peuvent être personnels, chacun ayant ses moments d’angoisse et ses jours de lumière, parfois liés aux épreuves collectives, parfois déliés de celles-ci ; ils peuvent être ecclésiaux, l’Église connaissant des temps de lumière et de joie très pure et des temps de tristesse et même de honte et même de doute sur elle-même. Il y a des « jours de nuage et de sombres nuées » et le prophète ne cesse pourtant de faire retentir la promesse qui les transperce : « C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du Seigneur Dieu ». Notre foi ne nous fait pas nier les jours sombres, mais elle nous donne de voir au-delà, par-delà tous les nuages, non pas dans le rêve mais en reconnaissant l’action de Dieu, parfois visible, massive, rassurante ou exaltante, parfois, plus souvent peut-être, presque imperceptible. Depuis 9 mois, nous vivons en temps d’épidémie, avec un virus invisible qui n’empêche ni le soleil de briller ni les feuilles des arbres d’être pleines d’or, ni la plupart de nous d’être en bonne santé mais qui menace certains et qui nous entrave tous. Pourtant, en ce dimanche, la liturgie nous invite à regarder le Christ et à le croire agissant et vainqueur, faisant de notre histoire humaine son histoire et du cosmos entier le manteau de sa gloire.

Le pape Pie XI a voulu célébrer le Christ Roi en 1925, en un temps, suivant la première guerre mondiale où les États européens renonçaient tous à s’occuper du salut de leurs citoyens, prétendant plutôt leur procurer la sécurité et la prospérité, mais où déjà ne cessaient de monter les menaces qui conduiront à la seconde guerre mondiale. 1600 ans après le concile de Nicée, le Pape, porté par un grand élan des fidèles, a voulu exprimer la foi en Jésus, Messie d’Israël, vraiment Dieu et vraiment homme, entré dans notre chair pour être le pasteur de tous les humains et les conduire par-delà « les ravins de la mort ». L’histoire n’est pas faite que de la course des nations et des États à la puissance, Dieu y œuvre à rassembler les humains dans la paix éternelle, dans l’action éternelle. Notre situation est moins inquiétante à l’œil nu que ne l’était celle de 1925, rétrospectivement ; elle l’est davantage en un autre sens parce que l’on peut craindre que beaucoup d’esprits et de cœurs aient perdu, au fil des années, leur tension vers la vie éternelle, leur disponibilité pour l’œuvre de Dieu en eux. Le domaine du Christ sur cette terre paraît se rétracter de manière mesurable, et pourtant, nous, chrétiens, ne cessons ni ne cesserons de le célébrer, lui, comme roi de l’univers, clef de toute l’histoire et des humains et du cosmos. A nous, il est donné de voir sans la voir l’œuvre du Christ, l’action du Christ : il ne cesse de rassembler les humains, de les conduire, de mener à travers mille embûches et mille détours, le troupeau entier vers la table qu’il a préparée ; il ne cesse aussi de préparer chacun et chacun, de le travailler de l’intérieur, de la travailler de l’intérieur, pour que tous soient dignes de cette table. Lui, mieux que nous ne pouvons le voir, travaille toujours à nourrir les brebis grasses (et cela veut dire : les remplir de sa charité) et à soigner celles qui sont faibles et blessées (et cela veut dire : les tirer de leurs duretés et de leurs nécroses) ; lui œuvre sans relâche à donner aux humains les forces nécessaires pour avancer dans l’aventure de leur vie terrestre ; lui, enfin, juge « entre brebis et brebis, entre béliers et boucs », c’est-à-dire : lui, distingue la qualité de chacun ; lui, voit la qualité intérieure de chacun, et cela non pas pour les diviser mais pour les rendre capables d’avoir part à la joie éternelle, c’est-à-dire de contribuer à la communion éternelle.

L’immense vision que lui, Jésus, nous propose au chapitre 25 de l’évangile selon saint Matthieu, nous la connaissons bien. Elle nous juge, nous le savons bien, en chacune de nos relations, surtout nos relations avec celles et ceux qui sont dans le besoin, quel que soit ce besoin. Mais elle comporte une énigme, dans la suite des paraboles qui la précèdent : pourquoi Jésus qui la décrit passe-t-il du « Fils de l’homme » au « roi » ? Il n’emploie jamais ailleurs ce titre, il ne le réclame nulle part pour lui. Ici, sans doute le Roi énonce la sentence de manière souveraine : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume », « Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour de diable et ses anges », mais ce qui est plus encore royal est qu’il s’approprie toute action entre les humains : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait », « Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » Il est roi, roi paradoxal, non parce qu’il dirige tout, non parce qu’il fait tout plier devant sa volonté, mais parce que ce que nous nous faisons les uns aux autres ou ne nous faisons pas est toujours, de près ou de loin, une prise de position devant lui, pour lui ou contre lui. Nous ne pouvons lui échapper. Au terme de nos vies, au jour du jugement, tous les humains découvriront qu’ils avaient toujours été face à lui.

Notre époque contemporaine a du mal à supporter cette royauté-là. Nos sociétés occidentales, prétendent faire du bien aux affamés, aux assoiffés, aux étrangers, aux va-nu-pieds, aux malades, aux prisonniers, pour la seule humanité, sans avoir pour se motiver d’avoir besoin de voir Dieu envoyé par Dieu en chacun d’eux, pour l’amour de chacun. Mais, justement, nous ne sommes pas, nous les humains, seulement devant des devoirs humains, devant des exigences de la vie sociale, occupés à améliorer le fonctionnement de nos sociétés. Le Roi, ce roi-là, nous appelle à aller vers chacun comme vers un être unique, vers une personne, non pas un problème à résoudre, une honte à faire disparaître, un individu à intégrer, mais devant l’appel d’une dignité immense qui nous dévoile l’être même de Dieu. Ce que saint Paul essaie d’expliquer de la résurrection nous éclaire : la résurrection n’est pas un phénomène physique inéluctable ; en chacun de nous elle est ou sera la victoire singulière remporté par Jésus pour chacun et en chacun, elle est et sera non pas un processus mais une rencontre avec celui-là, le berger qui s’est avancé jusqu’à l’extrême pour être avec chacune de ses brebis. Celui-là est roi, non parce que tout se fait selon sa volonté inflexible, mais parce qu’il est celui que tout humain donne à voir, surtout le plus pauvre et le plus abîmé, et celui que tous nous rencontrons, pour lui faire du bien ou le négliger. Mais il est roi aussi, ce que la parabole ne dit pas, parce qu’il est, lui, celui dont le trône est la croix, celui qui est prêt à pardonner à ceux et celles qui l’auront négligé ; il est celui qui livre son Esprit pour que, au moins un peu, nous puissions nous transformer en « bénis de son Père ».

Célébrer le Christ roi de l’univers avec vous, mes Sœurs, est une grande grâce. Car toute votre vie chante qu’il est, lui, Jésus, le roi de nos existences et qu’il est bon et réjouissant qu’il le soit. Dans nos « jours de nuage et de sombres nuées », vous nous aidez à nous souvenir que nous avons un roi, un roi qui ne nous tient pas en servitude, un roi qui accepte pour lui tout ce que nous nous faisons les uns aux autres. Dans nos jours de lumière et de paix, nous voyons en vous que celui-là est le Seigneur de tout homme. Nos sociétés sont troublées, nos sociétés cherchent à se suffire à elles-mêmes. Lui, Jésus, se fait la mesure de tout : le secret de sa royauté est de susciter en nous « les bénis de son Père », pour la gloire de son Père et pour leur joie éternelle,

                                                                                                                      Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


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