Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort - 23ème dimanche du Temps Ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 7 septembre 2020

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort – 23ème dimanche du Temps Ordinaire

Homélie pour le 23ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 6 septembre 2020, en l’église Saint-Louis, à Reims, confirmation des lycéens.

Frères et sœurs, un souci fréquent chez les hommes et les femmes religieux, je veux dire, celles et ceux qui ont un peu de sens de Dieu, est de savoir ce qui est permis et ce qui est défendu. Qu’avons-nous le droit de faire ? Quand, dans tel domaine, commence ce qui est interdit ? Certes, nous connaissons les commandements : « Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas », mais nous trouvons facilement des situations où nous sommes tentés de penser que tel acte ou telle attitude n’est pas encore un vol, pas encore tout à fait un meurtre, pas encore vraiment un adultère. Souvent, nous nous posons la question parce que tel acte ou telle attitude nous arrangerait bien, semble pouvoir nous faciliter la vie. Nous sentons bien que ce geste ou cette manière de faire ne sont pas parfaits, ne sont pas pleinement bons, mais nous aimerions entendre dire que, néanmoins, étant données les circonstances, étant donné qui je suis, moi, peut-être ne sont-ils pas purement mauvais. L’Apôtre Paul nous invite à une tout autre attitude : « Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Ce qui anime le chrétien, le disciple de Jésus, n’est pas de savoir jusqu’où peut aller le domaine du permis, dont on cherche à reculer le plus possible la frontière, et où commence vraiment ce qui est défendu, mais d’agir ou de s’abstenir d’agir pour un meilleur amour du prochain. L’Apôtre ne fait que reprendre la réponse de Jésus au Pharisien qui l’interrogerait sur le plus grand des commandements. Vous connaissez la réponse du Seigneur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit…. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi ainsi que les Prophètes » (Mt 22, 37-40). Nous entendrons cet évangile dans quelques dimanches. N’en déduisons pas que, importe ce que nous faisons, le tout, c’est d’aimer. Jésus s’adresse à des Juifs, formés en profondeur par la Torah, ce que nous appelons la Loi. Ils savent, au tréfonds de leur cœur, que le Dieu vivant est le Dieu de la vie, le Seigneur de la sainteté, celui qui déteste le mal, toute forme de mal, celui qui révèle que le mal commis par les humains n’est pas seulement un peu moins de bien, mais porte la mort, détruit la vie en sa vérité. La dynamique de la vie devant Dieu, que le Christ Seigneur est venu nous rendre possible, ne consiste pas à simplement éviter le mal mais à chercher en tout acte à aimer autrui, c’est-à-dire à la fois Dieu et notre prochain. Jamais Dieu ne nous permet de transgresser la loi, il nous appelle plutôt toujours à en faire un peu plus, à donner davantage ou à nous abstenir de certains gestes ou de certaines attitudes, en raison d’un amour plus grand de notre prochain. Il nous appelle à renoncer même à certains droits, parfois, pour permettre à autrui de vivre davantage. Trouver la juste attitude, choisir en toute situation ce qui nous fera aimer davantage Dieu et notre prcohain, n’est pas facile, rien n’est tranché au couteau comme entre le permis et le défendu, cela dépend de chacun. L’Esprit-Saint nous est donné, dans le sacrement de la confirmation, pour nous aider dans ces choix. Il met en nous la charité même de Dieu, celle qui anime Jésus lui-même, pour que nous puissions l’exprimer en quelque sorte, par nous-mêmes, dans nos choix concrets.

Vous savez tout cela, frères et sœurs, nous savons tout cela, mais il nous est bon de l’entendre régulièrement être rappelé à la mémoire de notre cœur. Nous vivons en effet dans un monde qui n’est pas fait que d’amour. Il y a autour de nous de l’injustice, de la violence, dans la société mais parfois aussi dans nos relations les uns avec les autres. Nous peinons à nous comprendre, certains sont tentés, parfois sans s’en rendre compte, de tout diriger, de tout ramener à eux. Certains, croyant parfois bien faire mais parfois aussi volontairement, ont des paroles blessantes ou humiliantes. Comment réagir face à ces situations ? Comment vivre en vrais disciples de Jésus sans être toujours ceux ou celles qui « se font avoir » par les autres ?

