Homélie pour le 2ème dimanche de Carême - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 16 mars 2022

Homélie pour le 2ème dimanche de Carême

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 2ème dimanche de Carême, le 13 mars 2022, en la cathédrale Saint-Christophe de Belfort

Votre évêque seul, que je suis heureux de remercier encore pour son invitation, peut s’adresser à vous ainsi que le fit l’apôtre Paul pour les Philippiens : « Frères et sœurs bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne ». Je peux en revanche me joindre à lui pour vous dire avec l’Apôtre : « Tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés ».

Tenez bon, parce que les temps sont rudes parfois ; tenez bon parce que les tentations sont nombreuses aussi, la grande tentation de vivre à la seule mesure de nos besoins et de nos désirs, ce que l’Apôtre appelle « le ventre ». Tenez bon, surtout, parce que « nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux. »

« Notre citoyenneté » : c’est-à-dire notre capacité d’entrer en relations égales avec les autres et de construire un tout harmonieux, une cité. Selon saint Paul, l’appartenance au Christ nous donne une citoyenneté nouvelle, plus fondamentale que toute autre. Une citoyenneté qui ne dépend pas tant d’empires ou de forces terrestres que des cieux, pas tant de l’État et de son organisation que de ce que Dieu nous ouvre et à quoi il nous appelle. Nous pouvons être étrangers sur cette terre, nous pouvons ne pas nous y sentir pleinement à notre aise ; nous pouvons y être très bien, consonner avec tout ce que nous y vivons, il n’en reste pas moins que nous sommes encore davantage chez nous dans les cieux, d’où nous vient le Seigneur Christ. Or, l’épisode que nous appelons la « transfiguration » dont nous avons entendu le récit proclamé dans l’évangile de ce dimanche, nous fait contempler cette citoyenneté nouvelle et nous fait réfléchir à la manière dont nous y accédons.

Remarquons, frères et sœurs, d’abord, que saint Luc décrit très sobrement l’événement : « Son visage devint tout autre, nous dit-il de Jésus, et son vêtement d’une blancheur éblouissante ».  Luc ne s’étend sur ce qu’il y a à voir. Ce qui lui importe est que Jésus se montre dans sa prière parlant avec deux autres qui sont Moïse et Élie. L’évangéliste écrit qu’« ils parlaient avec lui de son départ qui aurait lieu à Jérusalem ». Pierre, Jacques et Jean sont moins les témoins d’une transformation de l’aspect de Jésus que de sa conversation avec les immenses personnages de l’histoire d’Israël qui ont été déterminants pour l’avenir de ce peuple. Ce que la voix du Père qui se fait entendre dans la nuée confirme n’est donc pas seulement la personnalité exceptionnelle de Jésus qui se dévoilerait un instant dans un aspect spectaculaire que l’aboutissement que, lui, Jésus, donne et va donner à toute l’histoire d’Israël, aboutissement qui passe par une discussion avec Moïse et Élie, comme une délibération avant un acte important, avant une décision qui va emporter la totalité de l’histoire dans une direction inespérée. La Transfiguration n’est pas seulement un spectacle que Jésus donne pour conforter trois de ses disciples dans leur perception que Jésus est un être unique ; elle marque une inflexion dans la vie de Jésus. Il est monté sur la montagne pour prier, c’est-à-dire pour entrer en dialogue avec le Père afin de poursuivre ce pour quoi il a été envoyé. Il y rencontre Moïse et Élie, c’est-à-dire la totalité de l’histoire d’Israël qu’il s’agit de faire déboucher ; il en redescend seul, mais avec les trois disciples, décidé à aller jusqu’à la Passion pour la vie de tous les humains. Moïse et Élie ont en commun d’être montés l’un et l’autre au sommet d’une montagne pour se tenir davantage en présence de Dieu à un moment où ils se fatiguaient de conduire le peuple, où ils doutaient de leur capacité de mener ce peuple là où Dieu le voulait, où ils perdaient leur énergie à tirer ce peuple vers le meilleur. Jésus les rencontre, sur la montagne, il converse avec eux et il affermit sa décision d’aller plus loin, d’aller jusqu’au bout, dans le chemin que le Père lui ouvre pour le salut et la vie de toute l’humanité, de donner sa vie afin que nous soyons, malgré nos médiocrités, ses frères et ses sœurs.

Pierre, Jacques et Jean sont les témoins de cette conversation qui en annonce d’autres. Ils devront eux aussi discuter entre eux pour s’accorder sur ce qu’ils ont vu et vécu ce jour-là. Il n’y  a pas un seul témoin, ni deux, mais trois, autant de manières de comprendre ce qui s’est passé sur la montagne et d’en tirer les conséquences pour l’avenir. Telle est la citoyenneté des cieux : la capacité d’entrer dans le dessein de Dieu, la possibilité de discuter entre nous et avec toute l’histoire rapportée dans les écritures saintes d’Israël pour servir au mieux l’œuvre du Père. Mais l’événement nous apporte une autre lumière. Ni Pierre, ni Jacques ni Jean ne sont de plain- pied dans cette citoyenneté : « Ils étaient accablés de sommeil » comme Abraham l’avait été au moment de la conclusion de l’alliance avec Dieu et comme Adam l’avait été lorsque Dieu tira de son côté celle qui allait être son vis-à-vis. Dieu fait des humains les partenaires de son alliance, mais il y faut une nouvelle naissance, il y faut un processus dans lequel l’être humain se trouve dépassé, qui ne peut venir que de Jésus, e Fils qui se fait notre frère, et qu’il y aura à s’approprier progressivement.

