Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort - Messe pour la France en hommage aux victimes de Nice - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort – Messe pour la France en hommage aux victimes de Nice

Ce vendredi 30 octobre, Mgr Eric de Moulins-Beaufort célébrait une messe la France en hommage aux victimes de l’attentat de Nice.

Cette messe a été retransmise en direct sur KTO.

Homélie pour la messe en mémoire des personnes assassinées dans la basilique Notre-Dame-de-l’Assomption de Nice le jeudi 29 octobre 2020 et pour notre pays, célébrée le vendredi 30 octobre 2020 en la cathédrale Notre-Dame de Reims.

Pourquoi Simone et cette autre dame dont on ne connaît pas encore le nom ont-elles été assassinées hier ? Pourquoi Vincent Loquez l’a-t-il été ? Pourquoi eux et non pas moi et non pas vous, non pas n’importe qui d’autre qui entre dans une église un matin, parce que c’est son habitude depuis quelques mois ou par le hasard d’un jour ? Etait-il, étaient-elles plus grands pécheurs que nous autres ? Non, assurément non. Si jamais quelqu’un a pu penser chose pareille, le Seigneur Jésus l’a récusé jadis et il le récuse aujourd’hui par la force de sa parole : « Eh bien, je vous dis : pas du tout ! ».

J’ai choisi, frères et sœurs, que nous entendions ce soir ce passage du chapitre 13 de l’évangile selon saint Luc à cause de la similitude des situations entre celle de notre frère et de nos sœurs assassinés hier et celle des Galiléens dont on parla à Jésus parce que Pilate les fit massacrer, profitant de ce qu’ils priaient.  Vincent, Simone et l’autre dame n’ont pas été atteints pour eux-mêmes en particulier ; leur assassin n’avait sans doute pas idée de qui il était et qui elles étaient, il les a tués pour ce qu’ensemble ils représentaient. Car, si pour beaucoup de Français, l’Église catholique et la France sont deux réalités différentes, bien distinctes, qu’il faut tenir séparées l’une de l’autre le plus possible, pour beaucoup à l’étranger, l’Église, c’est la France et la France, c’est l’Église. Simone qui était, apprend-on, Brésilienne d’origine, Vincent et l’autre dame dont on ne sait encore rien ont été tués en tant qu’elles étaient Françaises et qu’il était Français, et elles l’étaient assurément aux yeux de l’assassin puisqu’elles étaient dans une église un matin pour prier, et il l’était assurément puisqu’il travaillait dans l’église et pour l’Église. Dans l’idéologie maladive, gangrenée, qui a nourri l’assassin d’hier comme elle avait nourri l’assassin de Monsieur Paty, qui fréquente les églises et qui enseigne incarne la France plus que d’autres, autant que des soldats, mais ceux-ci sont plus difficiles à tuer.  Il est impressionnant de constater que les assassins ne se sont pas trompés. Samuel Paty semble avoir été un enseignant vraiment convaincu de la mission de l’éducation nationale ; nos sœurs assassinées étaient dans l’église pour prier en dehors de la messe dominicale, gratuitement, pourrait-on dire, par ferveur personnelle ; Vincent, tous les témoignages le disent, accomplissait, comme sacristain, bien plus qu’un métier. Comme les assassins du Père Hamel avaient frappé un saint prêtre, celui-ci a frappé des chrétiens qui l’étaient en profondeur.

Alors, frères et sœurs, il nous faut entendre la parole étrange du Seigneur : « Mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » A quoi sert-il de prier ? Que demande-t-on dans la prière ? Qu’espère-t-on de sa prière ? La mort de l’ennemi ou la conversion, c’est-à-dire le changement de vie, et de lui et de soi ? La prospérité ou la capacité de recevoir tout bien comme un don ? La santé ou la force de servir ? La réussite aux yeux des hommes ou la charité qui consiste à aimer ceux et celles que l’on n’a pas envie d’aimer ? Nous pouvons vivre et mourir dans un monde de violence, de domination par la force, d’accumulation des biens et rêver de prendre un jour la place de ceux et celles qui nous font du mal. Nous devons vivre et mourir dans un monde marqué par la violence et l’injustice et nous pouvons y apprendre à vivre dans l’espérance de la communion éternelle. Jésus, qui prononça ces paroles étonnantes, est mort, il a été mis à mort ; sa croix ne se dresse pas comme un appel à la vengeance mais comme la promesse que l’amour consenti jusqu’à l’extrême a tout tiré de l’homme vers la vie en plénitude. Simone, Vincent et l’autre dame vaquaient ce matin-là dans une église en se plaçant, par le fait même, sous le regard de celui qui, du haut de la croix, a crié : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » et qui a enseigné à ses disciples : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »

