Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, pour la messe du 30ème dimanche du Temps ordinaire, en l’église de Vireux-Wallerand - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 24 octobre 2022

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, pour la messe du 30ème dimanche du Temps ordinaire, en l’église de Vireux-Wallerand

Homélie pour la messe du 30ème dimanche du Temps ordinaire, année C, le samedi 22 octobre 2022, en l’église de Vireux-Wallerand, inauguration de l’église restaurée

Frères et sœurs, la parabole que nous venons d’entendre, celle que Jésus a racontée jadis « à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres », traite du délicat problème de la justification.

Qu’est-ce qui rend ma vie juste ? Qu’est-ce qui fait de moi un juste ? Mais, plus profondément encore, en remontant à la racine, qu’est-ce qui justifie mon existence à moi ? A moi au milieu des autres, avec ce que j’apporte et ce que je n’apporte pas, avec le bien que je fais et qui accroît la paix de tous et avec le trouble que je produis par mon comportement, par mes exigences, par les arêtes ou les failles de ma personnalité ? Et si nous voulons bien regarder au-delà de l’horizon terrestre, qu’est-ce qui justifierait mon existence pour l’éternité, qu’est-ce qui fait qu’il serait juste et bon que, moi, je vive pour toujours, entrant en communion avec tous les autres ?

La réponse de Jésus, concentrée en cette parabole qui peut paraître simpliste, récapitule tout l’enseignement de la Bible, toute la sagesse tirée de la longue et intense histoire d’Israël, dont le Sage entendu en première lecture nous a donné un premier écho. Aucun homme n’est juste par lui-même, aucune existence humaine, si sainte soit-elle, ne justifie à elle seule qu’elle puisse vivre pour toujours. Seule peut justifier pleinement notre existence à chacune et à chacun la miséricorde de Dieu, c’est-à-dire l’action de Dieu qui nous rend justes, qui reprend ce que nos actes ont d’insuffisant, de mêlé, d’opaque, et seule le peut l’attitude intérieure de l’humilité par laquelle l’être humain renonce à valoir par lui-même mais s’en remet à la bonté de Dieu et à la fraternité de ses frères et sœurs humains. On pourrait reprendre toute l’histoire du peuple d’Israël depuis Abraham jusqu’à Jésus et même jusqu’à Pierre et Paul pour montrer qu’elle aboutit toute entière à détruire les prétentions à l’auto-justification, qu’elle aboutit à placer l’être humain en situation d’attendre des autres et de Dieu, non avec peur mais avec joie, la parole qui permet de vivre sans s’inquiéter de sa légitimité, malgré la vive conscience de ses insuffisances.

Nous avons entendu saint Paul, l’apôtre, s’exprimer sur lui-même : « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » et il ajoute : « Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là. » Il faut sans doute une belle audace pour s’exprimer avec tant d’assurance. Il y faut vraisemblablement une vraie humilité, l’humilité de celui qui n’a pas prétendu faire son œuvre en se convainquant qu’elle était forcément bonne et juste puisqu’elle était sienne, mais qui a cherché, à tâtons mais sans relâche, à faire l’œuvre de plus grand que lui, l’œuvre de Dieu pour le bien et la vie de tous.

Alors, frères et sœurs, nous pouvons nous interroger.

Nous pouvons nous interroger, chacun pour sa part. Suis-je juste ? Comment puis-je justifier mes dernières actions, mes derniers choix ? Comment puis-je rendre compte, devant Dieu mais déjà devant moi-même, de ce que j’ai fait hier ou de ce que j’ai dit, de la manière dont j’ai répondu à telle personne, de la façon dont j’ai accompli telle ou telle action, de l’empressement mis dans tel acte et de la paresse vécue dans telle autre ? Parfois, m’examinant ainsi, je pourrai me dire : « J’ai mené le bon combat » ; parfois, je me découvrirai morveux, un peu ou beaucoup honteux. Alors, vais-je m’enorgueillir dans le bien que j’ai fait ? Vais-je me désespérer du mal que j’ai commis ou du bien que je n’ai pas su faire ? Vais-je me durcir dans le mal que j’ai fait et m’en justifier à mes propres yeux ? Ou bien vais-je rendre grâce à Dieu de m’avoir permis d’avancer sur le chemin du bien et vais-je lui demander pardon et, peut-être, demander pardon à telle ou telle personne pour le mal que je lui ai causé, qu’il soit grand ou petit. Ce qui justifie mon existence aux yeux de Dieu n’est pas seulement la somme du bien que je fais : c’est aussi ma capacité à demander pardon lorsqu’il le faut, à reconnaître mon insuffisance ou mon manquement, et encore ma capacité à rendre grâce pour le bien réalisé.

Cet examen, frères et sœurs, nous pouvons le porter collectivement. Nos communautés chrétiennes, puisqu’elles sont des communautés du Christ, devraient être des lieux de miséricorde, non pas des lieux de jugement. Pas plus que chacun ou chacune de leurs membres, elles ne devraient être des lieux de mépris et d’exclusion. Elles doivent être pour autant des lieux de sainteté. Comment regardons-nous ceux et celles qui ne prient pas exactement comme nous ? Comment parlons-nous les uns des autres ? Nous arrive-t-il de chercher à mesurer la foi des autres, par exemple en la regardant comme faible, insuffisante, et en en tirant du contentement quant à notre manière de vivre notre foi. Au milieu de votre village, votre église Saint-Georges est toute rénovée. Elle est à nouveau un lieu de beauté, de calme, d’élévation. Puisse ce bâtiment apparaître toujours et à tous comme un lieu accueillant pour chacune et pour chacun, non pas un lieu de jugement, mais un lieu où chacun peut se tenir devant le Seigneur, dans la conscience d’avoir mené le bon combat comme dans la conscience d’avoir besoin d’être déplacé ou transformé.

Enfin, frères et sœurs, les sociétés peuvent s’interroger aussi. Elles aussi sont tentées par l’autojustification. Il ne suffit pas de respecter les procédures de nos démocraties représentatives avancées pour prendre des décisions qui justifient une société : quels sont nos investissements collectifs, comment préparons-nous l’avenir, le nôtre, celui des générations à venir et des autres êtres sur la planète ? Comment organisons-nous nos relations avec le reste du monde, comment servons-nous la paix et la justice pour tous ? Nos sociétés occidentales accusent volontiers leur passé. Mais nous ne pouvons nous dédouaner sur le passé seulement. N’y a-t-il pas à assumer les actes commis, en en reconnaissant les grandeurs et les horreurs, et en en demandant pardon, sans pour autant prétendre être innocents de tout cela, détaché de tout cela, ni coupable non plus, accablé de tout cela, mais en étant prêts à nous laisser transformer.

L’église au milieu du village peut être le signe de cela : malgré nos faiblesses, malgré les douleurs et les duretés de l’histoire, l’humanité peut ne pas renoncer à devenir fraternelle en vérité. Elle en reçoit l’espérance par celui qui raconte la parabole et qui est venu pour le publicain et non moins pour le pharisien, et qui va se livrer, sur la croix et dans l’eucharistie, pour que la justice de Dieu, l’action de Dieu qui nous guérit, nous purifie, nous ouvre les uns aux autres, puisse s’exercer en tous, dès ici-bas et jusque dans l’éternité,

                                                                                   Amen.


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