L’intervention de Pierre indique qu’il n’est pas à la hauteur de l’événement et, cependant, il a raison : il est bon pour eux d’être ici et Dieu veut établir un mode nouveau de sa présence, mais non pas sur la montagne pour une expérience qui transcende l’espace et le temps. La nuée qui les recouvre l’indique : elle rappelle la nuée qui remplissait au désert la tente de la rencontre et celle qui remplit le temple de Jérusalem au jour de sa consécration par Salomon. Eux, Pierre, Jacques et Jean, si décalés soient-ils, si insuffisants encore, vont être les colonnes portantes de la tente nouvelle que Dieu va dresser dans l’humanité pour y être présent, l’Église, la communion des croyants.

Jésus ne vient pas établir un État, il ne vient pas réunir les humains par la force et l’efficacité politiques, il les rassemble et les donne les uns aux autres dans une communion parce qu’il est celui qui partage aux humains la communion qu’est Dieu en son mystère le plus intime. Le fondement en est la décision de Jésus, celle du Fils bien-aimé du Père, d’aller en son humanité au bout de ce qu’est l’amour trinitaire, le don de soi vécu jusqu’au bout, le don de sa vie pour que les autres vivent et accèdent à la plénitude de la vie. Là est le fondement de la citoyenneté nouvelle qui nous est offerte, celle de la fraternité avec Jésus et avec tous les humains que le Père nous donne comme des frères et des soeurs. Mais pour cela, il faut un enfantement qui passe par le don que Jésus, le Fils bien-aimé, nous obtient dans les souffrances de sa Passion, par le choix qu’il fait jusqu’au bout de nous avoir, malgré tout, comme frères et sœurs, le choix qu’il va sceller en instituant son Eucharistie.

Lorsque Paul évoque la transformation de nos pauvres corps en corps glorieux, il n’anticipe pas sur les promesses du transhumanisme. Il ne nous annonce pas que nous aurons tous un corps parfait, rayonnant de santé et préservé de la mort. Il nous annonce que notre corps, jusque dans sa fibre la plus matérielle, pourra être et pour toujours, l’expression de l’amour en sa vérité. Notre corps en lequel nous nous connaissons, nous apprenons à vivre, nous entrons en relation avec le cosmos et avec les autres, avec lequel nous agissons, nous formons des alliances ou les défaisons, nous édifions ce monde ou le détruisons, notre corps, traversé de besoins, de peurs, de désirs, de passions, d’envies, d’élans variés, ce corps-là peut être habité par la charité, il peut être transfiguré par le dynamisme personnel de Jésus, celui qui le tourne vers le Père de toute éternité et qui l’engage envers nous. Il sera le lieu d’une fraternité qui n’aura d’autres limites que celles du Père, et qui suppose une transfiguration de nos limites intérieures à nous.

Tenez donc bon, frères et sœurs, au milieu de ce monde, puisque nous sommes des citoyens des cieux, puisque nous pouvons avoir entre nous et avec la totalité d l’histoire une conversation qui nous rend acteurs de l’œuvre de Dieu lui-même, d’une communion capable d’embrasser tous les humains et d’être vivante pour toujours. Les semaines qui viennent vous être marquées, dans notre pays, par les élections. Nous y exercerons notre citoyenneté à l’échelle de la société terrestre qu’est notre pays. N’oublions pas, frères et sœurs, d’y traduire la citoyenneté à laquelle le Christ Jésus nous fait accéder. Elle ne se nourrit pas, cette citoyenneté-là, de la nostalgie d’un passé mythifié, elle nous fait nous tourner vers la communion avec tous où Dieu nous appelle ; elle ne vit pas d’un récit national toujours à réécrire, elle se fortifie de l’écoute de la Parole de Dieu dans les Écritures saintes reçues d’Israël et des apôtres où nous apprenons à converser à la hauteur du dessein de Dieu ; elle ne consiste pas à établir des États protégés des malheurs de l’histoire du monde, mais elle nous engage à entrer dans l’histoire des humains pour y porter la proximité du Dieu vivant ; elle ne nous engage pas, cette citoyenneté, dans l’illusion de transformer nos désirs ou nos angoisses en droits à faire valoir sur tous les autres, mais elle grandit par le don de soi, le respect patient des autres, la capacité de les entendre, l’espérance que la véritable histoire des humains se joue dans le don de soi et l’accueil mutuel. Elle ne nous berce pas du rêve d’une mondialisation sans frontières, d’une humanité standardisée, dont chacun ne serait qu’un morceau égal aux autres ; elle nous offre la perspective d’une fraternité où chacun partage librement ce qu’il a de meilleur et reçoit des autres ce qu’ils ont à lui apporter.

Frères et sœurs, à nous il est donné en chaque eucharistie, surtout dans l’Eucharistie dominicale, de vivre le moment de la Transfiguration. Nous sommes appelés par Jésus à l’accompagner sur la montagne où il se tourne vers le Père et à entrer dans ce mouvement, comme à redescendre avec lui, non par fatalité, mais envoyés de nouveau, envoyés renouvelés parce que, en ce monde déjà, par la force du sacrement, l’Église donne au milieu du monde l’image de la cité à venir, celle qui ne passera pas,

                                                                                                                       Amen


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