Qui est Dieu, frères et sœurs, que certains croient glorifier en assassinant des femmes et un sacristain, en répandant le sang dans une église, un lieu consacré à Dieu ? Qui est Dieu que Simone et Vincent et l’autre dame priaient dans la basilique Notre-Dame de Nice et dans le secret de leur cœur ? Le psalmiste, fils d’Israël, nous l’a fait chanter : « Grandes sont les œuvres du Seigneur, tous ceux qui les aiment s’en instruisent. Noblesse et beauté dans ses actions : à jamais se maintiendra sa justice. » Où est la noblesse et où est la beauté dans l’assassinat ? Et quelle noblesse, en revanche, dans la prière qui monte un matin d’un cœur humain pour confier sa journée et demander la grâce de la vivre en vérité, d’être présent ou présente à chacun de ses instants et à chacune des personnes à rencontrer, celui ou celle qui prie prenant conscience de ses insuffisances et de ses failles et demandant au Seigneur de les rattraper dans sa grâce : « De ses merveilles, il a laissé un mémorial ; le Seigneur est tendresse et pitié. »

Frères et sœurs, en priant ce soir pour nos sœurs et notre frère assassinés, nous voulons rendre hommage aux membres des forces de l’ordre qui ont su neutraliser l’assassin terroriste et nous prions pour eux et pour elles. Ils et elles ont fait leur métier avec calme, avec maîtrise, parce qu’il appartient à l’État de ne pas laisser un individu détruire les autres. Mais ils et elles ont fait bien plus que leur métier. Ils et elles ont fait preuve de courage ; ils et elles restent marqués par ce qu’ils ont dû faire. Tuer un être humain n’est jamais anodin. Nous prions aussi pour toutes celles et tous ceux qui ont eu à intervenir sur les lieux du drame et qui ont vu des choses horribles. Vincent, Simone et la dame qui reste encore anonyme ont été rejoints par la mort en accomplissant un acte tout simple, la prière, qui révèle beaucoup de leur profondeur intérieure et de la dimension de leur âme. Nous espérons que « celui qui a commencé en lui et en elles un si beau travail l’a continué jusqu’à son achèvement. » Nous avons entendu les paroles que l’Apôtre Paul adressait aux chrétiens de Philippe, l’Église commençante, et qu’il nous adresse à travers les âges. Comme évêque, comme pasteur du peuple de Dieu en notre région, je prie, je supplie pour que tous nous « progressions de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui important ». Ce peut être notre prière à tous, les uns pour les autres, car nous sommes tous, frères et sœurs, les apôtres les uns des autres. Ce peut être notre prière pour notre pays dans sa diversité et son unité, car nous avons, nous catholiques, une responsabilité spéciale pour qu’il reste fidèle à son âme.

La parabole du figuier nous le fait entendre : vous, moi, qui sommes vivants, dont la vie dure encore, que la mort n’a pas rattrapée, du temps nous est donné pour rendre notre vie féconde, pour qu’elle porte un beau fruit, qu’elle ne sème pas des cadavres et la terreur et le remords, pour que nous puissions en cette vie terrestre produire des fruits réjouissants comme des figues, pleins d’une saveur que l’on pourra goûter pour l’éternité. Du temps est donné aussi à notre pays tant qu’il dure pour apporter dans le concert des nations sa note singulière. Car, nous le croyons de toute notre foi, avec Simone, avec la dame inconnue, avec Vincent Loquez, malgré nos petitesses et nos médiocrités, et même malgré nos fautes, malgré les erreurs et les crimes de notre pays s’il en a commis au cours de son histoire, par la grâce du Christ mort et ressuscité, par le sang et l’eau qui jaillissent de son cœur, sur chacun de nous, sur notre pays, sur tous les pays, sur tout être humain, retentit l’exclamation du vigneron qui est avant tout une promesse : « Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir ! »,

                                                                                   Amen.

Crédits photo : François Nascimbeni


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