Dans l’évangile qui vient d’être proclamé, Jésus donne quelques recommandations en ce sens au petit groupe de ses disciples. Vous les avez entendues : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère ; S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ». Nous comprenons bien ce chemin progressif, mais, dans la pratique, dans la vie concrète de nos communautés, nous ne savons pas bien le mettre en œuvre. Il y a là sans doute un défi pour les années à venir. Nous devons apprendre, nous chrétiens, nous catholiques en particulier, à vivre en fraternités, en groupes de quelques-uns qui choisissent de s’entraider fraternellement à avancer sur les chemins du Seigneur. C’est en réalisant cela que nous pourrons trouver la possibilité d’une parole de vérité et même de correction entre nous. Savoir dire à un autre qu’il a mal fait ou qu’il a fait du mal ou qu’il a fait le mal, demande du doigté, mais cela demande aussi un cœur purifié : on ne peut le faire sous le coup de la colère, ou de l’envie, ou du ressentiment. Tout un travail intérieur est nécessaire pour que notre parole puisse viser non pas à satisfaire la blessure que j’ai éprouvée mais à « gagner mon frère », c’est-à-dire à lui permettre de retrouver le chemin de la vie.  Le souci qui anime cette démarche ne doit pas être la volonté de récupérer ses droits, mais l’inquiétude pour le sort de mon frère ou de ma sœur, qui se laisse entrainer sur des chemins de mort.

Il me semble que nous devons comprendre ainsi ce qu’ajoute le Seigneur : « S’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain ». Comment Jésus considère-t-il païens et publicains ? Il donne sa vie pour eux. Il se donne pour qu’eux puissent vivre, puissent redevenir des vivants, porteurs de vie. Considérer l’autre, qui me fait du mal, comme « un païen et un publicain » ne signifie pas le vouer à l’enfer, mais prier et s’offrir pour que Dieu puisse le convertir, supplier pour que le Père daigne lui ouvrir les yeux intérieurs et lui permettre de réaliser le mal qu’il fait afin qu’il s’en convertisse, qu’il change de vie et retrouve un chemin qui le rende vivant à nouveau en marche vers la vie pour toujours. Voyez, d’ailleurs, ce que Jésus ajoute lorsqu’il ose promettre que « si deux e’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux ». Or, nous ne savons que trop que nous demandons ensemble la guérison de quelqu’un et que celle-ci n’arrive pas, que nous multiplions les prières pour que telle difficulté ou telle épreuve se dissipe et qu’elle ne se dissipe pas. Ce que nous pouvons demander en joignant nos forces et que nous obtiendrons de notre Père qui est aux cieux, c’est la conversion du pécheur. Nous devons la demander, la désirer autant que Jésus lui-même, lui qui est venu à nous et qui se prépare à se donner jusqu’à la mort pour cela : pour que les pécheurs que nous sommes ouvrent les yeux et se convertissent, dès cette terre et au jour du jugement.

Jamais le Dieu vivant ne se résigne à ce que les humains restent enfermés dans le mal qu’ils font. Il compte sur nous pour nous associer à lui en Jésus pour désirer et demander la conversion de tous, pour nous apporter nous-mêmes afin que cette conversion, même à l’ultime moment, même dans le jugement, puisse être possible. Nous, chrétiens, somme au milieu du monde, celles et ceux qui portent l’espérance que tout être humain peut changer, réveiller la pureté originelle de son cœur, de son âme, se laisser tirer par la puissance de Dieu des choix porteurs de mort où il s’enfermait peu à peu. C’est pourquoi il convient de dénoncer le mal, il faut oser dire à quelqu’un qu’il se trompe : parce que nous croyons qu’il y a en tout être humain la capacité de reconnaître la voix de Dieu et de choisir le meilleur plutôt que ce qui porte la mort. C’est un acte d’amour du prochain que de croire que tel autre ne se réduit pas au mal qu’il commet et peut ou pourrait tout au moins entendre la voix de la vérité et de la justice. C’est un acte d’amour du prochain que de faire retentir cette voix à ses oreilles, avec paix, avec force, sans colère, autant que nous le pouvons.

Chers amis qui allez être confirmés, l’Esprit-Saint vous est donné en sa plénitude pour que vous puissiez, au long de votre vie, choisir de mettre dans vos actes et vos pensées, dans vos choix, toujours davantage d’amour du prochain, manifestant ainsi votre amour pour Dieu. Nous vivons dans un monde marqué aussi par les injustices et les violences, les injustices et les violences individuelles, les injustices et les violences collectives, mais nous osons croire qu’il est possible d’y choisir l’amour du prochain et nous affirmons que cet amour l’emporte et l’emportera. Vous entrez dans l’âge des choix décisifs. Vous allez déterminer peu à peu non pas seulement le métier que vous ferez, mais quel homme, quelle femme, vous allez être : un paresseux, un égoïste, un jouisseur, ou quelqu’un capable de choisir, dans ses actes et ses pensées, ce qui le fera progresser dans l’amour du prochain, capable de renoncer à un droit pour que l’autre vive davantage ? Par la force de l’Esprit-Saint, venez vous joindre à nous et nous aider à être, au milieu du monde, ceux et celles qui savent voir le mal et le dire, mais non pas dans la colère et le ressentiment, mais dans l’espérance que même les pécheurs puissent se convertir et se laisser saisir par le Dieu vivant, à commencer par chacun de nous,

Amen


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